Halte au laxisme éducatif : les parents doivent réapprendre à exercer leur autorité (la vraie)<!-- --> | Atlantico.fr
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67% des parents reconnaissent manquer d’autorité.
67% des parents reconnaissent manquer d’autorité.
©FRANK PERRY / AFP

Bonnes feuilles

Pour aider les parents qui doivent se battre de plus en plus seuls pour compenser les insuffisances du système scolaire, l'auteur du livre "Eduquer autrement" propose un nouveau traité d'éducation. Extrait (1/2).

Pierre-Henri d'Argenson

Pierre-Henri d'Argenson

Pierre-Henri d'Argenson est haut-fonctionnaire. Il a enseigné les questions internationales à Sciences Po Paris. Il est l’auteur de "Eduquer autrement : le regard d'un père sur l'éducation des enfants" (éd. de l'Oeuvre, 2012) et Réformer l’ENA, réformer l’élite, pour une véritable école des meilleurs (L’Harmattan, 2008). Son dernier livre est Guide pratique et psychologique de la préparation aux concours, (éditions Ellipses, 2013).

 

 

 

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Un sondage publié en octobre 20111 révélait que 75% des parents se jugeaient eux-mêmes trop laxistes avec leurs enfants, 65% trop copains et 55% trop tolérants, tandis que 67% reconnaissaient explicitement manquer d’autorité. Pourquoi donc, alors que tout le monde semble vouloir aujourd’hui réhabiliter l’autorité, est-ce si difficile en pratique ?

La première raison est simple : le message que l’on reçoit en permanence à propos de l’autorité est contradictoire, donc impossible à mettre en oeuvre. En voici la teneur : oui à l’autorité, mais à condition qu’elle ne heurte pas, qu’elle ne blesse pas, qu’elle soit expliquée, qu’elle soit comprise… autrement dit qu’elle ne soit pas autoritaire. Voici quelques extraits d’un article tiré d’une revue d’association de parents d’élèves, intitulé martialement « Autorité : les bases de la discipline », qui illustrent à merveille cette difficulté à aborder l’autorité telle qu’elle est, et non telle qu’on voudrait l’édulcorer ou la dénaturer pour la rendre acceptable. On y découvre que l’autorité consiste à « chercher à exercer une influence sur l’autre – sans recourir à la force – pour l’amener progressivement à admettre que les limites imposées lui permettent de grandir et sont bénéfiques pour lui ». On y lit également que l’autorité est « la capacité à faire respecter le cadre fixé par les règles adoptées par tous ».

Enfin, que pour les élèves « qui ne suivent pas les règles et se mettent en situation de conflit, cela peut, en effet aller jusqu’au rapport de force. Mais le dialogue doit toujours être instauré de façon à rappeler que le règlement n’est pas répressif ». Rien de choquant en apparence, sauf que toutes ces définitions ont un point commun : elles reposent d’une manière ou d’une autre sur la méconnaissance, le déni ou la déformation de ce qu’est l’autorité, de sa nature, et c’est précisément pour cela qu’elle devient impraticable.

Non, faire preuve d’autorité n’est pas chercher à « exercer une influence » sur l’autre : à la différence de la manipulation ou de la séduction, l’autorité s’exerce de manière directe par un langage clair, qui utilise généralement l’impératif pour exprimer un ordre, sans détours, ni artifices ou subtilités manoeuvrières. Non, l’autorité n’a pas de vocation « progressive », mais vise au contraire un but immédiat, sans délai. Non l’autorité ne vise pas à « faire admettre », elle ne recherche pas l’adhésion ou le consentement, elle n’a pas pour but de convaincre, mais d’imposer. L’autorité a effectivement pour effet de permettre aux enfants de grandir, mais cet effet ne se produit justement que parce que l’autorité n’a pas eu pour objet de faire admettre quoi que ce soit.

Non, l’autorité ne vise pas seulement à faire respecter les « règles adoptées par tous » : elle est d’abord, au quotidien, la restauration d’un rapport de hiérarchie, de subordination, qui est rejeté par le transgresseur. Lorsqu’un enseignant dit à un enfant de se taire, il dit deux choses : bien sûr, il rappelle une règle générale de comportement dans la classe, mais il dit aussi, et avant tout, qu’il est lui, l’enseignant, celui qui commande, celui à qui l’on a confié la fonction de décider ce qui pouvait ou non se faire dans la classe, et celui à qui l’on doit obéissance dans ce cadre. Non, le dialogue ne doit pas être « instauré », mais plutôt restauré : par définition, par essence, l’autorité est un monologue, elle se manifeste précisément au moment où le dialogue est rompu ou rendu impossible. L’autorité vise à rétablir les conditions du dialogue, en rappelant la règle commune et la place de chacun dans l’ordre collectif. Enfin si, un règlement est par nature « répressif ». Il suffit d’en feuilleter un pour s’en convaincre : tout règlement prévoit un ensemble d’obligations et de sanctions pour faire respecter ces obligations, et a par construction un caractère répressif. À l’instar du règlement, l’autorité est l’expression d’une contrainte, légitimée par un ordre supérieur qui a reçu, en amont, le consentement de la société.

Attention, je ne dis pas d’entrée de jeu que l’autorité est la panacée, l’alpha et l’oméga de toute éducation. Il existe de nombreuses situations où le dialogue, la pédagogie, la recherche d’adhésion, la patience valent mieux que l’exercice immédiat de l’autorité. Je dis simplement qu’on ne peut pas pratiquer en même temps dialogue et autorité, explication et autorité, consensus et autorité.

Ceci nous amène à la seconde raison de la difficulté que nous avons aujourd’hui à réhabiliter l’autorité en pratique : nous sortons aujourd’hui d’un cycle idéologique qui a voulu éradiquer l’autorité, la délégitimer de manière définitive, la sortir du champ de l’éducation, et plus généralement des relations humaines. Presque tous les parents exerçant l’autorité en ressentent un fond de culpabilité. Or c’est la culpabilité qui fait courir le risque de la violence, moyen ultime par lequel on se débarrasse généralement de ses entraves, de ses chaînes. S’il y a une réhabilitation de l’autorité à faire, c’est d’abord à l’intérieur de soi : il s’agit en tant que parent de s’autoriser à nouveau à exercer son autorité. Pour cela, encore faut-il bien comprendre la troisième raison expliquant la réticence naturelle à exercer sereinement l’autorité : la grande régression collective qui a fait de l’amour le seul sentiment autorisé des relations humaines, conduisant à une « affectivisation » de tous les rapports humains, comme nous l’avons analysé dans le premier chapitre. La chanson finale du Soldat rose décrit parfaitement cet univers sentimental dans lequel nous baignons inconsciemment au quotidien :

Qu’on soit d’ici ou bien d’ailleurs, on a tous au fond du coeur
Cette même idée idéale, même état d’âme
Love Love Love, aimer et être aimé
Love love love, voila le secret
Love love love, quand on a le coeur qui bat
Love love love, la vie c’est extra
Un plus un égal deux, on a jamais trouvé mieux
Se regarder les yeux dans les yeux pour être heureux.

L’amour, l’amour, l’amour, aimer, aimer, aimer, voilà qui ne peut pas faire de mal, me dira-t-on. Pourtant je ne trouve ce dégoulinement de mièvrerie ni bienveillant, ni anodin ni sympathique, parce qu’il est en réalité l’expression d’une contrainte : celle de l’amour obligatoire, qui est bien le contraire de l’amour libre, celui que Mai 68 prétend avoir inventé. Le véritable amour, qui est une proposition, pudique, subtile, délicate, a cédé le pas à l’amour comme slogan de parti unique, que l’on nous enjoint de répéter incessamment, sous contrôle, comme le petit livre rouge de Mao. Et si vous ne bêlez pas l’amour comme les autres, c’est que vous êtes méchant, mauvais, dangereux, dissident. Cet envahissement de l’amour comme référence relationnelle exclusive et obligée est aussi la conséquence de la logique égalitaire : seul l’amour peut en effet régir les relations humaines dans un univers égalitaire, car toute autre modalité relationnelle (l’autorité notamment) réintroduit brutalement de la hiérarchie, de la différentiation, de la subordination. Le résultat est connu. Face à nos enfants, un interdit : leur faire du mal, les frustrer, les rudoyer, les contrarier ; une espérance : qu’ils nous aiment ; une peur : que l’on ne soit pas aimés d’eux. Autorité = manque d’amour. Autorité = privation. Autorité = contrariété. Autorité = méchanceté. Voilà la grande immaturité collective que chaque parent doit, courageusement et seul, combattre : sachez malheureusement que la société non seulement ne vous aidera pas dans cette tâche, mais conservera encore longtemps un regard désapprobateur vis-à-vis de l’autorité. Par exemple, qui ose encore exercer son autorité sereinement dans les lieux publics, dans la rue, dans un train, sans avoir peur de passer pour un fasciste, un tortionnaire, une brute ?

Extrait de "Éduquer autrement, le regard d’un père sur l’éducation de ses enfants", Pierre-Henri d’Argenson, (L’œuvre Editions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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