Quel rôle la démographie joue-t-elle dans le ralentissement asiatique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'économie chinoise ralentit. Selon de nombreux observateurs, ce serait dû à un vieillissement important de la population.
L'économie chinoise ralentit. Selon de nombreux observateurs, ce serait dû à un vieillissement important de la population.
©Reuters

Le poids du nombre

Parmi les nombreux problèmes que rencontre actuellement la Chine, le vieillissement de sa population pourrait compter en bonne place.

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot est agrégé de sciences économiques et sociales et Docteur en économie.

Il est spécialisé depuis les années 1980 sur l'Inde et l'Asie émergente et a été conseiller au ministère des Finances sur la plupart des grandes régions émergentes dans les années 1990. Il est aujourd'hui chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et coprésident du Euro-India Group (EIEBG).

Son dernier livre :  "Utopies made in monde, le sage et l'économiste" paru chez Odile Jacob en Avril 2021.  
Il est également l'auteur de "L'Inde ancienne au chevet de nos politiques. L'art de la gouvernance selon l'Arthashâstra", Editions du Félin, 2017.   et de "Chindiafrique : la Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain" paru chez Odile Jacob en Janvier 2013.

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Atlantico : L’économie chinoise ralentit, et selon de nombreux observateurs, ce serait dû à un vieillissement important de la population. La démographie est-il le seul moteur de la croissance des puissances asiatiques ? Sinon par quoi explique-t-on ce succès ?

Jean-Joseph Boillot : La démographie n’est pas l’unique moteur de la croissance des puissances asiatiques. C’est simplement l’un des facteurs qui ont joué un rôle majeur au moment du décollage de ces économies. Et c'est leur faculté d’utiliser au bon moment le meilleur de leur transition démographique pour rattraper en un temps record des puissances qui avaient plus d’un siècle d’avance sur elles qui explique le succès des économies asiatiques.

Dire que le ralentissement économique actuel est dû à la démographie est un raccourci trop rapide. Il y a d'abord un ralentissement mécanique du taux de croissance lié au phénomène normal d'un niveau de revenu par habitant bien plus élevé qu'au début du décollage. Et si bien sûr, la démographie a joué un rôle important dans le passé, le relais peut être pris par d’autres facteurs, notamment les gains de productivité comme en Europe. C'est ce que fait le Japon depuis les années 1989, et c'est tout l'enjeu des nouvelles réformes économiques en Chine.

L’utilisation du facteur démographique semble inégalement efficace dans les différents pays d’Asie. Comment d’un moteur devient-elle un frein ? Quels éléments influencent ce phénomène ?

C’est ici qu’on voit que l’Asie n’est pas un continent homogène. Il y a d’une part une Asie de l’Est, qui recouvre le monde chinois et le Japon, d'autre part l’Asie du Sud-Est et enfin ce qu’on appelle l’Asie du Sud, notamment l'Inde. Si l’on regarde les régimes démographiques à l'œuvre et la capacité à profiter du « bonus démographique », on observe trois régimes bien définis. D’abord, au Japon et à peu de choses près en Chine, on trouve des régimes qui ont été capables de contrôler leur transition démographique de sorte que le taux de natalité n’a pas explosé. On a donc pu mobiliser la force de travail jeune et profiter à plein du bonus démographique. Cela explique que le Japon, la Chine ou la Corée ont été capables de franchir le palier des 10% de croissance au pic de leur transition démographique. Ce sont en général des pays ou l'Etat prime sur la famille. Ces trois pays font cependant les frais aujourd’hui d’un vieillissement accéléré de la population dû à un contrôle trop strict sans doute de leur natalité. Le retournement économique est alors assez brutal comme on l'a vu pour le Japon, et aujourd'hui en Chine.

