Coûts-avantages : ce que le départ de Frigide Barjot va changer pour la Manif pour tous<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour Frigide Barjot, "la Manif pour tous a fait son temps".
Pour Frigide Barjot, "la Manif pour tous a fait son temps".
©Reuters

Le bilan pour tous

Absente de la manifestation de dimanche contre le mariage homosexuel, Frigide Barjot estime que "la Manif pour tous a fait son temps" et que le mouvement est "récupéré".

François Belley et Thomas Guénolé

François Belley et Thomas Guénolé

François Belley est publicitaire et planneur stratégique à l’Agence MelvillePassionné de communication politique, il a publié l’essai Ségolène®, la femme marque et est l’auteur du blog « la politique spectacle décryptée par un publicitaire ».

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po.  Il publie "Nicolas Sarkozy, chronique d'un retour impossible ?" aux éditions First (sortie le 6 juin). Sa thèse de doctorat, sous la direction de Pascal Perrineau, était consacrée aux familles politiques du centre. Ses interventions dans les médias portent principalement sur l'UMP, le retour possible de Nicolas Sarkozy, la montée du FN, et la communication de François Hollande. Site Internet : thomas-guenole.fr

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Atlantico : Frigide Barjot a déclaré que "La Manif pour tous avait fait son temps". Pendant plusieurs mois elle s'est positionnée en tant que leader de ce mouvement. Qu’est-ce que son départ va changer ? Le mouvement peut-il perdurer sans elle ?

Thomas GuénoléLe mouvement va perdurer sous une forme déstructurée. Ce sera une lame de fond marginale mais très bruyante, semblable à des mouvements de type "riposte laïque" ou "français de souche". On aura certainement une forte présence sur internet, avec l'organisation de micro-manifestations, de l'activisme politique et de l'entrisme dans les partis politiques. Ce sera très éparpillé, comme peut l'être la fachosphère ou la cathosphère. Avec le départ de Frigide Barjot et la marginalisation de Christine Boutin, c'est un peu le marteau sans tête.

En quoi sa personnalité et son parcours atypique ont-ils donné de la force à ce mouvement ? En quoi ont-ils pu le fragiliser ?

François Belley : Frigide Barjot est arrivée au bon moment, elle a répondu à un vide politique alors que les Français n’avaient plus confiance en leurs hommes politiques et que l’on faisait face à une vraie crise du politique dans notre pays, toujours en vigueur d'ailleurs. Sa position extérieure lui a donné la chance de s’exprimer sans langue de bois, notamment grâce à son personnage hors norme.

Elle est devenue la figure majeure du mouvement, car elle a comblé un vide à droite alors que des tensions opposaient François Fillon et Jean-François Copé. Le fait que Frigide ne fasse pas partie du sérail politique l’a mis au-devant de la scène, devant Christine Boutin par exemple.

Ce qui est particulier dans ce mouvement, c’est qu’une cause très politique ait été portée par une personne médiatique et communicante plus écoutée même que les personnalités politiques. Cet aspect-là a renforcé le mouvement, l’a rendu plus abordable. Même si c’était un mouvement "d’antis", elle a réussi à le rendre festif.

Cependant Frigide Barjot, par sa position apolitique particulière, a trouvé les limites de son placement neutre au moment des débordements.

Thomas Guénolé : Son atout principal pour le mouvement c’est qu’elle cassait l'image peu engageante en terme de communication publique de la cathosphère, comme peut le représenter Ludovine de la Rochère. Cela permettait de présenter un visage sympathique, drôle et surtout maitrisant les codes de communication médiatique pour faire apparaitre le mouvement sous son meilleur jour. Frigide Barjot avait, par son propre vécu, un recul sur son engagement puisqu'elle n'a pas eu ces convictions-là toute sa vie. Ce qui rendait plus facile de savoir où s'arrêter. Par contre, des chefs de file comme Ludovine de la Rochère n'ont pas ce qu'on pourrait qualifier de "capital sympathie visuel" que pouvait avoir Barjot.

Sa façon de faire le show autour de la Manif pour tous a-t-elle contribué au succès des manifestations ? A contrario son personnage a-t-il pu décrédibiliser une partie du discours des opposants ?

