Banques : cinq ans après le début de la crise, pourquoi le législateur a raison de ne pas se soucier du "too big to fail"<!-- --> | Atlantico.fr
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Plusieurs années après le début de la crise et la faillite de Lehman Brothers, l’expression "too big to fail" est encore sur de nombreuses lèvres.
Plusieurs années après le début de la crise et la faillite de Lehman Brothers, l’expression "too big to fail" est encore sur de nombreuses lèvres.
©Reuters

David vs. Goliath

Après la crise, le législateur s'était fixé comme but de mettre un terme au "too big to fail". L'intention de ce dernier n'a jamais été de réduire la taille des institutions financières mais plutôt d'assurer qu'une banque puisse disparaître sans pour autant toucher l'ensemble de l'économie.

Hervé Alexandre

Hervé Alexandre

Hervé Alexandre est Professeur à l'Université Paris Dauphine où il dirige le Master 224 Banque.

Il enseigne la gestion des risques la régulation bancaire, domaine qui est également celui de ses recherches qu'il effectue au sein du laboratoire Dauphine Recherche en Management.

Il vient de sortir un ouvrage "Banque et Intermédiation Financière" chez Economica.

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Atlantico : Plusieurs années après le début de la crise et la faillite de Lehman Brothers, l’expression "too big to fail" est encore sur de nombreuses lèvres. Un article publié sur le site d'information économique Quartz (voir ici) souligne que l'intention du législateur n'a jamais été de réduire la taille des banques mais plutôt d'assurer que la faillite de l'une d'entre elles ne mette pas en péril l'ensemble de l'économie. Diriez-vous que les autorités économiques ont réellement cherché à mettre fin à la logique du "too big to fail" ? Quelle était la véritable finalité des mesures prises en ce sens ?

Hervé Alexandre : Avant toute chose, il faut rappeler qu’avant la crise, le "too big to fail" avait une connotation moins inquiétante. Le concept, mis en avant en 1984 lors du sauvetage public de Continental Illinois Bank aux Etats-Unis, traduit le besoin, mais également la capacité des États de sauver les grandes banques en difficulté. Cet engagement rassurant n’est valable que dans  la mesure où ces grandes banques ont suffisamment diversifié leur risque et que ce dernier est raisonnable. Personne ne pensait qu’il puisse arriver quoique ce soit à Citigroup.

La crise a montré que les grandes banques étaient aussi fragiles que les petites mais surtout que les États n’avaient plus les moyens de les sauver en cas de difficulté.

Les autorités (gouvernants et régulateurs) avaient senti le danger en 2008 et 2009 en posant la question de la trop grande taille de certaines banques, mais leur volonté s’est émoussée avec le temps. Aujourd’hui, rien n’est vraiment prévu hormis par le Comité de Bâle qui prévoit que l’exigence en fonds propres des banques systémiques sera supérieure à ce qu’elle est pour les autres banques, limitant le besoin d’un éventuel sauvetage public des dites systémiques (SIFI : systemically important financial institution).

Le problème de la taille des entreprises est un problème ancien, envisagé dès 1959 par Baumol. Ce dernier explique que les dirigeants se focalisent sur la taille des firmes qu’ils gèrent plus que sur leur profitabilité, qui est pourtant leur objectif initial. La croissance de la taille des banques est donc avant tout le résultat de défaillances de leur gouvernance et les parties prenantes (actionnaires mais également créanciers, clients et dans le cas des banques déposants) devraient s’en rendre compte tout autant que les régulateurs.

L’erreur fondamentale dans les mesures prises jusqu’alors (notamment le Dodd-Frank Act) n’est-elle pas qu’elles se concentrent sur le fait que le "fail" (la faillite) soit possible pour toutes les banques sans se soucier de limiter leur taille ?

Je ne  vois sincèrement pas quelle mesure de limitation de la taille des banques peut être mise en place. Une telle décision ne pourrait être que concertée internationalement et les divergences ainsi que les lenteurs politiques et bureaucratiques (que de temps pour la mise en place de l’Union bancaire européenne !) montrent la difficulté d’avancer d’un même pas vers une régulation bancaire commune. Que deviendraient les "petites" banques européennes face à d’énormes banques par exemple chinoises protégées par leur Etat ? Le problème majeur est plutôt la mauvaise répartition des risques en cas de faillite bancaire. Les logiques de résolution et de bail-in constituent d’ailleurs une réponse pertinente en impliquant notamment les créanciers financiers (conscients des risques qu’ils prennent) avant les déposants.

Les principales critiques qui sont adressées à ces mesures mettent en avant le fait qu’elles étouffent les petites banques. Qu’en est-il vraiment ?

Les arguments de cette nature sont avancés chaque fois qu’il est question de régulation. Que les grandes banques s’inquiètent de la santé des petites banques est tout à leur honneur, mais le problème n’est pas là. Le ratage complet de la séparation des activités proposée par la loi bancaire française est bien plus grave que le problème de la taille.

Quel genre de mesures pourrait éviter de tuer les petites banques en empêchant les grandes banques de mettre en danger tout le système économique ? La réponse peut-elle être l’absence de régulation, si ce n'est celle qui garantit la libre concurrence ? 

Je pense qu’une réelle séparation des activités permettrait de réduire significativement le risque systémique. Cela éviterait d’entrer dans des arbitrages compliqués de diminution de la taille des banques et de choix de la taille maximale autorisée. Le document rédigé par Laurence Scialom et Gaël Giraud (note terra nova du 28/02/2013) offre à mes yeux une excellente approche, tout comme le rapport Liikanen. En séparant les activités, on pourrait alors envisager de laisser la place à une saine concurrence entre les banques, tout en protégeant déposants et contribuables de certaines prises de risques excessives dont ils ne bénéficient à aucun moment.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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