Clé de voûte : ce que les sociétés occidentales doivent aux classes moyennes et ce qu’elles perdent à leur disparition

Atlantico: Le mariage de Kate Middleton, une roturière, avec le prince William, constitue une première dans la famille royale d’Angleterre. Un exemple révélateur de la manière dont une personne issue des classes moyennes (une classe moyenne très aisée dans le cas de la famille Middleton, il est vrai) parvient à accéder à l’univers des élites. Cela révèle-t-il une ouverture d’esprit de la monarchie britannique à l’égard des classes moyennes ? Quelles en sont les implications ?

Shana Cohen : Bien que n’étant pas anglaise, j’ai pu remarquer, depuis maintenant huit années que je vis en Angleterre, une réelle ouverture de la famille royale britannique qui ne semble plus désormais isolée du public. Par ailleurs, il convient de préciser que cette ouverture ne concerne pas spécifiquement les classes moyennes, mais la société britannique dans son ensemble.

Parce que la monarchie britannique a su s’affranchir de cet isolement et de certaines règles d’association qui existaient auparavant, mais également parce qu'elle a su répondre aux changements sociaux et politiques de la société, une personne comme Kate Middleton a pu accéder à ce monde.

Quelles valeurs sont généralement associées aux classes moyennes ? Comment sont-elles perçues par les élites?

Tout dépend de la période à laquelle on se réfère. Il y a trente ans, les valeurs caractéristiques des classes moyennes étaient soit conservatrices, soit gauchistes, tout en demeurant dans la contestation des systèmes politiques existants.  Dans le contexte actuel de crise économique, l’attention des classes moyennes s’est déportée vers la sécurité économique et sociale, engendrant ainsi un effet d’aliénation politique. Cette sécurité économique, ainsi que le maintien de leur position dans la hiérarchie sociale, constituent désormais leur priorité.

Les classes moyennes ont su profiter, par le passé, de la mobilité sociale, ce qui a permis à leurs enfants de pouvoir bénéficier d’un environnement favorable, d’envisager l’avenir sereinement et surtout plus longtemps. Leurs valeurs demeuraient les opportunités d'avenir et le statut social. Les élites (politiques) se sont alors retrouvées confrontées à une nouvelle identité sociale avec laquelle composer, d’autant plus que ces classes moyennes commençaient à jouer un rôle politique non-négligeable. Les élites ont fait le choix de répondre favorablement aux aspirations des classes moyennes, liées à la consommation et aux opportunités économiques. Or, nous remarquons désormais une rupture entre les élites et les classes moyennes, ces dernières ayant perdu toute confiance dans le système, et donc vis-à-vis de leurs chances de pouvoir évoluer socialement. L’heure est davantage à la suspicion plutôt qu’à l’ascension.

De quelle manière ces valeurs ont-elles façonné nos sociétés occidentales ?

Là aussi, la question doit être abordée avec une perspective historique. A partir des années 1950, et ce jusque dans les années 1980, la mobilité sociale, la poursuite des politiques bien établies dans la société à l'instar du conservatisme et du gauchisme, la consommation et l’éducation constituaient les principales valeurs caractéristiques des classes moyennes. En raison de la vague d’austérité que connaissent la plupart de nos sociétés occidentales actuellement, les classes moyennes ont relégué au second plan l’avenir de leurs enfants et la consommation pour privilégier leur survivance économique. Au fur et à mesure que leur situation se détériore, on assiste à un repositionnement de leurs valeurs. Je pense que les nouvelles valeurs actuelles des classes moyennes sont davantage portées sur la mise en avant de la communauté locale, les valeurs immatérielles et la considération des choses et des idées particulièrement originales.    

Les valeurs des classes moyennes sont-elles prises en compte par les élites ?

La question est plutôt de savoir si les élites veulent les prendre en compte et si elles peuvent réagir en apportant une réponse adaptée. Il s’agit là, bien entendu, de considérations et de stratégies politiques. Les élites ont fait en sorte que les classes moyennes et leurs enfants ne parviennent pas jusqu’à leur sommet et restent ainsi cantonnées dans leur environnement social d’origine, en les privant notamment de l’accès à certaines ressources. Cette attitude est problématique dans la mesure où la mobilité sociale demeure la principale caractéristique des classes moyennes.

Au regard des difficultés économiques actuelles, certains sociologues prédisent la disparition des classes moyennes. Quelles seraient les conséquences d’une telle disparition ?

Une société où la pauvreté augmenterait de façon significative, ce que sous-entend la disparition des classes moyennes, n’est absolument pas viable sur le plan économique. Est-ce véritablement ce que nous souhaitons ? J’en doute, d’autant plus que cela constituerait également un désastre politique et social, au regard des dommages que cela causerait au fonctionnement même de la démocratie. L'une des caractéristiques les plus importantes des classes moyennes est qu'elles incarnent, historiquement, l'opportunité de pouvoir améliorer la vie. Quelles seraient les conséquences si ce symbole social n'existait plus ?

Propos recueillis par Thomas Sila