"Ce sont les autorités israéliennes qui déterminent ma vie" - le ras-le-bol d'un chrétien de Jérusalem<!-- --> | Atlantico.fr
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"Ce sont les autorités israéliennes qui déterminent ma vie : quand je dois bouger, s’ils veulent bien que je bouge, pour combien de temps, la durée de ma permission."
"Ce sont les autorités israéliennes qui déterminent ma vie : quand je dois bouger, s’ils veulent bien que je bouge, pour combien de temps, la durée de ma permission."
©Reuters

Bonnes feuilles

Les origines et l'essence du christianisme sont de toute évidence en Orient. Pourtant ces hommes et ces femmes sont devenus au fil des ans les pestiférés des terres où ils sont nés. Focus sur Jérusalem, avec un extrait de "Chrétiens d'Orient : Voyage au bout de l'oubli" (2/2).

Marie  de Varney

Marie de Varney

Écrivain voyageur, Marie de Varney a publié des essais dont deux récits de guerre en Irak et des romans.

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Jean – appelons-le Jean, car il porte un prénom français, un prénom d’apôtre, et parle français comme la plupart des chrétiens d’un certain âge de ce pays – tient une librairie chrétienne. Une librairie ravissante, coquette et très documentée non seulement sur la vie de Jésus, mais aussi sur l’histoire de Jérusalem. Aucun risque de se méprendre, un Ave Maria hurle dans les haut-parleurs. Des ecclésiastiques noirs vont et viennent, achètent nombre livres et fascicules, comme si la foi chrétienne au fil des ans était devenue l’apanage des seuls Africains. « Ils nous maltraitent tous, mais ils ne veulent pas que cela se sache. La maltraitance sous la chape du secret. Personne ne sait ce que nous souffrons chaque jour. L’Histoire officielle veut que ce soit eux les victimes », m’explique Jean sous le sceau du secret (encore le « écrivez-le, mais ne dites pas que c’est moi qui vous l’ai dit, j’aurais de gros ennuis si vous me nommez »).

Il est très inquiet, fébrile, surveille les entrées et sorties, s’arrête de parler à l’approche d’un client. J’écris en catimini. « Ils maltraitent les chrétiens et les Palestiniens. Et comme je suis Palestinien chrétien, comme beaucoup d’entre nous, vous pouvez imaginer le pire.

Ils veulent faire croire qu’ils ont une légère préférence pour nous les chrétiens, mais que nous soyons catholiques, melkites, orthodoxes, ou musulmans, arabes, bédouins, circassiens ou arméniens, ils nous traitent tous aussi mal. Ce sont des stratégies de division, pour que nous fermions les yeux sur la façon dont ils persécutent les Palestiniens dans leur ensemble. Croyez bien que les Palestiniens musulmans en voient aussi de dures. En réalité, tous ceux qui ne sont pas juifs n’ont pas droit de cité à Jérusalem. Ils sont systématiquement ostracisés. Jérusalem-Ouest ne leur suffit pas. Pour eux, Jérusalem-Est est un territoire à conquérir, presque conquis, ils veulent la ville dans sa totalité.

Les indignations internationales n’ont aucun sens pour eux. Jérusalem, selon leurs propres termes, non seulement est “une et indivisible”, mais leur appartient, ce qu’ils ne disent pas. Nous sommes interdits de circuler, d’exister sur notre propre terre. Ils espèrent qu’à force de nous rendre la vie intenable, nous finirons par partir. C’est d’ailleurs ce qui se passe, quand nous en avons les moyens, chrétiens comme musulmans, nous prenons les jambes à notre cou. Il y a une conspiration du silence autour de ce qu’ils nous font mais nous, pauvres misérables, nous n’avons même pas droit au respect le plus élémentaire, celui de la vie privée. Nous sommes privés de notre vie privée. Vouloir garder sa vie privée revient pour eux à se déclarer ennemi d’État. Ma vie privée ne m’appartient pas, elle doit être transparente, je n’ai pas droit au secret. En fait, je n’en ai pas, c’est comme si j’avais fait quelque chose de mal et que j’étais emprisonné pour cela. Je n’ai rien fait de mal, j’ai juste eu le tort d’être né à Jérusalem avant qu’ils n’arrivent.

