10% de dérapage du déficit entre l'élaboration et la validation finale du budget 2012 : l'Etat a-t-il un problème chronique d'incompétence budgétaire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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C'est le grand dérapage entre l'élaboration et la validation du budget 2012 : près de 8 milliards d'euros de différence.
C'est le grand dérapage entre l'élaboration et la validation du budget 2012 : près de 8 milliards d'euros de différence.
©Reuters

Autopsie d'un désastre

Initialement prévu à 80 milliards en octobre 2011, le déficit pour l’année 2012 s’est établi à 87,2 milliards, soit un dérapage de près de 8 milliards d'euros. Un fait suffisamment récurrent pour qu'il pose au question au moment où les Français sont appelés à se serrer la ceinture.

Éric Verhaeghe et Gérard Thoris

Éric Verhaeghe et Gérard Thoris

Éric Verhaeghe est l'ancien Président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr   Diplômé de l'ENA (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un DEA d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé une Analyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (Sociétal, Revue française des finances publiques…).

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Atlantico : Les comptes de l'année 2012 doivent être approuvés par l'Assemblée nationale ce mardi. La loi de finance 2012, discutée dès le printemps 2011, prévoyait de faire passer le déficit public sous la barre des 3% dès 2013. Un objectif fixé par la précédente majorité et que François Hollande avait repris à son compte. Fin 2012, il était de 4,8%. Comment expliquez-vous ce dérapage du déficit public ? Que s'est -il passé entre 2011 et 2013 ? Pourquoi la France a-t-elle été obligée de renoncer à ces objectifs ?

Eric Verhaeghe : En fait, la France est prise en tenaille entre l'augmentation des dépenses et la baisse des recettes. La baisse des recettes s'explique assez naturellement par la récession que nous vivons. Le paradoxe tient d'ailleurs au fait que plus on augmente les impôts, moins ils rendent, selon le fameux principe émis par Lafer. Le phénomène se produit aussi mécaniquement pour notre système de protection sociale, dont le produit est très lié à l'emploi. Quand le chômage monte, la sécurité sociale est à la peine, car ses cotisants se dissipent comme la brume. En revanche, ses bénéficiaires augmentent. C'est l'effet pro-cyclique de la Sécurité sociale, qui alourdit par construction le déficit public en cas de crise, puisque sa fonction est de protéger ses bénéficiaires contre les aléas de la vie - et la crise économique en est un. De même, toutes les dépenses publiques de solidarité augmentent en cas de crise. C'est une véritable épreuve pour les communes et les départements, qui sont les premiers maillons de la solidarité publique.

Toute cette description occulte néanmoins une question importante : pourquoi l'Allemagne est-elle en situation d'excédent budgétaire avec un taux de chômage à 5%, quand nous avons dilapidé en un an 30 milliards de dettes supplémentaires pour un chômage au-dessus de 10% ? Au-delà des constats, il y a des choix (ou des non-choix, s'agissant de la France) et des responsabilités.

Gérard Thoris : Entre les prévisions initiales pour 2012 (4,5%) et le déficit effectif (4,8%), le glissement est de 0,3 points de PIB. En fait, au niveau du budget général, les objectifs de stabilisation de la dépense sont tenus jusqu’en septembre. Après quoi, les dépenses dérapent de 8 milliards. Cela suffit globalement à expliquer l’écart observé.

Bien entendu, le budget 2012 avait été voté avec des hypothèses exagérément optimistes. De la prévision à 1,75% à une croissance effective nulle, la chute a été brutale. Mais il était possible de réagir immédiatement, dès le 6 mai par exemple.

Quelle sont les parts de responsabilité respective de la précédente majorité et de l'actuel gouvernement dans ce dérapage ? Le changement de politique économique explique-t-il en partie cette situation ?

Eric Verhaeghe : Par souci d'objectivité, il faut quand même dire que la prévision de 3% pour 2013 était purement théorique. Rien ne prouve qu'elle était tenable en l'état. En revanche, ce qui est sûr, c'est que la discipline s'est relâchée avec l'arrivée de la nouvelle majorité présidentielle, au nom de la paix sociale et de l'éloge implicite des bisous. Pour parvenir à 3%, il fallait en effet imposer une cure d'austérité très dure aux administrations, et probablement revoir le périmètre d'intervention de l'Etat, de la sécurité sociale, et des collectivités locales. Cette cure d'austérité est un facteur de stress pour la société tout entière, et une source d'immense impopularité. François Hollande, qui est entouré de fonctionnaires, le savait : l'une de ses premières mesures a consisté à arrêter nette la revue générale des politiques publiques (RGPP), qui visait à piloter le cost-killing dans les services de l'Etat. Il l'a remplacée par une fumeuse modernisation de l'action publique, supposée apporter de l'intelligence là où régnait la bêtise, et dont on attend de voir les effets.

