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L'administration Obama aurait réussi à faire retirer par la Commission européenne une mesure phare de sa législation sur la confidentialité des données personnelles.
L'administration Obama aurait réussi à faire retirer par la Commission européenne une mesure phare de sa législation sur la confidentialité des données personnelles.
©Reuters

Je te tiens, tu me tiens...

Grâce à une intense action de lobbying, l'administration Obama aurait réussi à faire retirer par la Commission européenne une mesure phare de sa législation sur la confidentialité des données personnelles. Comment expliquer cette reculade de l'UE ?

Corinne Lepage

Corinne Lepage

Corinne Lepage est avocate, ancien maître de conférences et ancien professeur à Sciences Po (chaire de développement durable).

Ancienne ministre de l'Environnement, ancienne membre de Génération écologie, fondatrice et présidente du parti écologiste Cap21 depuis 1996, cofondatrice et ancienne vice-présidente du Mouvement démocrate jusqu'en mars 2010, elle est députée au Parlement européen de 2009 à 2014. En 2012, elle fonde l’association Essaim et l’année suivante, la coopérative politique du Rassemblement citoyen. En 2014, elle devient présidente du parti LRC - Cap21.

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Atlantico : Cette mesure qui a été annulée sous la pression de l’administration Obama est connue sous le nom de clause anti-FISA, (du nom du Foreign Intelligence Surveillance Act qui autorise le gouvernement américain d’espionner les appels internationaux et e-mails). Elle aurait dû permettre d’annuler toute requête américaine pour obtenir des données personnelles de citoyens de la part de compagnies de télécommunications. Comment expliquer qu’une telle activité de lobbying ait concrètement pu se dérouler ? Et selon quelles modalités ? De telles pratiques sont-elles conformes au fonctionnement de la Commission européenne ?

Corinne Lepage: Il est évident que cette décision est scandaleuse comme le sont les pressions américaines sur la Commission. Il est évident que certains commissaires sont d’ardents défenseurs des intérêts américains au détriment parfois des intérêts européens. J’ai pu personnellement en juger en matière alimentaire et sanitaire lorsque le commissaire de Gucht a voulu nous imposer, à la demande des Etats Unis, les animaux clonés (blocage de la législation conduisant à un vide et de facto à une non interdiction) ou l’acide lactique pour nettoyer les carcasses de bœuf (qui a été autorisé malgré toutes les réserves des autorités sanitaires). Mais je suis convaincue que nous, les Parlementaires européens ne laisseront jamais passer une telle mesure. Nous avons déjà voté contre ACTA rendant impossible la signature de ce traité. Il en ira de même. Restent les conditions invraisemblables du lobbying américain auprès des commissaires et l’opacité du processus décisionnel qui est incompatible avec un système démocratique digne de ce nom.

Les commissaires qui se sont opposés à la mesure anti-Fisa ont notamment argué qu’elle aurait peu d’impact légal puisque la plupart des serveurs de données des grandes compagnies européennes détenant des informations sur les citoyens européens se trouvent sur le territoire américain. Il aurait donc été superflu de créer une tension entre les États-Unis et l’Union européenne. Cette ligne de défense est-elle crédible ?

Absolument pas. Tout d’abord, ce n’est pas parce que la Commission s’est révélée incapable de protéger convenablement les citoyens européens en mettant en place des verrous ou des systèmes de protection des données personnelles qu’il faut ajouter une seconde faute. Les prétextes destinés à masquer une préférence pour les intérêts américains au détriment des intérêts européens sont très souvent invoqués par les mêmes commissaires et par M.Barroso lui même. Ces données personnelles représentent une énorme valeur commerciale (de l’ordre de 500 milliards d’euros) en sus de leur caractère indissociable des libertés publiques. L’incompétence et le manque de discernement ne peuvent expliquer ces choix contraires à ceux proposés à Mme Redding !

Faut-il se résoudre à l'impuissance européenne dans ce domaine ou les choses pourraient-elles évoluer ?

Je ne me résoudrai jamais à l’impuissance. C'est une question de rapports de force, qui eux même dépendent du courage politique et de la réalité des intérêts défendus. La crise que connaît le projet européen vient très largement de l’incapacité des dirigeants, à commencer par la Commission, d’imposer un point de vue. L’exemple des panneaux photovoltaïques avec la Chine démontre les conséquences de la faiblesse et de la réaction tardive. L’opposition du Parlement européen, que j’espère et qui est probable, obligera à remettre le sujet sur la table.

En revanche, le soutien que ce même Parlement a apporté au mandat illimité de la Commission pour négocier l’accord de libre échange avec les États Unis démontre que le lobbying américain a été efficace dans les rangs des parlementaires. Il est pour le moins piquant de voir que ceux qui sont les plus déchainés contre PRISM sont aussi ceux qui ont soutenu le plus largement le projet de libre échange avant de constater, dans quelques années, que faute de cohérence et de rigueur dans la défense des intérêts fondamentaux des citoyens européens, en matière de liberté comme en matière de sécurité, nous sommes grugés !

Faute de cohérence et de courage, il ne faudra pas s’étonner dans quelques mois, lors des élections européennes, de voir les citoyens européens rejeter une Europe incapable de défendre leurs intérêts.

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