Jour de la libération fiscale 2013 : à partir d'aujourd'hui, vous travaillez pour vous mais les 206 jours précédents travaillés pour l'Etat valaient-ils les services obtenus en contrepartie de vos impôts, taxes et cotisations ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le salarié français ne sera libéré de ses obligations fiscales qu'à partir de ce vendredi 26 juillet 2013.
Le salarié français ne sera libéré de ses obligations fiscales qu'à partir de ce vendredi 26 juillet 2013.
©Reuters

Pour moi la vie va commencer

La France est actuellement vice-championne d'Europe de la libération fiscale la plus tardive. Heureusement, le projet de loi de finances pour 2014 devrait nous permettre de monter sur la plus haute marche du podium européen de pression fiscale.

Cécile Philippe et Jean-Yves Archer

Cécile Philippe et Jean-Yves Archer

Cécile Philippe a fondé et dirige l'Institut Molinari après avoir avoir travaillé au sein d'un Think Tank américain. Elle détient un doctorat ès sciences économiques de l’Université Paris-IX Dauphine et d’un Desup en gestion des entreprises dans les pays en développement. Elle a publié en 2007 son premier livre aux Éditions JC Lattès intitulé "C’est trop tard pour la terre" et intervient dans de nombreux médias.

Jean-Yves Archer est spécialiste en conseil de haut de bilan. Il dirige le Cabinet Archer et est gérant de Archer 58 Research, une société de recherches économiques fondée en mai 2012. Né en 1958, il est diplômé de Sciences-Po, de l'E.N.A, promotion de 1985, et est titulaire d'un doctorat en Economie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Pour son site, c'est ici.

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Atlantico : L’institut économique Molinari a calculé le jour de libération fiscale et sociale des 27 pays de l'Union européenne. Selon cette étude, le salarié français ne sera libéré de ses obligations fiscales qu'à partir de ce vendredi 26 juillet 2013. Ou la France se situe-t-elle par rapport à la moyenne européenne ? En termes de pression fiscale, la France est-elle une exception ?

Cécile Philippe : D’après nos calculs, la pression fiscale s’élève à 56,61% pour le salarié moyen français. Nous sommes avec la Belgique le pays le plus taxé en 2013en Europe. Le taux d'imposition réel du salarié moyen est plus élevé que dans le reste de l’Union européenne, en moyenne à 45,06 %.

Jean-Yves Archer : Selon les données compilées par l'Institut économique Molinari, la France est avant-dernière - juste avant la Belgique dont la date pivot est le 8 Août - et se trouve donc dans une situation de grande pression fiscale. D'autant qu'il faut immédiatement apporter un triple correctif à cette étude. Elle définit le moment où le contribuable est libéré de ses obligations fiscales par la fraction suivante : au numérateur, les charges de sécurité sociale plus l'impôt sur le revenu plus la taxe sur la valeur ajoutée. Au dénominateur se trouvent les revenus du travail et du capital du contribuable. Autrement dit, le raisonnement est pur en termes de flux mais erroné car il gomme trois impôts français majeurs : l'impôt sur les mutations foncières, celui sur les grandes fortunes et celui sur les successions et les taxes diverses (produits pétroliers).

Autrement dit, en réintégrant ces éléments au numérateur, notre situation serait encore moins enviable et notre date de " libération " (même si le terme est mal choisi au regard des réalités historiques de ce qu'est une Libération) serait plus lointaine que fin Juillet. A force d'avoir cédé à la demande sociale d'équipements et d'infrastructures, de grandes villes espagnoles se sont surendettées voire des régions. Pour la France, c'est la même tendance historique qui s'est appliquée : l'Etat a répondu positivement à bien des demandes qui allaient avoir un coût excédant notre potentiel fiscal collectif usuel. D'où sur la sur-fiscalisation actuelle.

L'édition 2014 devrait encore être plus austère pour le salarié moyen français. Son pouvoir d'achat sera réduit par les augmentations de TVA prévues (20% au lieu de 19,6% et 10% au lieu de 7%), mais aussi les augmentations de charges sociales liées aux retraites par répartition. La pression fiscale peut-elle encore augmenter en France sans être insoutenable?

