Régimes spéciaux, capitalisation et réforme systémique : les grands absents du rapport Moreau sur les retraites<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Le rapport Moreau sur les retraites a été remis vendredi à Matignon.
Le rapport Moreau sur les retraites a été remis vendredi à Matignon.
©Flickr

Texte à trous

Yannick Moreau, présidente de la Commission des retraites, a proposé une augmentation de la cotisation à 44 ans, un nouveau mode de calcul pour les retraites et la prise en compte de la pénibilité, voire l'augmentation des cotisations d'assurance-vieillesse de 0,1 point par an.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

Voir la bio »

Depuis vingt ans, le système de retraite français doit faire face à un double défi, le ralentissement de la croissance française et le vieillissement de la population (papy-boom en tant que réplique du baby-boom et allongement de l’espérance de vie). Les pouvoirs publics ont privilégié les ajustements paramétriques et ont renoncé à engager une réforme structurelle. Les propositions de la Commission Moreau sont audacieuses au regard de l’histoire des réformes des retraites mais il n’en demeure pas moins qu’elles manquent de perspectives. Elles répondent à un impératif de court terme. Le nombre élevé de pistes donnent une image impressionniste de l’éventuelle future réforme. Ce rapport néglige l’impact économique du vieillissement et des mesures avancées pour endiguer le déficit des différents régimes. Il y a un présupposé un peu triste celui qu’il faudra réduire les pensions que ce soit de manière directe ou indirecte. Ce rapport comporte surtout trois oublis, les régimes spéciaux, la capitalisation et la réforme systémique.

Ce rapport attaque la question du déficit sur trois faces. La première vise nettement les retraités qui pourraient contribuer fortement à la restauration de l’équilibre. Les niches fiscales et sociales des retraités qui représentent 14 milliards d’euros selon la Cour des comptes pourraient faire l’objet d’une remise en cause du moins partielle. Le rapport préconise ainsi l’alignement de la CSG pour les retraités qui passerait pour ceux assujettis à l’impôt sur le revenu de 6,6 à 7,5 %. Sont également mentionnés l’abattement de 10 % applicable à l’impôt au titre des frais professionnels et les majorations des pensions 10 % pour famille nombreuse actuellement défiscalisées.

La Commission Moreau a avancé l’idée d’une désindexation totale ou partielle des pensions qui aujourd’hui sont réévaluées en fonction de l’inflation. Cette mesure inspirée du récent accord sur les complémentaires pourrait générer de 3 à 6 milliards d’euros d’économies.

Les actifs et futurs retraités seraient également mis à contribution. Il est ainsi prévu de porter progressivement la durée de cotisation à 44 ans. Même si elle ne rejette pas en bloc l’idée, le report de l’âge légal au-delà de 62 ans ne reçoit pas l’assentiment de la Commission. Ce choix lié à la position de François Hollande durant l’élection présidentielle est en soi critiquable. C’est la mesure la plus efficace. L’allongement de la durée de cotisation n’a un impact financier que très progressivement. Il y a un effet sournois de ne jouer que sur cette durée. En effet, l’allongement pénalisera les jeunes générations dont l’âge moyen d’entrée sur le marché du travail recule d’année en année, il est déjà supérieur à 22 ans. Par ailleurs, les difficultés croissantes d’insertion sur le marché du travail a pour conséquence que les jeunes ont de moins en moins de trimestres cotisés avant 30 ans. La retraite à 60 ou 62 ans est donc de plus en plus une illusion. Il aurait été logique de se rapprocher de nos voisins qui ont fixé un âge de départ à la retraite de 65 ans.

L’autre mesure sournoise du rapport est la désindexation des salaires portés au compte. En effet, pour le calcul de la pension du régime de base, il est retenu les salaires des vingt cinq meilleures années qui sont actualisées. Or, la Commission Moreau avance l’idée d’une sous-indexation ce qui reviendrait à réduire le montant de la pension calculée au moment de la liquidation des droits. Déjà, en 1993, l’indexation par rapport au salaire moyen de l’année avait été abandonnée pour une indexation en fonction de l’inflation. Cette mesure explique en grande partie la baisse du taux de remplacement des pensions (ration pension sur derniers revenus d’activité). Le rapport préconise également une indexation en fonction du PIB en s’inspirant de pratiques en cours en Suède ou en Allemagne.

