Création d’un parquet financier : ce qu’on peut attendre de la loi <!-- --> | Atlantico.fr
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Dans le cadre des mesures pour la moralisation de la vie politique, le projet de loi contre la fraude fiscale est présenté à l'Assemblée nationale.
Dans le cadre des mesures pour la moralisation de la vie politique, le projet de loi contre la fraude fiscale est présenté à l'Assemblée nationale.
©Reuters

Utile ?

L'Assemblée nationale étudie le projet de loi, présenté par Christiane Taubira, relatif à la création d'un parquet financier qui aurait pour mission de lutter contre la fraude fiscale. Le gouvernement assure son utilité et son indépendance, cependant l'impact sur le combat contre les évadés fiscaux ne semble pas si important.

Virginie Valton et  Jean-Claude Magendie

Virginie Valton et Jean-Claude Magendie

Virginie Valton est vice présidente de l'Union Syndicale des Magistrats (USM).

Jean-Claude Magendie est premier président honoraire de la Cour d’appel de Paris et expert associé de l'Institut pour la Justice.

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Atlantico : dans le cadre des mesures pour la moralisation de la vie politique, le projet de loi contre la fraude fiscale est présenté à l'Assemblée nationale. Ce projet, propose entre autres, la création d'un parquet financier qui sera compétent pour lutter contre la corruption et la fraude fiscale. Les moyens financiers et humains qu'il est prévu de déployer vous semblent-ils adaptés à l'enjeu ? 

Virginie Valton : La question des moyens réels de ce parquet n'est pas réellement évoquée. Au delà du poste du Procureur financier lui-même qui ferait l'objet d'une nomination spécifique à ces fonctions, rien ne permet en l'état de savoir si les magistrats et fonctionnaires seraient affectés directement à ce parquet, ou nommés à Paris, puis orientés vers le parquet financier.
Dans cette dernière hypothèse, le procureur de Paris et le procureur financier auraient donc à s'accorder sur la répartition des moyens, le Procureur général pouvant trancher en dernier ressort. Par ailleurs, il ne suffit pas de créer des postes pour qu'ils soient pourvus, 380 postes de magistrats étant actuellement vacants en France, et 1400 départs en retraite, non compensés par les recrutements, étant par ailleurs programmés jusque 2017. 
De la même manière, le renforcement des services enquêteurs ne pourra se faire, au moins dans un premier temps, que par redéploiements et donc au détriment d'autres services.
Jean-Claude Magendie: La réforme proposée s’accompagne également d’une modification de l’architecture du traitement de la délinquance économique et financière. En effet jusqu’à présent il y avait une juridiction régionale spécialisée. 

En 2004, a été crée, indépendamment des pôles économiques et financiers, des juridictions inter-régionales au nombre de huit. A ce moment-là, ces juridictions inter-régionales connaîtraient de la délinquance économique et financière de grande complexité. Cette réforme ce n’est pas uniquement la création du procureur de la République financier, mais c’est également la création du procureur de la République financier dans une nouvelle architecture de la délinquance économique et financière.   

Le pôle économique et financier de Paris, qui était de facto, quasiment  un pôle national s’est progressivement vidé de sa substance du fait qu’on ne lui a pas donné les moyens  suffisants : en assistance spécialisée, en juge, en informatique… La question est de savoir : pourquoi tous les moyens n’ont pas été misent en œuvre pour faire fonctionner l’outil qui est en place  et pourquoi donner des moyens à un autre système ? Dans ce projet de loi on promet des moyens que l’on n’a pas donné au pôle économique et financier de Paris.

Qu'est-ce qu'un "procureur de la République financier" pourrait changer ?

Virginie Valton : Nous pensons que la création du Procureur financier ne changera rien et qu'au contraire, concentrer entre les mains d'un seul homme, dont les conditions de nomination ne garantissent pas l'indépendance, ne fera que renforcer les mises en cause. L'annonce de cette création a été faite directement dans les suites de l'affaire Cahuzac, et constitue un désaveu du travail du Procureur de Paris, alors pourtant que l'enquête n'a pas connu de lenteurs.