Cécile Philippe : C’est toute la question. Le niveau de tolérance des Français à l’impôt s’est érodé significativement. Les augmentations à venir pourraient se concrétiser par une baisse des recettes, conformément à l’adage que trop d’impôt tue l’impôt. Nous en avons eu récemment un signe avant-coureur avec les derniers chiffres de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale. Ils indiquent une baisse de 8% de volume d’heures déclarées sur un an pour l’emploi à domicile.

Jean-Yves Archer : Le président de la République s'est engagé à ne pas augmenter les impôts sur les entreprises. Il est resté plus vague et volontairement flou pour ce qui concerne les ménages ce qui est, en creux, une réponse parfaitement claire. Il est donc hautement envisageable que les particuliers aient à contribuer davantage en 2014 et qu'effectivement l'addition de la lutte contre les déficits publics, les modifications des taux de TVA et le résultat probable de la négociation sur les retraites ne viennent éroder le pouvoir d'achat. Ceci pour la deuxième année consécutive avec de surcroît une mise à contribution des retraités.

Face à l'urgence de la situation pécuniaire du pays, l'Etat n'est plus décidé à avoir de tabou. Dans ce contexte, est-ce insoutenable ? A priori, la réponse instinctive commande de dire "oui" et de crier "halte au feu !" ( tel que rue d'Isly ). Mais l'expérience démontre que les agents économiques savent s'adapter : ici l'économie souterraine se développera, là les avantages en nature non déclarés, etc. Bref, nous estimons que si la pression fiscale française augmente à nouveau, les mécanismes de contournement vont se multiplier au détriment du rendement net des impôts et taxes. Ce qui là devient une question de civisme, de clarté politique et d'efficacité publique. L'acceptation de l'impôt est un axe majeur du pacte social : si nous sommes du mauvais côté de la courbe empirique de Laffer ("trop d'impôt tue l'impôt"), alors se posera vraiment la grande question de la dépense publique.

Quelles seraient les conséquences économiques d’une nouvelle augmentation des impôts, notamment en termes de compétitivité ?

Cécile Philippe : De nouvelles augmentations de charges patronales susciteraient une hausse du coût du travail. Cela réduirait la création de nouveaux emplois et le nombre d’emplois total. Des hausses de la pression fiscale sur les individus liées aux charges sociales, à l’impôt sur le revenu ou à la TVA, réduiraient leur incitation à travailler. Là encore la compétitivité serait mise à mal. Cela risque aussi de nourrir le marché noir, qui n’est pas un garant de la sécurité des personnes et des biens.

Jean-Yves Archer : Bien évidemment, une hausse des cotisations retraites et autres entraineraient des atteintes à la compétitivité des entreprises mais c'est surtout le tassement de la demande qui peut être préjudiciable à la compétitivité. Pour prendre une illustration, vous imaginez le coût financier actuel de stockage sur parc de milliers de véhicules pour un groupe comme PSA. Comment ne pas imaginer l'impact sur le prix de vente lorsque le niveau des charges fixes est de moins en moins absorbé par un volume comprimé de chiffre d'affaires.

Mais l'augmentation – hypothétique et probable – de la charge fiscale va relancer la vogue de la vague des exils fiscaux et éventuellement des délocalisations de sièges sociaux. A côté de ces deux premiers paramètres viendront s'ajouter les stratégies de contournement de l'impôt évoqué supra.

Quels autre choix s’offrent au gouvernement ?

Cécile Philippe :Pour réduire les déficits – sans alourdir encore la fiscalité – il n’y qu’une solution, baisser les dépenses publiques. Cela serait une nouveauté pour la France. Nous sommes l’un des pays où les dépenses publiques ont le plus augmenté au cours des dernières années, en passant de 53,3% du PIB en 2008 à 56,6% en 2012.

Jean-Yves Archer : Dans une autre configuration politique, un grand emprunt national – astucieusement conçu comme le fit Antoine Pinay (et non Giscard 1973) – serait un moyen que la dette souveraine soit davantage détenue par les résidents ce qui nous mobiliserait tous davantage. Techniquement, il s'agirait d'élaborer finement une passerelle entre les montants conséquents de l'assurance-vie et une souscription nationale. Actuellement chacun y va de son idée y compris des analystes usuellement réalistes qui laissent songeurs. Je pense ici à la proposition (Challenges du 29 mai 2013) de Jacques Delpla qui veut prélever environ 17% du patrimoine des Français pour effacer la dette publique au prix de montages juridiques très contestables. Par exemple, l'Etat serait en indivision avec x% de votre logement après acquittement de cet impôt ce qui le mettrait responsable juridique des frais de toiture, solidairement, avec le propriétaire. Certes...

