Délinquance : la moitié des mises en cause à répétition à Paris concerne des mineurs, à qui la faute? <!-- --> | Atlantico.fr
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Surveillant de la prison française pour mineurs (EPM) de Meyzieu, près de Lyon.
Surveillant de la prison française pour mineurs (EPM) de Meyzieu, près de Lyon.
©Reuters

Pointés du doigt

Selon l'Observatoire national de la délinquance, plus de la moitié des "multi mis en cause" en région parisienne sont des mineurs, 32% ont moins de 16 ans.

Francis Bailleau et Christophe Soullez

Francis Bailleau et Christophe Soullez

Francis Bailleau est sociologue et directeur de recherche au CNRS. Il est l'auteur de La justice pénale des mineurs en Europe aux éditions l’Harmattan.

Christophe Soullez est criminologue et dirige le département de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Il est l'auteur de "Histoires criminelles de la France" chez Odile Jacob, 2012 et de "La criminologie pour les nuls" chez First éditions , 2012.

 

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Atlantico : Selon une étude de l'Observatoire national de la délinquance, plus de la moitié des "multi mis en cause" en région parisienne sont mineurs, et 32% ont moins de 16 ans (sur un échantillon de 1508 personnes). Peut-on dire aujourd'hui que les très jeunes sont peu ou mal pris en compte par la justice et la société ? Traitons-nous de manière adaptée ce type de violence ?

Francis Bailleau : Il faut tout d'abord nuancer les résultats de cette étude. Quand on s'intéresse aux détails de ces conclusions, à part un ou deux profils types de délits pour lesquels les mineurs occupent une place importante -notamment les vols - ils sont très peu représentés dans la délinquance grave. Ainsi, sans vouloir minimiser le phénomène, il est nécessaire de le préciser. Ce qui est davantage difficile à prévenir, c'est que chez les mineurs en phase de crise, il y a une délinquance compulsive au moment de cette crise, généralement une addition de délits très caractérisés - vols, plus généralement des vols de véhicules ainsi que les vols avec violence et les dégradations - et sur une très courte période. La majorité de la population mineure délinquante est correctement prise en charge et disparaît si elle est traitée rapidement par le parquet ou le Juge des enfants, mais une petite minorité perdure. La délinquance des adultes est beaucoup plus importante que celle des mineurs, et la gravité des infractions n'est pas, sauf cas exceptionnel, comparable … Heureusement !


Christiane Taubira évoquait notamment deux remèdes à la délinquance des mineurs : "la prévention et l'éducation". Peut-on dire qu'il y a une crise de l'autorité parentale ? Si oui, quelle en est l'ampleur ?

Christophe Soullez : Les causes de la délinquance des mineurs sont multiples. Il est clair que l’absence de l’autorité parentale peut être considérée comme l’une d’elles. L’absence de repères familiaux et le manque d’encadrement éducatif sont des facteurs communs à la plupart des jeunes délinquants. Leur socialisation n’a pas fonctionné et les instances qui en avaient la charge (la famille, l’école) n’ont plus prises sur ces individus. Certains parents sont souvent dépassés par le comportement de leurs enfants. L’absence d’autorité au sein de la cellule familiale va induire le refus de la discipline par l’enfant qui n’a pas conscience des limites à ne pas franchir. N’ayant pas été élevé dans un cadre familial rigoureux où des règles sont expliquées, puis imposées, le jeune n’aura comme seuls repères que ceux extérieurs à son environnement familial. La structure familiale ne joue alors plus son rôle

L’absence de "norme" dans le milieu familial rend donc difficile le processus d’individualisation et de construction personnelle de l’enfant, celui-ci ayant besoin de faire l’apprentissage de la frustration et de trouver des limites à ses désirs de transgression. Il est nécessaire que l’enfant vive avec le monde adulte des relations structurantes fondées sur des références et des normes socialisantes ce qui n’est plus le cas dans nombre de familles. Dans ces dernières, l’adulte, s’il est présent physiquement, ne l’est plus moralement. Ce déficit de l’autorité parentale est d’autant plus fort que les familles monoparentales augmentent et que le parent qui a la charge d’élever ses enfants se retrouve confronté à une situation difficile, tant économiquement que psychologiquement.

Cette absence d’autorité parentale est parfois liée à une situation sociale dégradée où l’un des deux parents, voire les deux, est exclu socialement de la société. Une exclusion financière mais également culturelle. Dans certaines familles, les parents n’assurent plus la fonction de modèle. Leurs enfants rejettent l’image renvoyée par leur père qui, soit est au chômage, soit occupe un emploi sous-qualifié. De surcroît, peu intégrés socialement et culturellement, les parents n’auront pas cette fonction de stimulation qui permet de pousser un enfant à réussir.