Je n’ai aucune autonomie ; à mon âge, je suis traité comme un enfant indiscipliné, mauvais, jamais à court de bêtises, je dois demander la permission pour tout… Que ma mère tombe malade, je ne peux me précipiter à son chevet comme n’importe quel fils aimant, car elle habite Bethléem, pourtant à côté d’ici. Je dois demander la permission de circuler dans mon propre pays. Le temps que la permission me soit accordée, que je m’y rende enfin, que je patiente à tous les check points, dans le meilleur des cas, elle sera guérie, au pire morte. Et je n’aurais pas pu rester plus d’une demi-heure auprès d’elle, car ma permission n’aurait été valable qu’une journée, jusqu’à 18 heures. De sorte qu’il faudrait que vraiment je sois très aimant, car autant de tracasseries pour une demi-heure de visite dans le meilleur des cas, c’est beaucoup demander à un homme.

Ce sont les autorités israéliennes qui déterminent ma vie : quand je dois bouger, s’ils veulent bien que je bouge, pour combien de temps, la durée de ma permission. Et ils décrètent que je ne dois rester au chevet de ma mère qu’une journée, comme c’est le plus souvent le cas, car nos familles pour elles n’ont pas à exiger plus de temps. Étant donné les check points et les mille tracasseries rencontrées sur la route, si je finis par voir ma mère, qui n’est pourtant qu’à 10 kilomètres d’ici, je ne pourrais lui accorder plus d’une demi-heure », répète-t-il exaspéré, car c’est exactement ce qui lui est arrivé quinze jours avant ma venue. « Et encore, je serais très heureux d’avoir pu la voir. On nage dans l’absurde. »

Une fois lancé, Jean ne peut plus s’arrêter. Il me parle jusqu’à la tombée du jour des blessures les plus assassines, les blessures intimes, de celles dont on ne se remet jamais et que l’on transmet.

« Nous sommes leurs prisonniers, c’est comme de vivre dans un pays totalitaire. Ils nous cadenassent au plus secret de nous-mêmes, nous ne pouvons jamais ne serait-ce qu’envisager de décider nous-mêmes ce que nous voulons faire. Nous ne pouvons rien faire. Ils nous emprisonnent dehors et dedans. Nous serons toujours leurs captifs, ils nous enferment derrière leurs murs, nous harcèlent et nous persécutent. Ma fille ne veut plus quitter sa grand-mère, ne veut plus sortir de Bethléem, car elle a été déshabillée et maltraitée dans un de ces maudits check points entre Jérusalem et Bethléem, elle n’a jamais voulu me dire exactement ce qui s’était passé…

L’humiliation continue, partout des autorisations à obtenir, des règlements bêtes et méchants auxquels il est inenvisageable de ne pas se soumettre. Comme les prisonniers, c’est à peine si nous pouvons faire le tour de la cour, même dans le côté circonscrit de Jérusalem-Est, nous ne circulons pas comme nous voulons. Nous sommes tout le temps immobiles, nous avons été immobilisés, et la peur aussi nous paralyse. On souffre tous d’un délit de sale gueule dans notre propre pays. Ils ne nous supportent pas, ils détestent les Arabes, ils nous martyrisent à tout propos jusqu’à ce que nous finissions par partir. Mais où ? C’est ici que nous sommes nés, nous sommes attachés à notre terre, celle d’avant leur arrivée. Avec tous leurs barbelés, leur mur en béton, leurs routes de contournement, comme ils disent eux-mêmes, leurs expropriations, nous ne savons plus où nous habitons. C’est leur façon à eux de nous déposséder de notre pays. À cause d’eux, nous devons toujours faire le deuil de nos terres d’enfance. Impossible d’y retourner sans être arrêté toutes les cinq minutes, impossible d’y retourner sans autorisation sollicitée des mois à l’avance. On ne retrouve plus rien, ils mettent des miradors, des engins de guerre partout, des barbelés pour le cas, disent-ils, où nous les attaquerions, mais ce sont eux qui nous agressent à longueur de jour…