Le rapport Moreau prévoit aussi une refonte des majorations pour enfant et des droits à réversion avec certainement en cas d’adoption quelques économies au détriment des futurs retraités.

Les entreprises et les salariés ne sont pas oubliés avec une majoration des cotisations part salariale et part employeur de 0,1 % par an et cela sur 4 ans. Or cette mesure risque de fragiliser le tissu économique ; le taux de marge des entreprises est à son niveau le plus bas depuis trente ans. En outre, les cotisations ont augmenté de 0,2 % pour le retour partiel de l’âge légal à 60 ans.

Le rapport est moins prolixe surtout sur certains sujets. Si la piste d’un éventuel élargissement de la base de référence des pensions des fonctionnaires est abordée, il est souligné que l’objectif n’est pas de gagner de l’argent. Le passage des 6 mois au dix dernières années devrait s’effectuer à somme constante avec intégration des primes. La marche vers l’égalité des traitements sera longue et ardue. Sur les régimes spéciaux, le silence radio est éloquent. Il est simplement rappelé qu’ils ont leur propre vie et que les processus d’ajustement décidé en 2008 et de 2010 doivent se poursuivre. Il s’agissait d’allonger les durées de cotisation et d’accroître de deux ans l’âge légal de départ à la retraite.

En revanche, le rapport Moreau innove un peu avec la création d’un compte « pénibilité » qui permettrait aux salariés exposés à des tâches pénibles de convertir les points ou droits obtenus en stages de formation professionnelle, en périodes de temps de travail partiel ou en trimestres cotisés pour permettre de partir plus tôt. Cette proposition traduit l’échec de la réforme de 2010 qui liait pénibilité à invalidité. Moins de 100 000 personnes ont bénéficié du dispositif existant. La question des critères de pénibilité reste, en revanche, ouverte. Il innove également avec une réflexion sur l’instauration d’un pilotage financier qui complèterait le pilotage démographique mis en œuvre en 2003 avec la loi Fillon. Ce pilotage financier pourrait concerner les règles d’indexation des salaires mis au compte. La commission propose qu’il ne soit pas automatique.

Mais, ce rapport comporte un vrai oubli. La capitalisation comme complément de la répartition a été, une fois de plus, négligée.

Aujourd’hui, 85 % des revenus des retraités français sont issus des régimes par répartition. Seulement 3 % proviennent de l’épargne retraite, le solde étant assuré par les revenus du patrimoine. Chez nos partenaires de l’OCDE, la capitalisation fournit 20 à 30 % des revenus. Or, le taux d’épargne des Français figure parmi les plus élevés de l’Union européenne. En revanche, cette épargne est essentiellement investie à court terme et en produits de taux (titres publics).La capitalisation doit s’inscrire dans une réflexion sur le financement de l’économie et dans celle du développement de l’épargne longue. Afin d’améliorer les fonds propres et favoriser l’investissement, il serait intéressant d’orienter l’épargne des Français vers les produits d’épargne retraite. Le rapport aurait dû aborder la question de la généralisation de l’épargne retraite et celle de l’articulation avec les régimes par répartition.

Ce rapport sur les retraites n’est pas le moins inintéressant de la longue série mais la Commission Moreau aurait du y intégrer une réflexion sur la réforme systémique. Compte tenu des nombreuses propositions qu’il contient et qui dans les faits peuvent modifier la nature du régime de retraite français, il fallait oser passer le cap. En jouant sur certains critères comme les salaires de référence, la Commission donne l’impression que notre système de base qui est à prestations définies, (la pension était fonction des salaires obtenus) pourrait, de manière implicite, se muer en un système à cotisations définies (la pension ne peut être calculée qu’au moment de la liquidation). Il est regrettable qu’en France, la réforme ne soit pas assumée et que les faux-semblants l’emportent sur l’audace. Pour éviter la multiplication des rancœurs, il aurait été utile de lancer des pistes de convergences des systèmes même si cela doit prendre comme en Italie 20 ou 30 ans. Le rapport Moreau ne manque pas de courage mais il n’a pas le souffle des aventures qui peuvent mobiliser les énergies.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !