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BCE-FMI-UE : la troïka censée sauver l’Europe de la crise a-t-elle en fait surtout organisé un énorme hold-up des contribuables européens ?
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La facture s'il vous plaît

La BCE, le FMI et l'Union européenne, que l'on appelle la troïka, ont refusé une restructuration immédiate de la dette grecque dès le début de la crise. Résultat de cette décision : ce sont les contribuables européens qui ont payé la facture.

François Lenglet et Olivier Demeulenaere

François Lenglet et Olivier Demeulenaere

François Lenglet officie depuis 2012 sur la chaîne France 2 où il dirige le service France. Il est également éditorialiste dans l'hebdomadaire Le Point.

Olivier Demeulenaere est journaliste économique et financier. Il a étudié à l’Ecole normale supérieure et est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris.

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Atlantico : Après l'adoption de plusieurs plans de sauvetage pour les pays en difficulté, notamment la Grèce, la Troïka (le FMI, la Commission européenne et la BCE) est sous le feu de nombreuses critiques. Parmi celles-ci : ne pas avoir accepté une restructuration immédiate de la dette grecque afin que les détenteurs de dettes grecques puissent transférer ces "actifs", et donc le risque, vers les Etats européens, et donc les contribuables. L’action de la Troïka dans la crise a-t-elle consisté à faire peser le coût des mécanismes de sauvetage sur les contribuables européens ?

François Lenglet : Il y a eu effectivement un transfert du risque des banques vers les contribuables de façon spectaculaire. Les banques ont fait plus ou moins faillite et se sont retrouvées dans des situations d'illiquidité. Par conséquent, le coût fut transféré sur le bilan des Etats, et donc sur celui des contribuables, avant de le déplacer de nouveau dans le bilan des banques centrales (au pouvoir financier en théorie illimité puisqu'elles sont à l'origine de l'émission de monnaie, NDLR) comme ce fut davantage le cas dans les pays anglo-saxons. Avec toutes les techniques de monétisation de la dette, nous allons dorénavant vers une diminution de la charge pesant sur les contribuables pour la reporter sur les épargnants. Les banques ont certes effacé pour 107 milliards de dette grecque début 2012, mais elles les avaient déjà transférés vers des détenteurs publics ou parapublics, même si ces opérations furent réalisées à perte pour elles.

De manière générale, tout l'effort de redressement de l'Europe a été essentiellement concentré sur les contribuables. La Troïka, qui comprend le Fonds monétaire international, dirigé à l'époque par Dominique Strauss-Kahn, avait dès le début conçu un plan absurde en soi : la charge à la solde du contribuable était tout simplement trop élevée. Il y a eu dans un premier temps un véritable déni du problème. Nous nous sommes alors rapidement rendus compte que ce n'était pas tenable.

La morale de l’Histoire est que les dettes excessives ne sont jamais remboursées. Résultat, petit à petit, nous avons commencé à alléger la dette grecque non plus en ne faisant payer que les contribuables, mais également les détenteurs de capital en imposant un "haircut", une restructuration de la dette, comme ce fut le cas dans les pays d'Amérique du Sud dans les années 1980. Ce qui a été fait pour la Grèce, et en partie pour l'Irlande où la durée de remboursement a été allongée, sera de nouveau décidé pour l'Italie, l'Espagne ou le Portugal. Ces pays se trouveront bientôt dans l'impossibilité complète de faire face à leurs engagements, ces derniers étant beaucoup trop lourds au regard de leur compétitivité et autres perspectives de croissance. Les calendriers de retour à 3% de déficit ont été détendus, ce qui est une façon de reconnaître que les contribuables ne peuvent en supporter davantage.

Olivier Demeulenaere :Oui, ce fut un hold-up par lâcheté. L’Europe n’a pas eu le courage de trancher immédiatement. Il aurait fallu restructurer dès le début de la “crise grecque”, en 2010 et non en 2012 où il était déjà trop tard. Un défaut de paiement de la Grèce, accompagné d’une sortie de l’euro et d’une dévaluation, aurait certes été dommageable pour les banques allemandes et françaises, mais une action concertée de la BCE et des Etats à ce moment-là aurait pu leur sauver la mise et éviter un krach du système financier. Au lieu de cela, on a socialisé la dette en refilant le mistigri aux Etats, c’est-à-dire aux contribuables. C’était reculer pour mieux sauter : ces prêts des Etats furent en réalité des dons, puisque la Grèce était incapable de rembourser. Pire encore, on lui a enfoncé la tête sous l’eau en exigeant d’elle, en contrepartie de l’aide européenne, des mesures drastiques qui ont eu pour effet de plomber son activité économique et d’accentuer la casse sociale. Le bilan est catastrophique : tout le monde a plongé.

Cette succession d’erreurs s’explique plus profondément par une raison politique, pour ne pas dire idéologique : Il fallait à tout prix sauver l’euro, ce dogme absurde, cette religion imposée aux peuples par les élites fédéralistes.

Cependant, laisser la Grèce faire faillite, et mettre les banques qui en détenaient des actifs en difficulté, aurait-il davantage touché les citoyens européens par l'aggravation de la crise que cela aurait causé - surtout au regard des conséquences de la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 ?