Si les jeunes ne voient plus en leurs parents des modèles à suivre, ils se retournent alors vers les autres adultes du quartier et, notamment, les aînés. L’influence des grands frères a souvent été mise en avant pour essayer de canaliser le comportement des plus jeunes. Si, la réussite légale d’un jeune peut servir de modèle, en sens inverse, une réussite reposant sur des actes délinquants aggrave la situation. Il n’est pas rare de constater que, dans certaines familles, le frère, sorti de prison, est considéré comme un héros, ou que celui ramenant de quoi vivre à toute la maisonnée, quels que soient les moyens utilisés, devient un exemple. Le chef de famille est alors relégué au second plan. Les plus jeunes se tourneront ensuite vers leurs frères qui, eux, aident la famille à vivre ou à survivre.

Quelle est la part de responsabilités du système éducatif ? La prévention de la délinquance juvénile a-t-elle échoué dans sa mission ? 

Christophe Soullez : L'école apparaît souvent comme une contrainte, un lieu de passage obligé pour devenir adulte et se préparer en vue d'avoir une bonne situation professionnelle. Mais, si l’école est un lieu d’instruction et de formation intellectuelle, c’est également l’endroit où l’adolescent passe la plus grande partie de son temps. C’est à l’école que l’on se socialise, que l’on apprend le respect, la vie en communauté et des règles de discipline. C’est également à l’école que l’on côtoie des adultes qui ne soient pas des membres de la famille. Ainsi, l’école est l’anti-chambre de la société adulte. Un bon parcours scolaire conduira quasi automatiquement à une bonne intégration dans la vie adulte. En revanche, un échec scolaire, pour peu qu’il soit persistant, aura des conséquences souvent catastrophiques sur la socialisation de l’enfant. Milieu formateur, l’école peut malheureusement devenir, comme la famille, un élément de marginalisation sociale. La carence éducative des parents peut entraîner une inadaptation scolaire qui se traduira progressivement par une inadaptation sociale.

Pour certains jeunes, la représentation de l’école comme une forme de travail (forcé !) et non comme un moyen de se former et de se préparer à la vie adulte entraîne plusieurs conséquences : un absentéisme scolaire élevé, une passivité des élèves, une sous-estimation de l’utilité du travail personnel à la maison, une interprétation de l’échec scolaire comme la manifestation de l’incompétence de l’enseignant et non comme la conséquence d’une participation insuffisante aux activités scolaires. 

Cet échec scolaire sera d’autant plus important que l’environnement de l’enfant sera dégradé : absence de lieu personnel où travailler calmement et d’un "modèle" familial, influence des pairs, etc. Le fait que certains jeunes majeurs, délinquants notoires, "pavoisent" dans la rue en affichant des signes extérieurs de richesse, alors même que chacun sait que leur argent provient d’un trafic illicite ne peut que renforcer le sentiment du jeune quant au caractère superfétatoire de l’instruction.

Moins l’adolescent pourra se réaliser dans des activités légales gratifiantes, plus il pourrait être tenté de faire carrière dans la délinquance. De la même façon, plus le travail sera inintéressant, répétitif et mal rémunéré, plus la délinquance pourra devenir une solution de remplacement. C’est la théorie des opportunités.

L’école a donc bien entendu un rôle majeur à jouer et doit retrouver sa fonction stimulatrice et socialisante. Pour ce faire il faut aussi admettre que la discipline, l’apprentissage des règles et le respect des autres doivent être des valeurs essentielles transmises par le corps enseignant au même titre que la transmission des savoirs.

Francis Bailleau :  Il est évident que le  système éducatif, traite mal ses jeunes, certains de ses jeunes, en particulier ceux qui sont dans des situations sociales ou familiales difficiles, ceux qui sont fragiles ou fragilisés par des situations de précarisation. Il est totalement anormal qu'un pays tel que la France ait plus de 100 000 jeunes qui sortent de l'école sans diplôme ni qualification. Ces jeunes qui ont été déscolarisés, souvent depuis plusieurs années, sont très difficilement réintégrables au sein d'une structure scolaire banalisée. L’exemple des EPM (Etablissement Pénitentiaire pour les Mineurs) montre que la réelle solution n’est pas d’essayer de régler le problème lorsque le jeune a été incarcéré mais qu’il faut qu’il existe, avant cet ultime pallier, une réelle prise en charge éducative, la case prison n’est pas en capacité de régler les problèmes qui se sont accumulés avant l’incarcération. D'autant plus que la durée moyenne de l’incarcération des jeunes est d’environ de 2 mois et qu’il est impossible, dans une majorité, de cas de reprendre une scolarité ou une formation si après cette période d’incarcération le jeune n’est plus pris en charge, soutenu d’une manière intensive, ce qui malheureusement est trop souvent le cas. 

La Justice n'a-t-elle pas fait preuve d'angélisme quant à ce phénomène ? En a-t-elle vraiment pris la mesure ?  

Francis Bailleau : Sans être angélique, il est difficile d'affirmer que la justice des mineurs est  laxiste. Cette délinquance des jeunes est prise en charge par la justice des mineurs, mais chacun peut comprendre que l’unique solution n’est pas la privation de liberté, ce n’est pas la meilleure solution pour une prise en charge réellement éducative d’autant plus qu' il est très difficile de justifier une mise en détention pour un simple vol – le délit le plus fréquent pour les jeunes - même s'il ne s'agit pas de minimiser cet acte. Par contre, la justice se trouve surtout démunie face à certains systèmes "mafieux" dans la région parisienne, notamment les réseaux de l'Est pour les jeunes filles qui pratiquent des vols à répétition. 