La création du Procureur financier n'est qu'un effet d'annonce, qui complexifiera au contraire les circuits, puisque hormis quelques infractions de sa compétence exclusive, sa compétence sera déterminée en fonction de la notion très subjective de "très grande complexité de l'affaire". Surtout en supprimant les 36 pôles financiers (au sein de chaque cour d'appel) c'est la délinquance financière de moyenne importance qui ne sera plus traitée, sans réelle plus valus pour le traitement de la grosse délinquance financière. 
Jean-Claude Magendie : Avant de voir si les moyens financiers humains seront suffisants, il faut définir ce qu’est ce procureur financier, à compétence nationale. Ce procureur financier ne se substitue pas aux autres procureurs, et notamment aux procureurs qui sont à la tête des huit juridictions inter-régionales. Ces derniers continuent d’avoir une connaissance sur la lutte contre la corruption et la fraude fiscale. Simplement, il y a un double niveau. Certaines affaires seront traitées au niveau de ces huit juridictions inter-régionales, et d’autres seront traitées au niveau national avec ce procureur. 

A quels obstacles pourrait-il être confronté ? 

Virginie Valton : Outre la question des compétences concurrentes avec les juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) ou les pôles de l'instruction, le principal problème dans la lutte contre la fraude fiscale est "le verrou de Bercy" qui empêche l'autorité judiciaire de traiter des faits de fraude fiscale, y compris lorsqu'elle en a connaissance. Alors que toutes les administrations ont obligation de dénoncer à l'autorité judiciaire les infractions dont elles auraient connaissance (article 40 du code de procédure pénale), non seulement c'est l'administration fiscale qui doit déposer plainte pour que le parquet puisse diligenter des poursuites pour fraude fiscale, mais en outre elle n'a pas l'obligation de communiquer des informations sur des infractions connexes à cette fraude.
Le projet de loi ne prévoit aucune modification de l'organisation actuelle : c'est l'administration fiscale qui diligente les enquêtes sous l'autorité de son ministre (environ 10000 procédures par an), ce dernier ayant seul compétence pour saisir la commission des infractions fiscales pour avis sur la transmission d'une plainte à l'autorité judiciaire (environ 10% des procédures donnent lieu à une plainte), en l'espèce au procureur, lui même sous l'autorité hiérarchique du garde des Sceaux. A toutes les étapes, l'exécutif a donc la mainmise sur ces dossiers.

Jean-Claude Magendie : Le projet tel qu’il a été défini, déclare qu’il y a une compétence concurrente. Car le procureur financier national interviendra lorsqu’il y a « une très grande complexité » jugée en fonction des raisons du préjudice posé, des retombées internationales, de la spécificité des techniques employées... Tout cela correspond cependant à des critères qui ne sont pas très précis, si bien que l’on s’achemine vers un risque de difficulté de délimitation des compétences entre ce qui resterait dans les juridictions inter-régionales spécialisées et ce qui irait en revanche dans la compétence du procureur de la République financier, national. 

Le procureur serait compétent pour les infractions d’atteintes : corruption trafic d’influence, prise illégal d’intérêt, favoritisme, détournement de fonds publics et la fraude fiscale. Il est compétent dans ces domaines, quand le degré de complexité atteint relève du procureur.

De plus, ce procureur va être sous l’autorité du procureur général de la cour d’appel de Paris. Du coup, le procureur financier qui a une vocation nationale, va être placée sous autorité hiérarchique d’un procureur à compétence régional, en l’occurrence celui de Paris. Dans la chaine hiérarchique il y aura : la Garde des sceaux, le procureur général de Paris et le procureur national financier.

La question est de savoir comment va travailler ce parquet national ? Il faudrait créer tout un service national avec les juges à compétence national. Si on fait venir des juges dans ce parquet national, il y a un risque de doublon avec les juges de la juridiction inter-régionale spécialisée de Paris qui ont déjà une formation.