Bref, le gouvernement a un unique impératif : mobiliser ses agents, la force pensante et active de ses Administrations pour trouver des moyens d'économiser des dépenses. Y compris avec un système d'intéressement comme ont su le faire dans le privé des responsables de la trempe d'Antoine Riboud ou de Jean-Marie Descarpentries (Carnaud).

Cette situation est-elle liée à la crise ou est-elle antérieure à celle-ci ? En contrepartie, du fort taux d’imposition, le salarié français est-il mieux payé qu’ailleurs ?

Cécile Philippe :Cette situation est bien antérieure à la crise, ce que souligne régulièrement la Cour des comptes. La tendance à la hausse des dépenses remonte à une trentaine d’années. En 1980, les dépenses publiques représentaient 46% du PIB, soit 10 points de moins qu’aujourd’hui. Le salarié français est en théorie parmi les mieux payés de l'UE. Son employeur débourse en effet 53 647 €, ce qui le met au 5ème rang de l'UE, devant l'Allemagne (6ème) et bien devant le Royaume‐Uni (10ème). Mais il est particulièrement fiscalisé, avec 30 371 € de charges, impôt sur le revenu et TVA. Il ne lui reste in fine que 23 276 €, ce qui met le salarié moyen français au 9ème rang de pouvoir d'achat réel dans l'UE, derrière le Royaume‐Uni (3ème) ou l'Allemagne (8ème).

Jean-Yves Archer : La situation à laquelle nous devons faire face avec patriotisme plutôt que des calculs de boutiquiers est hélas antérieure à la crise et pose sur la table de nos mésaventures une trilogie assez funeste : incertitudes du calcul économique d'Etat (exemple du RMI totalement sous-estimé par les équipes Rocard, même remarque pour la CMU, etc), méconnaissance répandue du monde de l'entreprise dans l'Administration (ndlr : précision factuelle, voilà 26 ans que je gère deux PME par-delà ma formation...), friabilité du politique face aux exigences du corps social. Bien évidemment, la crise érode le socle des recettes fiscales : I.S, TVA et autres. Idem pour les droits de mutations fonciers qui vont aux départements.

Il semble difficile de dresser une corrélation entre le fort taux d'imposition et le niveau nominal des rémunérations. Je vois votre question mais je ne dispose pas d'éléments tangibles pour y répondre. J'aurais tendance à dire que le "reste à disposition" ( le salaire net après impôts ) est hélas stable depuis des années du fait des hausses des dépenses contraintes : loyers, énergie, etc. Voire peut-être en régression si l'indice INSEE des prix était mieux connu.

Existe-t-il un lien entre prélèvement et qualité des services publics ? Les prestations offertes sont-elles à la hauteur des dépenses publiques ?

Cécile Philippe : C’est une dimension que nous avons pris en compte dans l’étude 2013 en analysant des indicateurs axés sur les prestations offertes ou la qualité de vie. Par exemple, l’Indice de développement humain (IDH), développé par les Nations unies, classe la France en 20ème position sur 177 pays. La France, 8ème de l'Union européenne, obtient une position qui n'est pas à la hauteur de ses dépenses publiques. Des pays ayant une pression fiscale moindre ont une note proche de la notre (Autriche, Finlande, Slovénie, Danemark) ou significativement supérieure (Allemagne, Pays-Bas, Suède, Irlande).

Jean-Yves Archer :Il devrait exister ce lien ! Si on prélève beaucoup, c'est pour dépenser avec discernement et relative efficacité. Pensons à la modernisation de nombreux équipements publics (police scientifique et taux amélioré d'élucidation des crimes et délits, plateaux techniques des hôpitaux publics, moyens dédiés à l'Université confrontée à un phénomène de massification, modernisation de nos armements, infrastructures ferroviaires : réseau TGV). Cessons de penser comme des " pisse-vinaigre " comme aimait à le dire le Général de Gaulle. Oui, la crise est âpre et l'addition plus que saumâtre mais il y a des éléments d'un pays moderne en face. Évidemment, il ne convient pas de verser dans l'angélisme et d'oublier de nombreux rapports de la Cour des comptes qui rapportent un gaspillage ou plutôt ce que d'aucuns ont pertinemment nommer des " mésinvestissements ".