Néanmoins, 90 % des jeunes qui passent une fois devant la justice ne récidivent pas. Les jeunes, la plupart du temps, sont des jeunes dans des situations sociales difficiles en particulier par rapport à leur scolarité.  90 % des jeunes délinquants récidivistes sont dans ce cas. Ils ont quitté l'école à 13 ans, voire même avant. Aujourd'hui, ce problème est très mal traité. Cette population en flottement, qui n’est ni à l'école ni en formation et ni au travail n'est pas correctement prise en charge. Ce qui manque davantage que les réponses pénales sanctions , ce sont les réponses pénales éducatives. Là, les budgets ont été très réduits ces dix dernières années, notamment pour la prise en charge judiciaire en milieu ouvert ou en foyer et certaines réponses sont aujourd’hui très difficiles à mettre en œuvre par les magistrats - notamment les mesures d'observation -  principalement en raison des limitations budgétaires ; alors même qu’elles sont indispensables pour prendre la bonne décision au bon moment, c'est-à-dire celle qui mettra un terme à l’escalade, à la récidive. Quelquefois, les juges peuvent attendre jusqu'à trois ou quatre mois qu'un service éducatif ait de la place pour recevoir un jeune. Les restrictions budgétaires ont appauvrit les outils à la disposition de la justice.

Pour le moment Christiane Taubira se trouve plutôt dans l'attente. La seule chose qui a été faite a été la suppression des tribunaux correctionnels pour les jeunes de 16 ans et plus, mais cela concernait environ 15 personnes la première année, ce n'est donc pas un grand manque... Il est nécessaire d'envisager un rééquilibrage budgétaire afin que les moyens d'appréhension du comportement des jeunes et les types de prises en charge soient adaptés à chaque cas après une bonne analyse de la situation et non dictés par des impératifs budgétaires.


Christophe Soullez : Il est vrai que, parfois, les sanctions peuvent être inadaptées ou être prononcées bien trop tard après la commission des faits. Pour que la sanction soit efficace il est indispensable qu’elle soit bien comprise par le jeune, suffisamment dissuasive donc parfois plus ferme qu’elle ne l’est encore aujourd’hui,  énoncée le plus rapidement possible (un adolescent a vite tendance à passer à autre chose et une sanction arrivant 6 mois après la première procédure ne revêt plus aucun sens) et surtout mise à exécution. 

Y a-t-il, plus généralement, un manque de réponses pénales face à la délinquance des très jeunes "multi mis en cause" ? 

Christophe Soullez : En France la législation pénale qui s’applique aux mineurs est en effet plus souple que pour les majeurs. Cela ne veut pas dire que les mineurs délinquants ne peuvent pas être sanctionnés mais qu’ils font l’objet d’un traitement particulier devant mieux prendre en compte leurs personnalités et la fragilité qui est la conséquence de la minorité. 

Il est également indispensable que les magistrats tiennent compte de l’environnement et du contexte du passage à l’acte. Si le principe de l’individualisation de la peine doit être préservé il est pourtant nécessaire que le juge ne se contente pas d’un simple examen de personnalité mais prenne aussi en compte le comportement du jeune dans son quartier, son appartenance à une bande ou à un groupe, ses antécédents du point de vue policier, etc. 

Il faut enfin que chaque infraction fasse l’objet d’une réponse. Il n’y a pas de petite ou de grande infraction. La transgression de la loi doit absolument recevoir une réponse crédible et visant à décourager la réitération. Car c’est justement si ces deux éléments ne sont pas réunis que le sentiment d’impunité se développera. Si la réponse est absente, si la sanction est disproportionnée, si la peine est peu dissuasive, et si elle n’est pas exécutée, pourquoi, alors, le jeune mineur arrêterait de commettre des délits ?

Il ne faut pas non plus perdre de vue que de nombreux jeunes mineurs sont exploités par des adultes. Ainsi si certains jeunes mineurs commettent des vols (cela reste l’infraction la plus caractéristique des délits pour lesquels les mineurs sont mis en cause) c’est parce qu’ils agissent sous l’emprise de réseaux criminels. Dans ce cas ils sont obligés de voler sauf à être victimes de représailles (violences) de la part des commanditaires. La lutte contre la délinquance des mineurs passe donc aussi par celle contre les organisations criminelles. C’est aussi en démantelant des réseaux et en évitant que des adultes, profitant parfois sur les failles de notre système, utilisent des mineurs, que nous pourrons éviter que certains d’entre-eux ne deviennent des multi réitérants. 

Par contre il est clair qu’aujourd’hui, face à certains mineurs multi-réitérants, et notamment ceux de nationalité étrangère à l’origine de nombreux vols simples et intégrés aux réseaux sus visés, nous sommes encore très démunis en termes de réponse. Tout reste, en l’espèce, à inventer car, a priori, la réponse que nous apportons aujourd’hui n’est pas suffisante.

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