Des autorisations pour bouger dans son propre pays, vous imaginez ça ? Autorisation pour aller voir un parent, autorisation pour travailler, et cela se joue dans un mouchoir de poche… En principe, les racines donnent des ailes, aucune construction n’est possible sans la reconnaissance des racines, tout le monde le sait, mais chez nous, les racines plombent les ailes, car ce gouvernement si présent et qui n’a rien à faire ici à Jérusalem-Est les étouffe ou nous coupe d’elles délibérément… Et moi encore, je suis privilégié, je suis autorisé à travailler ici, là où vous me voyez, je vends des livres qui expliquent la religion chrétienne. Cette religion chrétienne qui ose à peine dire qu’elle était là avant la création d’Israël. Personne ne conteste que Jésus soit juif, mais est-ce que cela donne le droit de faire du mal à tous ceux qui ne le sont pas ? Au contraire, c’est un message d’amour que Jésus a délivré. Il a bien dit : “Aimez-vous les uns les autres”, non ? Mais il semblerait qu’ici, au sein même de Jérusalem, ville dite “sainte”, les autorités israéliennes ne veuillent pas l’entendre… C’est l’Église à côté qui me paie, mais c’est l’État d’Israël qui m’autorise à travailler ici. S’il ne le voulait pas, l’Église ne pourrait rien. » Silence.

Il faut croire que mon visage au type pas trop arabe selon leurs critères leur convient (Jean a le teint et les yeux clairs, les cheveux châtains). Mais je ne suis pas dupe, je ne suis pas de ceux qui se laissent berner par un système qui les broie. Je ne suis pas dupe d’une politique qui favorise l’inégalité, sème la frustration, l’humiliation, le ressentiment et donc la violence. Une politique violente qui favorise la violence. Silence.

« Il n’y a de démocratie que pour les Juifs, pas pour les Arabes. Nous sommes des citoyens de seconde zone, même pas des réfugiés, des indésirables. La liberté n’est pas pour nous. » Silence. « Je parie que les Arabes sont plus libres en Europe ou aux États-Unis, et même plus libres partout ailleurs dans le monde que dans leur propre pays. » Silence. « Ils ont pris possession de tout. Même ici, près de la porte de Jaffa, ils ont mis leur drapeau, de vingt mètres sur dix, qu’ils illuminent la nuit sur les remparts. Ils nous signifient en permanence que nous ne sommes rien, que nous n’avons rien. Et la situation est pire qu’il y a vingt ans, notre espace rétrécit de jour en jour. Partout des check points, des barbelés, un mur toujours plus long qui nous encercle, c’est une prison à ciel ouvert. Nous sommes dans un stress continu. Alors que s’ils voulaient la paix, nous serions les plus heureux au sein des plus beaux paysages du monde. Ils nous livrent en douce toutes sortes de batailles, y compris sur le plan démographique. D’un côté, ils nous font partir, ils nous effacent des statistiques, et de l’autre, ils attirent des gens qui leur conviennent mieux. Des “Juifs” qui ne le sont pas forcément plus que moi. Regardez par exemple ce qu’ils ont fait avec les familles venues de l’ancienne Union soviétique, qui sont classées comme “russes” sans mention de religion. En réalité, la plupart sont des chrétiens orthodoxes, mais comme ils veulent jouir du même statut que leurs concitoyens juifs, ils vivent dans le déni ou du moins sont très discrets par rapport à leur foi. Leur religion est occultée dans les statistiques, ils sont simplement recensés comme russes. En réalité, s’ils étaient comptabilisés comme les chrétiens qu’ils sont, nous serions non pas 2 %, comme le dit le « Il n’y a de démocratie que pour les Juifs, pas pour les Arabes. Nous sommes des citoyens de seconde zone, même pas des réfugiés, des indésirables. La liberté n’est pas pour nous. » Silence. « Je parie que les Arabes sont plus libres en Europe ou aux États-Unis, et même plus libres partout ailleurs dans le monde que dans leur propre pays. » Silence. « Ils ont pris possession de tout. Même ici, près de la porte de Jaffa, ils ont mis leur drapeau, de vingt mètres sur dix, qu’ils illuminent la nuit sur les remparts. Ils nous signifient en permanence que nous ne sommes rien, que nous n’avons rien. Et la situation est pire qu’il y a vingt ans, notre espace rétrécit de jour en jour. Partout des check points, des barbelés, un mur toujours plus long qui nous encercle, c’est une prison à ciel ouvert. Nous sommes dans un stress continu. Alors que s’ils voulaient la paix, nous serions les plus heureux au sein des plus beaux paysages du monde. Ils nous livrent en douce toutes sortes de batailles, y compris sur le plan démographique. D’un côté, ils nous font partir, ils nous effacent des statistiques, et de l’autre, ils attirent des gens qui leur conviennent mieux. Des “Juifs” qui ne le sont pas forcément plus que moi. Regardez par exemple ce qu’ils ont fait avec les familles venues de l’ancienne Union soviétique, qui sont classées comme “russes” sans mention de religion. En réalité, la plupart sont des chrétiens orthodoxes, mais comme ils veulent jouir du même statut que leurs concitoyens juifs, ils vivent dans le déni ou du moins sont très discrets par rapport à leur foi. Leur religion est occultée dans les statistiques, ils sont simplement recensés comme russes. En réalité, s’ils étaient comptabilisés comme les chrétiens qu’ils sont, nous serions non pas 2 %, comme le dit le« Il n’y a de démocratie que pour les Juifs, pas pour les Arabes. Nous sommes des citoyens de seconde zone, même pas des réfugiés, des indésirables. La liberté n’est pas pour nous. » Silence. « Je parie que les Arabes sont plus libres en Europe ou aux États-Unis, et même plus libres partout ailleurs dans le monde que dans leur propre pays. » Silence. « Ils ont pris possession de tout. Même ici, près de la porte de Jaffa, ils ont mis leur drapeau, de vingt mètres sur dix, qu’ils illuminent la nuit sur les remparts. Ils nous signifient en permanence que nous ne sommes rien, que nous n’avons rien.