Ce parquet telle que son organisation est envisagée pose-t-il un problème en termes d'indépendance ? 

Virginie Valton : Actuellement le procureur de Paris a compétence exclusive pour les infractions terroristes, ou concurrence avec un ou quelques pôles spécialisés en matière de santé publique ou de grandes catastrophes. On veut aujourd'hui lui retirer sa compétence en matière financière pour confier ces affaires à un procureur nommé dans les mêmes conditions : sur proposition du garde des Sceaux après avis du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM).
On voit dès lors mal quelle indépendance supplémentaire ce procureur financier pourrait avoir par rapport au procureur de Paris ni d'ailleurs ce qui justifie un procureur distinct en matière financière mais pas en matière terroriste ou de santé publique, où l'immixtion de l'exécutif peut aussi être réelle. Or, lui donner un statut réellement indépendant, en prévoyant par exemple qu'il soit nommé directement par le CSM, aurait été, de la part du gouvernement, l'aveu que l'ensemble des procureurs n'avait actuellement pas d'indépendance statutaire...

Jean-Claude Magendie : Ce procureur appliquera les directives générales de la ministre, mais pas de directive individuelle. Cependant on sait bien que le pouvoir à la possibilité d’avoir une influence à travers divers réseaux. Il a la même garantie d’indépendance que les autres parquetiers. Le problème c’est qu’il disposera de la capacité de choisir les affaires selon le degré de complexité. En réalité le procureur pourra prendre les affaires qu’ils souhaitent, il y a toujours le risque de pression politique pour qu’ils choisissent une affaire à mettre en lumière plutôt qu’une autre.

Que peut-on raisonnablement en attendre en termes d'efficacité ?

Virginie Valton : Bien peu de choses.... Les moyens ne seront dégagés que par redéploiement, au détriment du traitement des affaires de moyenne importance, qui seront désormais traités dans les pôles de l'instruction (et non plus dans les pôles financiers) surchargés et non spécialisés en matière financière, sans que la plus grosse délinquance puisse être traitée dans de meilleurs conditions, en l'absence de levée du verrou de Bercy et d'indépendance des parquets et des services enquêteurs. Cette indépendance permettrait d'éviter tout immixtion de l'exécutif et surtout toute suspicion de la part de l'opinion publique.

L'architecture actuelle aurait pu être conservée, la baisse d'efficacité des pôles financiers s'expliquant notamment par la volonté politique antérieure de réduire les moyens de ces services, de dépénaliser une partie du droit pénal économique et financier et parallèlement de concentrer toutes les enquêtes entre les mains des procureurs, soumis à l'autorité hiérarchique du garde des Sceaux, par la suppression des juges d'instruction indépendants. A titre d'exemple, entre 2009 et 2012 ce sont 83 postes de juges d'instruction qui ont été supprimés ; le pôle financier de Paris a vu passer ses effectifs entre 2007 et 2012 de 13 à 8 juges d’instruction (-38%), de 12 à 7 parquetiers (-41.66 %) et de 7 à 4 assistants spécialisés (- 42.85 %) ; celui de Nanterre est passé de 7 juges d’instruction en 2007 à 3 en 2012 (-57.14%)…

Jean-Claude Magendie : Il ne peut pas être moins efficace que le système actuel dans la mesure où l’on a asphyxié pour ne pas faire fonctionner ce qui existeOn va améliorer la lutte contre la fraude fiscale et pour cela on veut un procureur compétent pour des affaires complexes qui nécessite une spécialisation et une centralisation des moyens. Or, le critère de la spécialisation des magistrats et la centralisation des moyens étaient au cœur du choix des juridictions inter-régionales. On veut créer une distinction entre les juridictions inter-régionales qui connaissent des infractions de grandes complexité, et le procureur sera à charge de celle d’une très grande complexité, les termes sont flous.

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