A la question de savoir si les prestations offertes sont à la hauteur des dépenses publiques, je réponds qu'il faut savoir où nous nous situons pour répondre à une telle question. Dans une émission spéciale de l'heure de vérité (France 2  du 16 novembre 1983) le président François Mitterrand a passé plus d'une heure et demie à exposer où allait le monde suite à la grave crise des euromissiles (SS20 et Pershing 2) alors que plusieurs sondages indiquaient, à l'époque, que plus de 77% des Français craignaient l'entrée en guerre du pays. Qui s'en souvient 30 ans après lorsqu'on discute de nos forces armées ? Donc, au plan de la méthode,il est assez usant de voir des apprentis en finances publiques de 2013 oublier qu'un pays ne se gère pas pour le mois d'après. Les décideurs publics sont en charge des intérêts vitaux de la Nation pas de savoir si un jeune financier aura une jolie voiture dotée d'un V6 ou du V8. Même René Monory nous l'aura répété bien des fois lorsque nous pestions, les uns et les autres, contre la libération des prix de 1978. C'est donc la qualité du service de l'Etat par les femmes et les hommes qui le servent qui sont un maillon-clef de la réponse à votre question.

Depuis 3 ans, tous les pays de l'Union Européenne ont augmenté la fiscalité sauf la Bulgarie, le Danemark, la Hongrie, l'Irlande, le Royaume-Uni et la Suède. Cette hausse d’impôts est la conséquence de la montée des inquiétudes consécutives à la détérioration des comptes publics. L’Europe est-elle en train de s’enfermer dans une spirale récessionniste ? Si oui, comment en sortir ?

Cécile Philippe : Le rétablissement des comptes publics est devenu une priorité dans l’union. Mais faute de mettre en œuvre des réformes structurelles, plusieurs pays ont fait le choix de l’austérité fiscale. C’est une démarche doublement discutable. D’une part la situation économique est loin de s’améliorer. D’autre part, les hausses d’impôts sont durement ressenties par les populations qui rejettent d’ailleurs aujourd’hui ce type d’austérité.

Jean-Yves Archer : De toute évidence, la politique de grande fiscalisation a eu des effets pro-cycliques et mis de l'essence sur le brasier naissant de la récession. Pourtant, il semble venir des Etats-Unis, du Japon et du Royaume-Uni des signes d'inversion de tendance. Ces amorces de reprise seront-elles suffisantes face au risque récessif ? En conscience, je crains que non pour ce qui concerne notre pays car nous devons mener un double choc : le choc de compétitivité prôné par Louis Gallois (mais qui n'est pas véritablement engagé) et le choc du BBZ (Budget Base Zéro) des entités publiques. Le BBZ étant le budget base zéro où vous remettez véritablement les choses à plat et avez une démarche analytique d'opportunité de la dépense. Vous dites : "Utile ? Yes or No" et vous n'êtes pas à gratter 3% par ici et 2,874 % par-là. Nous avons des dizaines de milliards à trouver et à mieux affecter, pas des millions. Quant à ceux qui avancent, à pas plus ou moins feutrés, pour dire – telle Madame Delphine Batho (dont l'élégance prive la France d'une députée de renom...) – que la dépense publique est intangible sinon tout partira en vrille, nous sommes plusieurs à leur dire que le soleil brille fort bien sur la France de nos rêves et ambitions : celle qui aurait 10% de points de PIB de moins consacrés à la dépense publique.

La baisse des dépenses est-elle la solution miracle ? Ne risque-t-elle pas de produire les mêmes effets que la hausse des impôts ?  

Cécile Philippe :On ne peut pas envisager de baisse durable des dépenses publiques sans réforme structurelle. C’est ce que montrent les réussites du Canada, de la Lettonie et même de l’Allemagne. Ces expériences montrent qu’il est vital de  repenser l’importance relative de l’ensemble des programmes publics, afin de décider ce qui doit être maintenu et ce qui ne peut pas l’être. La situation française implique aussi une réforme de grande ampleur du marché du travail. C’est selon moi le sésame de tout projet de société visant à retrouver la voie d’une croissance durable.


Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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