François Lenglet : Pour faire simple, nous acceptons aujourd'hui les solutions que nous avons refusé hier. Il n'est pas certain que le coût en termes de "déstabilisation de l'Europe" et d’"aggravation de la crise" aurait été plus fort s'il y avait eu une restructuration de la dette grecque dès le début de la crise. La bonne solution aurait même été de sortir la Grèce de l'euro. Soyons honnêtes : ce qui est inévitable finira de toute façon par se produire. Avec son niveau de compétitivité, il n'y a aucun avenir pour la péninsule hellénique en zone euro. Elle ne pourra jamais rétablir sa situation sans retrouver la liberté de son taux de change, sans quoi nous tuerons ce pays auquel cas il faudra lui envoyer des milliards d'euros d'aide annuels tout comme Paris aide la Lozère ou la Corrèze.

Maintenir une situation économique intenable uniquement pour le symbole est aberrant : il est aberrant que la Grèce soit encore dans la zone euro au même titre qu'il est aberrant qu'elle y soit tout simplement entrée. D'autres pays d'Europe du Sud auraient d'ailleurs eux aussi tout intérêt à sortir sans quoi nous alourdissons sans cesse le coût de la crise. Un coût à la charge des contribuables.

Ainsi, pour éviter le risque de panique généralisée suite à la sortie d'un pays, il faudrait parallèlement renforcer les liens entre les autres économies restantes. Il faut donc à la fois redéfinir la zone euro et intégrer de façon plus profonde, durable et solide les autres pays membres.

Olivier Demeulenaere : Cela n’a pas empêché la crise de s’aggraver. La Grèce est toujours en faillite, sa dette publique ne cesse d’augmenter : au quatrième trimestre 2012, celle-ci s’élevait à 303,918 milliards d’euros, soit 156,9 % du PIB. Nos banques sont toujours virtuellement en faillite - même si les interventions “illimitées” de la BCE d’un côté, les fraudes et artifices comptables de l’autre permettent de le dissimuler : selon KPMG, les créances douteuses des banques européennes atteindraient 1500 milliards d’euros ! Enfin, les Etats présentés comme “solidaires” vont devoir payer la note : rien que pour la France, ses engagements aux différents fonds de sauvetage de la zone euro ont alourdi de 187 milliards d’euros son passif hors bilan... Prise dans le double piège de l’euro et du surendettement, l’Europe s’enfonce dans la dépression et le chômage de masse.

Faire défaut pour un Etat est une situation assez courante si vous observez l’Histoire ! Certes c’est douloureux, mais entre deux maux il faut choisir le moindre. D’un côté, une grosse perte de pouvoir d’achat et quelques années difficiles mais un redémarrage en général assez rapide de la croissance. De l’autre, une descente aux enfers dont on ne voit jamais la fin... Toute une génération sacrifiée.

Aurait-on pu éviter d'en venir au contribuable européen s'il y avait eu en amont une refonte du mandat de la Banque centrale européenne, notamment pour qu'elle puisse acheter directement de la dette ?

François Lenglet : Aujourd'hui, la Banque centrale européenne détient déjà une grande partie des créances de la Grèce. Mario Draghi a acheté beaucoup de dettes publiques. Lui demander de renoncer à celles-ci, c'est prendre le risque que la BCE soit sous-capitalisée et donc déclarée insolvable. Il faudrait de nouveau mobiliser les Etats et les banques centrales pour la recapitaliser.

Changer les mandats de la BCE pour lui autoriser d'acheter directement de la dette n'est de toute façon qu'une illusion. La crise dans les pays d'Europe du Sud a été créée par l'euro en ce sens où ils ont été amenés à s'endetter déraisonnablement pour compenser leur manque de compétitivité. C'est le même scénario que ceux de l'Asie du Sud-Est en 1997, de la Russie en 1998, du Mexique en 1994 ou même de l'Argentine à la fin des années 1990 : un taux de change fixe qui ne correspond pas à la compétitivité réelle du pays. Au début, les investisseurs sont rassurés jusqu'où jour où cela ne tient plus.

Changer le mandat de la BCE n'aurait donc rien changé. La Fed, la banque centrale américaine, a un mandat différent où l'emploi et la croissance sont directement pris en compte et au sein duquel elle peut acheter directement de la dette, pourtant, cela n'a en rien empêché la crise des subprimes. Les crises ne sont pas créées par les banques centrales, mais par la propension des investisseurs à s'illusionner. Qu'elle soit rouge, verte ou bleue, la banque centrale ne fera rien contre cela.

Olivier Demeulenaere : Une banque centrale est un prêteur en dernier ressort, l’ultime recours... Mais elle ne résout jamais aucun des problèmes de fond ! Pire, en créant de la fausse monnaie, en intervenant dans la durée et en provoquant des distorsions répétées du marché, elle ne fait qu’aggraver les choses. Ce n’est pas parce qu’on aurait permis à la BCE de prêter directement aux Etats que ceux-ci auraient amélioré leur situation financière. De même, ce n’est parce que la BCE a prêté plus de 1000 milliards d’euros aux banques européennes que celles-ci ont assaini leurs bilans et corrigé leurs pratiques détestables ! Bien au contraire. Il faut bien comprendre que quelqu’un finit toujours par payer les erreurs. Et je crains fort qu’in fine ce ne soient les contribuables, puisque les statuts de la BCE prévoient qu’elle doit être renflouée par les Etats.

En réalité il me semble qu’il est trop tard, il n’y a plus de vraie solution aujourd’hui. On a le choix entre la peste et le choléra : la faillite ou l’effondrement de la monnaie. C’est en 2008 que les politiques auraient dû agir, en remettant à plat l’ensemble du système financier : nettoyage et réorganisation des banques - avec une séparation claire des activités de dépôt et de spéculation - et refonte globale du système monétaire. Certains discours sont allés dans ce sens, mais ils sont, hélas, restés lettre morte.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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