François Belley : Frigide Barjot est une bonne cliente, elle clive : soit on adore, soit on déteste et on adore la détester. Son pseudo en lui-même annonce la couleur aux médias, elle est là pour donner du spectacle, des phrases marquantes, des images… les médias sont friands de ce côté show. Son style  détonnant en fait un vrai produit marketing, Frigide Barjot s’est imposée comme une marque de fabrique de la Manif pour tous : t-shirt roses, slogans, images… Elle a réussi à incarner ce pléonasme de "conservatisme cool".

Sa limite c’est sa dimension apolitique, car le mouvement a pris de facto une dimension politique avec l’UMP et les groupes d’extrême droite. Les gens avaient besoin de savoir où elle se positionne politiquement, quelle est sa ligne.

Thomas Guénolé : Frigide Barjot a eu deux problèmes : le grand écart entre son image publique adaptée aux médias pour présenter une image avantageuse du mouvement. Et d'autre part le fait que ce même visage soit en décalage avec le noyau dur des activités de la cathosphère, qui ne sont pas habitués à ce genre de "produit" qui manque de retenue.

Elle a aussi notamment été rapidement débordée par des activistes de la droite traditionaliste et de l'extrême droite traditionaliste. Ceux qui ont défilé dans la Manif pour tous avaient un message politique qui se limitait à "Non au mariage et non à l'adoption mais oui à une union des homosexuels". Après, la colonne vertébrale du mouvement est bien différente : constituée de la droite traditionaliste et de l'extrême droite traditionaliste. Si on comparait les opinions de ces chefs de file et des électeurs de droite sur la laicité, l'avortement, le divorce, les rôles de l'homme et de la femme, on aurait des surprises.

Lorsque les débordements ont commencé à être violents, Frigide Barjot a-t-elle suffisamment pris l'ampleur des conséquences ? A-t-elle une part de responsabilité dans la radicalisation du mouvement ?

Thomas Guénolé : Frigide Barjot a contribué, à un moment donné, à la radicalisation du mouvement en tenant un langage qui était davantage celui de la guerre civile plus que de la manifestation politique. On peut estimer que c'est une faute de préparation et de manque de maitrise des mouvements politique de rue, de l'inconséquence plutôt que mal intentionnée.

François Belley : Frigide Barjot est à l’initiative de ce mouvement, pourtant dès que les débordements ont commencés elle s’est mise à l’écart. Sa décision de ne pas aller à la manifestation du 26 mai est forte de sens en termes de communication, elle refuse d’être associée à des images négatives qui pourraient lui nuire. 

Cependant, elle n’a pas contribué à la radicalisation politique du mouvement, car elle-même connaissait les conséquences, c’est d’ailleurs pour cela qu’elle s’est écartée du mouvement. Avec le recul, on peut dire qu’elle a été le moteur de l’ambiance festive du mouvement. Après, il y a des tactiques politiques qui s’opèrent qu’elle en contrôle pas.

Comment expliquer qu'une partie des opposants, notamment ceux qui veillent la nuit de façon pacifique, se soient désolidarisés du mouvement de la Manif pour tous ?

François Belley : Son succès s’est basé sur la notion de conservatisme cool, S’il n’y avait eu que Christine Boutin le mouvement n’aurait pas été aussi fort. On ne pouvait pas traiter Frigide Barjot d’homophobe. Son côté "gay friendly", a pu désolidariser une partie des opposants plus radicaux qui ne se retrouvaient dans le personnage de Frigide.

Quel bilan Frigide Barjot peut-elle tirer de ce passage médiatique très fort ? A-t-elle un avenir un politique ?

François Belley : Elle voudrait transformer ce coup médiatique en existence politique : transformer la Manif pour tous en avenir pour tous. Elle essaie d’utiliser sa force médiatique pour en faire une force politique, mais elle manque largement de crédibilité dans ce domaine. Ses soutiens sont peu nombreux dans le monde politique, car elle n’a pas le bagage suffisant, son historique est trop compliqué, ce n’est pas une femme politique au premier sens du terme. Son profil est trop hors des sentiers battus pour que son avenir en politique soit prometteur.

Thomas Guénolé : Elle a un capital médiatique. De là à en déduire un poids politique électoral, c'est autre chose. Christine Boutin, candidate en 2002 représentait 1% des voix. Cela dit , une candidature de droite traditionaliste au premier tour de l'élection présidentielle serait une bonne nouvelle pour l'UMP. La candidature de Philippe de Villiers en 1995 avait fait baisser le score de Jean-Marie Le Pen à 15 %, contre 17-18 % en 2002 sans lui. Ce serait donc une bonne chose pour la droite qu'il y ait une candidature séparée au premier tour.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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