En Asie du sud-est, Indonésie et Philippines en tête, les Etats ne sont pas aussi forts et le contrôle de la natalité n'a jamais été un succès. La croissance de la population s’est étendue sur une période bien plus longue, on a continué d'avoir de très jeunes enfants et on n'a pas bénéficié d'un fort bonus démographique - c’est-à-dire le moment où le rapport entres inactifs et actifs est le plus bas. De plus, ces Etats faibles ne parviennent pas à mobiliser la force de travail jeune, ce qui donne des taux de croissance plus faibles et une transition démographique plus étalée dans le temps, une quarantaine d’années. L’Inde suit un modèle proche de celui-ci, mais l’Etat a réussi à mener une politique démographique un peu plus efficace si on voit le taux de fécondité actuel qui est tombé en dessous de 2,4 enfants par femme. Son potentiel de croissance est ainsi de l'ordre de 6-7% par an sur plusieurs décennies et le vieillissement n'est pas à l'ordre du jour avant 2040.

Existe-t-il des facteurs qui pourraient permettre aux économies d'Asie de l'Est de maintenir leur croissance en dépit de leur retournement démographique rapide ?

Beaucoup de gens s’inquiètent et sont pessimistes quant à l’évolution de la croissance en Chine en s’appuyant notamment sur l'exemple du retournement démographique japonais qui s’est soldé par un vieillissement explosif de la population et une stagnation du PIB depuis plus de 20 ans. Cette vision des choses me semble inexacte.

Il est vrai que la Chine va connaître un ralentissement structurel et probablement à terme une stagnation comme le Japon. Il existe cependant d’autres moteurs que la démographie pour alimenter la croissance dont ce pays a besoin car son revenu par habitant est encore bas : le tiers de l'Europe et le quart du Japon. Du coté de l'offre, le premier facteur sont les gains de productivité, dont celle du travail mais aussi l’efficacité du capital - on voit que le Japon a continué à moderniser son économie en sachant investir au bon moment dans une économie de la connaissance à forte productivité. C'est ce que fait aussi la Corée qui a dépassé la France en proportion d'étudiants.

Le deuxième facteur est la plus ou moins bonne gestion du vieillissement. Si une population vieillit, on peut jouer sur plusieurs marges de manœuvres. Le recul de l’âge de la retraite tout d’abord qui permet de maintenir le même pourcentage de vie au travail si on vit plus longtemps. La Chine pourra facilement jouer sur ce facteur car l’espérance de vie a considérablement augmenté.  Ensuite, du côté de la demande, le vieillissement produit une nouvelle économie vers laquelle il faut réorienter une partie importante de l’offre de produits et surtout de services. On estime que les économies dont la moyenne d‘âge dépassera 60 ans possèdent de nouveaux gisements de croissance. Au Japon, on trouve par exemple de nouveaux types d'habitats, cette fois dans les centres urbains et non plus en banlieue, avec des constructions adaptées aux populations les plus âgées. De la même manière, ces populations ne consomment pas de la même façon ni les mêmes produits, et il faut par exemple ramener les magasins dans les centres villes. C’est ce que l’on appelle l’économie quaternaire.

Mais attention, la Chine n’en est pas encore là. Elle a à peu près 30 ans de décalage avec le Japon.  Sa situation n’est pas encore celle d’un déclin marqué par le vieillissement exceptionnel de sa population. Elle atteint ce qu’on appelle le seuil intermédiaire de revenus par habitant, soit environ 10 000 dollars par habitant (contre 40 000 pour le Japon). Elle passe donc d’un régime de croissance accéléré dû au bonus démographique à un régime plus lent et fluctuant aux environs de 5%. Pourtant, et contrairement à ce que beaucoup prétendent, il reste une vingtaine d’années pendant lesquelles la population chinoise va continuer à augmenter et notamment la population active urbaine. La question de la transition chinoise est donc simplement celle d'une transition vers un régime ou les gains de productivité vont jouer un rôle croissant sur les gains de population active. Et là, on retrouve un gouvernement planificateur qui a misé sur la formation universitaire pour transformer la quantité en qualité. Je crois donc que la Chine pourra conserver au cours des prochaines années une croissance annuelle de 6-7% grâce à la productivité, puis descendre sur un palier de 4-5% vers 2020.

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