Personnellement, je n'ai jamais beaucoup aimé la RGPP qui m'a toujours paru constituer un marché salvateur pour des grands cabinets de conseil frappés par la crise, plutôt qu'une stratégie réfléchie de remise à plat de l'Etat dans la durée. Je suis d'ailleurs convaincu qu'en fouillant un peu, on s'apercevrait que la RGPP a augmenté les coûts dans certains cas, a pénalisé la croissance dans d'autres. Par exemple, la RGPP a favorisé la concentration des achats de l'Etat, là où il faudrait faire une place aux TPE et aux PME. 

Il n'en reste pas moins que la RGPP avait le mérite d'exister et de sensibiliser les fonctionnaires à l'importance des économies. Depuis, les dépenses de l'Etat sont reparties à la hausse. Surtout, on a laissé croire qu'au fond la RGPP avait été un caprice de l'équipe précédente, et qu'il suffisait de résister et de pleurnicher sur ses malheurs pour échapper à la réduction des coûts.

Gérard Thoris : En France, quelle que soit la majorité, la croissance est considérée comme un don de l’Etat. Et ce don passe par la magie du déficit budgétaire. Par contre, l’idée qu’il puisse être efficace d’améliorer l’autofinancement des entreprises en leur laissant la jouissance des profits qu’elles génèrent du fait même des services qu’elles rendent aux consommateurs est toujours aussi difficile à admettre.

Qu’on se souvienne de Nicolas Sarkozy qui imagine encore modifier le partage de la valeur ajoutée au bénéfice des salariés. Le 5 février 2009, il estime qu’« il faut réfléchir à l’introduction de la règle des trois tiers dans le partage des bénéfices des entreprises ». Il s’agit de partager les profits entre les actionnaires (dividendes), les salariés (participation) et l’entreprise (autofinancement). Pour stimuler la réflexion, il commande un rapport à Jean-Philippe Cotis, directeur de l’INSEE avec l’objectif de « refonder notre modèle économique et social sur une éthique, celle du travail et d’un partage des richesses produites plus juste et plus efficace » (« Lettre de mission du 23 février 2009). Le rapport n’a pas du plaire à son commanditaire car il a démontré que, en France, le taux de marge des entreprises (part de la rémunération du capital au sens large dans la valeur ajoutée) était anormalement faible. L’affaire fut ainsi terminée… sans penser qu’il était possible d’essayer de corriger cette anomalie.

François Hollande est beaucoup plus volontariste. Ces profits que les entreprises dégagent, c’est l’Etat qui en est le réel propriétaire et c’est normal qu’il les récupère par l’impôt, « au nom de la justice sociale ». On ne prendra qu’un exemple. La contribution exceptionnelle sur la fortune pour les patrimoines de plus de 1,3 millions d’euros est supposée rapporter 2,3 milliards d’euros. On imagine bien que des membres de la famille Peugeot ont dû faire un chèque significatif. C’est autant de moins qu’ils ont envie de mettre dans l’augmentation de capital dont l’entreprise a besoin. C’est autant de plus que l’Etat peut contrôler à travers la garantie accordée à l’organisme de financement de l’entreprise !

Plus globalement, comment faire la part des choses entre les causes conjoncturelles et structurelles ?

Eric Verhaeghe : Sur ce point, je crois que rien ne sert d'épiloguer car chacun pinaillera toujours sur sa version des faits. En outre, tout le monde sait que la politique de la poussière du déficit sous le tapis budgétaire est un sport pratiqué à Bercy depuis 30 ans, et qui ne date pas de la gauche.

En revanche, je propose une méthode de remplacement très simple: la France doit revenir à un budget en équilibre primaire. Autrement dit, les comptes publics devraient être à l'équilibre hors services de la dette. De cette façon, nous serions sûrs que la dette ne se creuse pas et que l'Etat est redevenu vertueux, car il n'aurait plus besoin d'emprunter pour couvrir ses dépenses courantes. Tout le sujet me semble bien contenu dans ce problème : même si la France avait une charge de la dette minime, même si elle obéissait aux critères de Maastricht, l'Etat est tellement mal géré qu'il doit emprunter pour payer les fonctionnaires et le chauffage dans les bureaux.

