Pouvoir d'achat : non, les politiques ne doivent pas s'en mêler <!-- --> | Atlantico.fr
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"Ce n’est pas le pouvoir d’achat qu’il faut libérer, mais le pouvoir de travailler."
"Ce n’est pas le pouvoir d’achat qu’il faut libérer, mais le pouvoir de travailler."
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Bonnes feuilles

L'auteur Jean-Louis Caccomo analyse les échecs du modèle économique français et apporte des solutions. Extrait de "Le modèle français dans l'impasse" (2/2).

Jean-Louis Caccomo

Jean-Louis Caccomo

Jean-Louis Caccomo est maître de conférences en sciences économiques à l'Université de Perpignan.

Auteur d'un ouvrage sur le développement des industries numériques aux éditions Les défis économiques de l'information (L'Harmattan,1996) et de L' épopée de l'innovation ? Innovation technologique et évolution économique (L'Harmattan, 2005)

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En 2012, tout comme en 2008, sitôt la campagne électorale lancée, les candidats se sont tous empressés de faire de la défense du pouvoir d’achat des Français la priorité des priorités. Une fois élu, le Président de la République a rappelé ses engagements, affirmant qu’il serait le président du pouvoir d’achat des Français. Mais aussi volontariste soit-il, un gouvernement ne peut pas créer du pouvoir d’achat.

Le Président de la République ne peut pas être le président du pouvoir d’achat des Français ; il est d’abord le président des Français. Il est pathétique d’entendre des responsables politiques invoquer la défense du pouvoir d’achat des ménages alors qu’ils cautionnent des politiques qui contribuent depuis plus de deux décennies, notamment du fait de l’envolée des prélèvements fiscaux et sociaux qu’elles engendrent, à la réduction du revenu disponible des ménages français.

C’est qu’il y a toujours un grand risque à oublier les fondements éthiques embusqués derrière les notions économiques, pour n’en retenir que les aspects techniques, séduisants mais bien superficiels.

Les Français sont préoccupés par leur pouvoir d’achat. Et les responsables politiques vont tout tenter pour le relancer en vain. C’est devenu une vérité indiscutable. Et pourtant, est-ce bien là le rôle de la politique ? Pour qu’une action soit efficace, elle doit reposer sur des bases justes. Qu’est-ce donc au juste que le « pouvoir d’achat » ?

Un des droits fondamentaux de l’individu réside dans la liberté de disposer de lui-même, notamment pour travailler et ainsi accéder au niveau de vie désiré par lui. Dans un État de droit, garant des libertés individuelles, personne n’a le droit d’empêcher quiconque de travailler. Par contre, cela ne signifie nullement que l’État doive donner du travail à quelqu’un, doive embaucher. Cela ne signifie aucunement que l’État doive forcer les entreprises à embaucher sous prétexte de lutter contre le chômage. C’est au marché du travail d’assumer l’adéquation toujours mouvante entre l’offre et la demande de travail.

Si un individu estime que son pouvoir d’achat est insuffisant, il doit pouvoir travailler plus pour augmenter son niveau de vie. S’il ne peut – ou ne veut – travailler plus, il devra réduire son niveau de vie en conséquence pour adapter son train de vie à ses moyens.

Certes, si les Français se retournent auprès de l’État, c’est que les responsables politiques de ce pays ont une grande responsabilité dans l’asphyxie économique qui contribue à désindustrialiser nos régions, à freiner la création d’entreprises, à accélérer les délocalisations ou encore à faire fuir les chercheurs les plus innovants et les entrepreneurs découragés. Mais l’État ne peut pas donner du pouvoir d’achat aux individus dans la mesure où leur pouvoir d’achat est toujours la contrepartie de leur pouvoir de production.

De plus, le pouvoir d’achat est aussi une notion qui dépasse la simple dimension financière qui n’en est que la surface. Le pouvoir d’achat désigne une aptitude (un « pouvoir »), un comportement lui-même lié à une volonté (ou à une absence de volonté). Le pouvoir d’achat ne signifie pas seulement « pouvoir acheter », mais aussi « pouvoir ne pas acheter ». Un pouvoir est réellement un pouvoir si l’on est libre de ne pas en user. Un pouvoir n’est ni un devoir, ni un réflexe et encore moins une obligation. Celui qui détient une force sans en être l’esclave a le pouvoir de ne pas s’en servir : là est le sens du pouvoir. La force de dissuasion nucléaire en fut le meilleur exemple.

Imaginez maintenant que le gouvernement décide – au motif que la consommation des ménages est un moteur essentiel de la croissance qu’il serait donc bien risqué de laisser à la seule volonté des ménages – de prélever automatiquement et à la source une partie des salaires pour les affecter à la consommation selon un panier de consommation savamment formaté par les experts de l’INSEE. À niveau de vie inchangé, les ménages auraient perdu leur véritable pouvoir d’achat en perdant tout simplement leur liberté de choix. Et quelle valeur aurait un bien de consommation qui vous est imposé par des experts en consommation ?[1]

Certes, la consommation des ménages n’est pas encore une affaire publique. Et je serai bien malheureux d’inspirer nos technocrates à créer un ministère de la consommation. Mais c’est tout de même ce qui se passe à chaque fois que les prélèvements publics (impôts, taxes et charges) augmentent, amputant toujours plus le revenu disponible des ménages. Car les prélèvements publics sont destinés à financer des dépenses publiques et sociales, dont une grande partie est de la « consommation collective ». Ainsi, une partie toujours plus grande du revenu est collectivisée pour financer la consommation collective et son affectation échappe au libre arbitre de ceux qui l’auront généré pour devenir une affaire publique aux enjeux insolubles.

J’observe tous les jours des étudiants qui m’assurent ne pas avoir les moyens d’acheter des livres, mais qui viennent en automobile à l’université (ce qui constitue un véritable petit budget annuel que je n’ai jamais pu me permettre personnellement lorsque j’étais étudiant). Ils sont toujours très bien habillés, possèdent un téléphone portable, bénéficiant d’un standard de consommation digne d’une personne active.

J’observe des parents se plaindre de l’insuffisance de leur pouvoir d’achat, mais dont les chambres d’enfants constituent de véritables supermarchés du jouet et de la mode. Quand j’exprime mon étonnement sur le (sur)équipement de leurs enfants, ils me répondent qu’ils ne peuvent pas faire autrement, qu’ils n’ont pas le choix. Ils ne voient plus qu’en cédant aux caprices de leurs enfants, ils cautionnent et amplifient de tels caprices.

Ils s’en prennent alors à la « société de consommation » et à la publicité, mais ils en sont les meilleurs promoteurs. Mes enfants tentent chaque jour de me faire culpabiliser pour me pousser à la consommation sous prétexte que tous les copains ont le dernier jeu électronique, ou le dernier DVD à la mode. Puis ils oublient au bout de quelques jours parce que la fonction naturelle des parents n’est pas d’obéir aux enfants.

Au nom du dogme de la « relance de la consommation » et de la « défense du pouvoir d’achat », nos dirigeants politiques ont infantilisé le peuple. Puis ces mêmes politiques se mettent à ses ordres, se plient à leurs injonctions, invoquant la vertu démocratique. La fonction des hommes d’État est-elle d’être aux ordres ou au service du peuple ? Ce n’est pas la même chose. En attendant de dénouer la question, ils sont soumis aux attentes contradictoires de peuples capricieux que seule une économie libre peut dénouer.

Ce n’est pas la consommation qu’il faut relancer, mais bien la production. Ce n’est pas le pouvoir d’achat qu’il faut libérer, mais le pouvoir de travailler. Car le pouvoir d’achat sera toujours insuffisant pour celui qui ne sait plus faire des choix et assumer des priorités.

La condition humaine est ainsi faite que notre capacité à exprimer et développer des besoins est infinie tandis que notre aptitude à y répondre est nécessairement limitée. La contrainte budgétaire est là pour restreindre la première tandis que l’investissement agit pour accroître la seconde. C’est la contrainte budgétaire qui nous oblige à faire des choix pendant que l’investissement augmente notre productivité. C’est la seule manière d’acquérir un réel pouvoir d’achat. Les responsables politiques doivent donc encourager les ménages à produire et à investir, notamment en cessant de les assister et de les surtaxer. La consommation en sera autant le fruit logique que la récompense légitime.

En 2012, Nicolas Sarkozy a dit : « L’économie doit produire les richesses. Les politiques doivent les répartir ». C’est une tragique erreur. Si la droite veut revenir au pouvoir pour faire les réformes qui s’imposent à la France, elle doit absolument sortir des schémas de pensée imposés par la gauche. En fait, l’analyse économique montre que la production et la répartition des richesses sont indissociables car les coûts de production des entreprises sont aussi les revenus de ceux qui apportent les facteurs de production (capital, travail).

De quel droit et en fonction de quel critère un homme politique va-t-il modifier cette répartition, prenant le risque de donner plus à celui qui produit le moins, et moins à celui qui produit le plus puisque les revenus rétribuent la productivité ?

Depuis plus d’un siècle, la théorie économique et l’expérience historique ont établi que c’est précisément la redistribution autoritaire des revenus qui détruit sûrement, mais inéluctablement, le secteur productif. Que deviendra notre pays quand il n’y aura plus rien à répartir à défaut de produire ?

Alors l’Etat n’a-t’il aucun rôle à jouer ? Si bien-sûr ! Puisque l’Etat s’arroge le monopole de l’éducation et de la formation, il doit alors être absolument efficace et infaillible dans ce domaine car, grâce à la formation, les salariés peuvent prétendre à des qualifications qui ouvrent les meilleures perspectives de salaires. Plus que la lutte syndicale, c’est le plus sûr moyen de gagner son revenu.


[1] L’épargne n’est pas une non–consommation, mais un transfert de consommation dans le temps : l’épargnant sacrifie sa consommation présente pour améliorer son niveau de vie dans le futur. C’est son choix et aucun observateur extérieur ne peut en juger la pertinence.

Extrait de "Le modèle français dans l'impasse" (Tatamis), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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