Et la situation est pire qu’il y a vingt ans, notre espace rétrécit de jour en jour. Partout des check points, des barbelés, un mur toujours plus long qui nous encercle, c’est une prison à ciel ouvert. Nous sommes dans un stress continu. Alors que s’ils voulaient la paix, nous serions les plus heureux au sein des plus beaux paysages du monde. Ils nous livrent en douce toutes sortes de batailles, y compris sur le plan démographique. D’un côté, ils nous font partir, ils nous effacent des statistiques, et de l’autre, ils attirent des gens qui leur conviennent mieux. Des “Juifs” qui ne le sont pas forcément plus que moi. Regardez par exemple ce qu’ils ont fait avec les familles venues de l’ancienne Union soviétique, qui sont classées comme “russes” sans mention de religion. En réalité, la plupart sont des chrétiens orthodoxes, mais comme ils veulent jouir du même statut que leurs concitoyens juifs, ils vivent dans le déni ou du moins sont très discrets par rapport à leur foi. Leur religion est occultée dans les statistiques, ils sont simplement recensés comme russes. En réalité, s’ils étaient comptabilisés comme les chrétiens qu’ils sont, nous serions non pas 2 %, comme le dit le Bureau israélien des statistiques, mais 8 %. Évidemment, cela n’aurait pas la même signification, ce serait plus difficile pour eux de nous occulter, de nous martyriser… Si je reste à l’intérieur des murs, les choses sont à peu près supportables, mais dès que j’en sors, je suis agressé. Je suis quelqu’un d’enfermé dans un sac que l’on pique de toutes parts. Quand enfin, il se libère, il ne peut que rugir. Le plus grand des pacifistes, Gandhi en personne, aurait la même réaction.

Je n’ai pas vu mon père depuis vingt-huit ans, il est parti en France, il est très âgé maintenant et j’ai peur qu’il meure loin de moi, ni ma soeur qui est aux États-Unis depuis trente-neuf ans. Je ne pense pas les revoir un jour. Dès que l’on part de ce pays, on devient un étranger. Impossible d’y revenir. Quand ma fiancée a pris la nationalité israélienne pour devenir ma femme, il a fallu qu’elle déclare sous serment : “je veux être honnête pour Israël” à la mairie. Mais qui est malhonnête ? Elle s’est exécutée ; malgré tout, elle ne peut circuler. Tout est un problème, à l’aéroport aussi. Les personnes qui veulent aller à Jérusalem lorsqu’ils habitent à Bethléem sont davantage pénalisées, c’est deux heures au lieu d’une demi-heure au check point… »

Extrait de "Chrétiens d'Orient : Voyage au bout de l'oubli", Marie de Varney, (François Bourin Editeur), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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