On touche ici du doigt la différence entre conjoncturel et structurel : que, de façon épisodique, on doive emprunter pour faire face à un choc économique ou pour investir, pourquoi pas. Mais, que de façon structurelle, l'Etat doive emprunter pour boucler ses dépenses courantes, il y a là un problème de fond.

Gérard Thoris :La Loi organique relative aux lois de finances (LOLF), pour laquelle Alain Lambert et Didier Migaud s’étaient battus, devait représenter un nouveau point de départ dans la gestion du budget de l’Etat en France. Pour la première fois, programme par programme, les dépenses devaient être votées au premier euro. C’était une occasion exceptionnelle pour faire ce que, dans les entreprises privées, on appelle de la "réingénierie". Il s’agit d’étudier comment rendre le service le plus efficace au meilleur coût en révisant toutes les étapes de la procédure de production. Dans un certain sens, c’est ce que voulait faire Nicolas Sarkozy avec la Révision générale des politiques publiques. On sait que le programme a plutôt accouché d’une souris, au regard des besoins d’économie aujourd’hui mentionnés. Mais il aurait fallu lui donner un second souffle en tenant compte des critiques éventuellement légitimes auxquelles il a donné lieu. Au contraire, François Hollande a préféré la supprimer… pour la remplacer bientôt par un programme de Modernisation de l’action publique (MAP). Si l’on en croît Le Monde, il s’agit « surtout de permettre de dégager de nouvelles économies budgétaires » (18 décembre 2012). Bref, après la réingénierie, la simple réduction de coûts ou, pour le dire en anglais, le cost killing !

Comment expliquer les erreurs récurrentes de prévision ? Les gouvernements pilotent-ils sciemment à l'aveugle ? Et comment expliquer que l'Assemblée nationale vote systématique des budgets qui finalement ne sont pas respectés ?

Eric Verhaeghe : L'Assemblée nationale ne fait pas que cela ! Elle vote aussi chaque année des budgets en déficit, jusqu'à en faire une religion. Songez que le président de l'Assemblée, Claude Bartolone, est élu sans discontinuer depuis 1981. Et de toute sa carrière politique, il n'a jamais voté un budget en équilibre... Je prends cet exemple pour illustrer la façon dont les lois de finances sont fabriquées : elles ne visent pas à la sincérité budgétaire - grand principe des finances publiques qui a été englouti avec le laxisme budgétaire en vigueur dans ce pays depuis 1975. Elles visent à rendre un premier arbitrage entre les ministères qui ne veulent rien lâcher. A charge pour le gouvernement de repasser un collectif en cours d'année pour corriger le premier tir, forcément imprécis. Pendant ce temps, Bercy gèle des crédits en prévision des pots cassés du second semestre.

On ne dira jamais assez combien ce système est malsain. Aucun ministère n'a en effet un intérêt objectif à pratiquer des économies. S'il dispose d'un bas de laine, il risque en effet de tenter Bercy qui pourrait le redistribuer aux autres, en loi de finances rectificative. L'enjeu des ministères consiste donc à dépenser le plus possible le plus vite possible.

Gérard Thoris : On doit effectivement s’interroger sur la sincérité de la démocratie parlementaire telle qu’elle se vit. Le président « relativise les prévisions pessimistes de croissance du FMI pour la France » (Le Monde du 10 octobre 2012) puis maintient la prévision gouvernementale à 0,8 % (contre 0,4% pour le FMI). Puis, le 15 mai, il juge « probable » une croissance « nulle » pour 2013. Evidemment, le gouvernement s’aligne avec fidélité, voire allégeance, quitte à avoir quelques problèmes de conscience. Du moins, c’est ce que Jérôme Cahuzac laisse entendre lorsqu’il dit : « On me dit que j'ai menti sur ma situation personnelle. Cela veut dire quoi ? Qu'il y aurait des mensonges indignes et d'autres qui seraient dignes ? Quand on ment sur ordre, et pour des raisons politiques, à l'Assemblée, est-ce digne ? A ce compte-là, j'ai menti devant l'Assemblée, sur la possibilité de réaliser 3% de déficit en 2013 ». Enfin, le député de base est contraint par le vote de groupe. Il n’a qu’une conscience, celle du Parti ! Sinon, sa prochaine investiture risque d’être difficile à obtenir.

Le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Gilles Carrez, accompagné d'une quinzaine de députés de l'opposition ont présenté mardi 25 juin un document qui prévoit pour cette année un déficit de l’État de 80 milliards d'euros en fin d'année, au lieu des 61,6 milliards prévus par la loi de finances, soit un trou de 20 milliards d'euros. A quelles conditions peut-on envisager une sincérité des comptes publics ?

Eric Verhaeghe :La question est en fait de savoir comment revenir aux principes de finances publiques des années 1950 et 1960 qui furent ceux de la prospérité. Il me semble qu'ici nous touchons à un problème essentiel : l'Etat est devenu incontrôlable. Je ne pense pas qu'il existe une intelligence humaine capable d'en venir à bout. Le réformer est une gageure. La machine est trop lourde, trop foisonnante, trop sophistiquée pour être maîtrisée. Avec la meilleure volonté du monde, je ne sais pas qui serait capable de faire un budget sincère.

Ce dérapage structurel pose un vrai problème. Il est très probable qu'un ajustement brutal, un vrai choc de simplification, au sens premier du terme, s'impose pour sauver la République de sa folie bureaucratique. 

Pourquoi le gouvernement refuse-t-il le collectif budgétaire réclamé par l’opposition, qui aurait fait toute la clarté sur les comptes à mi-année ?

Eric Verhaeghe :  Vous devriez le demander à Moscovici. Mais peut-être... qu'une explication montrerait que la réalité est pire qu'on ne l'imagine. Les dépenses de fonctionnement de l'Etat augmentent beaucoup plus que ne le dit le ministère des Finances. Il est donc plausible que le déficit des comptes publics soit très au-dessus de 4% en fin d'année. Pour ma part, je suis assez convaincu qu'il sera beaucoup plus proche de 4,5% que de 4%. C'est-à-dire qu'en un an, la France aura fait du surplace, grâce à son immense capacité à disserter de tout et de rien sans jamais bouger les choses.

Il faut suivre de près les économies annoncées par le gouvernement. Si elles échouent, je prends les paris que nous serons proches des 4,5%. Et elles ont toutes raisons d'échouer, car il me semble que la machine bureaucratique a décidé de ne plus obéir. 

Certains politiques ont tendent à voir dans l'obsession de la réduction des déficits la cause d'une spirale "récessionniste" qui ne fait qu'accroître l'endettement. Y a-t-il une part de vérité dans cette allégation ?

Eric Verhaeghe : Je ne pense pas que le problème auquel nous sommes confrontés soit un problème d'impact économique des décisions. Celui-ci existe probablement, mais il ne doit pas servir de caution à la démission managériale et à l'ivresse folle du bateau Etat. Nous sommes en démocratie, c'est-à-dire dans un régime politique où les fonctionnaires ne font pas la loi mais y obéissent, et où les fonctionnaires rendent compte sur leur gestion. Qui a ces comptes aujourd'hui?

Politiquement, il faut que les citoyens reprennent le contrôle de l'administration, c'est-à-dire qu'ils comprennent ce qui s'y passe, et qu'ils retrouvent le droit d'orienter son action.

Gérard Thoris : La spirale actuelle est d’abord déflationniste. Les prix industriels sont orientés à la baisse, ce qui laisse peu de place à l’investissement, malgré la faiblesse des taux d’intérêt. Donc, la politique monétaire est inefficace. Ensuite, pour des raisons multiples, dont la pression de la Commission européenne mais, à défaut, la pression des marchés financiers, la politique budgétaire est récessionniste. Bref, il y a peut-être un pilote dans l’avion, mais le Policy mix est contre-productif. Evidemment, il y aurait une sortie par le haut : celle de la reprise des dettes publiques par la Banque centrale européenne puis, dans un second temps, leur remise. Mais cela est conditionné par l’engagement, à terme, de l’équilibre budgétaire. Pour que la croissance revienne, il faudrait alors une conversion de nos élites politiques afin qu’elles accordent une reconnaissance verbale et non verbale aux entrepreneurs : oui, ils sont la véritable source de la croissance ! Oui, la sortie de crise passe par l’accumulation du capital et, pour reprendre une formule qui a fait le succès de l’Allemagne, qui a été un million de fois commentée en France sans véritable commencement d’application : « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». C’était par le chancelier Helmut Schmidt, et c’était en 1974 !

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