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En France, 27 539 débitants de tabac ont le monopole de la vente au détail dont la distribution est assurée par Altadis.
En France,  27 539 débitants de tabac ont le monopole de la vente au détail dont la distribution est assurée par Altadis.
©Reuters

Enfumés

Face à la hausse annoncée des prix du tabac, les buralistes manifesteront mercredi à Paris pour exiger un moratoire sur les prix du tabac.

Pierre Kopp

Pierre Kopp

Pierre Kopp est avocat au barreau de Paris et professeur à l'université Panthéon Sorbonne (Paris-I). Il est l'auteur de L'économie de la drogue (La Découverte, collection Repère, traduit en portugais et en grec, 2006)
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Le gouvernement se propose d’augmenter le prix du tabac, la consommation devrait diminuer et le revenu des buralistes avec. Les buralistes manifesteront mercredi à Paris pour exiger un moratoire sur les prix du tabac. Ont-ils raison ? Un rapport récent de la cour des comptes (2012) nous donne tous les éléments de réponse.

En France,  27 539 débitants de tabac ont le monopole de la vente au détail dont la distribution est assurée par Altadis.  Les débitants de tabac exercent le plus souvent simultanément d’autres activités commerciales (presse, jeu, bar). Les débitants se rémunèrent par la différence (d’environ 6%) entre le prix auquel ils achètent le tabac à Altadis et le prix auquel ils le vendent. La situation économique des débits de tabac ne dépend pas exclusivement de leur activité liée au tabac qui ne représente qu’entre 20% et 30% de leur activité, selon les cas.

Contrairement à la très grande majorité des autres petits commerçants, les débitants de tabac sont très largement subventionnés par l’Etat. Ils bénéficient d’aides publiques anciennes sous la forme d’aide au financement de leur régime de retraite, de remise sur le prix des licences d’exploitation ou encore du financement d’audits de sécurité de leur commerce. Mais le gros de la manne publique date de la signature du premier « contrat d’avenir » entre l’Etat et la confédération des buralistes (2003). Ce plan était destiné a compenser les conséquences du relèvement des barèmes fiscaux du tabac.

En effet, entre 2002 et 2004, le prix du paquet de tabac le plus vendu est passé de 3,6 euros à 5 euros, soit une augmentation de 38%. Cette augmentation du prix a engendré une baisse de la consommation. Le nombre de cigarettes vendues a diminué de 33% entre 2002 et 2004. 1,8 millions de fumeurs se sont arrêtés de fumer en moins de deux ans. Un second plan (2008-2011) puis un troisième plan (2012-2016) ont été mis en œuvre, bien que les prix du tabac n’aient pas augmenté. Le total des subventions aux buralistes, entre 2004 et 2011, s’élève ainsi à 2,6 milliards d’euros.  Lorsque les débitants de tabac réalisaient un chiffre d’affaires de 100 euros en 2007, l’Etat leur ajoutait 39 euros de subventions.  

L’Etat s’est-il contenté de venir compenser les difficultés d’un secteur d’activité en favorisant sa reconversion ? Pas du tout ! En réalité, malgré l’augmentation du prix du tabac et la baisse de la consommation, la rémunération des buralistes a augmenté. L’aide de l’Etat constitue alors une véritable manne sans aucune justification.

Entre 2002 et 2011, les ventes de tabac ont diminué en volume (-30%) mais elles ont progressé en valeur de +21%. De ce fait et compte tenu de la diminution du nombre de débits au cours de la période (-21%), le chiffre d’affaires moyen (lié au tabac) des débitants a progressé, en euros courant, de +44,1% entre 2002 et 2011.

In fine, la rémunération moyenne des débitants a connu une progression spectaculaire. Sans même tenir en compte les aides de l’Etat leur rémunération a augmenté de 54% entre 2002 et 2011. Les aides publiques qui devaient venir compenser une dégradation sont au contraire venu améliorer une situation déjà florissante. Les aides ont dopé la rémunération moyenne de 67%, elles procurent un gain moyen supplémentaire de près de 4 000 euros par débitant. En tenant compte de l’inflation sur la période 2002-2011, les recettes de débitant de tabac en termes réels ont donc augmenté de 4% par an. Un sort que leur envie de nombreux autres petits commerçants.

Non seulement les aides publiques ont profité a une profession qui ne se portait pas plus mal que de nombreux autres commerces mais elles ont été particulièrement mal ciblées.

Les « plans avenir » comportaient deux types de subventions (la remise additionnelle et la remise compensatoire). La première n’est pas ciblée et bénéficie à tous les buralistes. La seconde est ciblée et est censée prendre en compte la situation économique du buraliste car elle n’intervient que lorsque son chiffre d’affaires a baissé.

En 2005, 56% des buralistes qui touchaient la remise additionnelle,  créée pour compenser leurs difficultés, n’avaient pas vu leur chiffre d’affaires diminuer ! Ils ont toutefois bénéficié de l’aide publique. Mieux, en 2011, 73% de ceux qui touchaient la subvention compensatoire n’ont pas observé de baisse du chiffre d’affaires.

La remise compensatoire, elle, n’est pas plafonnée. Ainsi, selon la Cour des comptes, un débitant qui réalisait un chiffre d’affaires non négligeable de 25 millions d’euros en 2002 a perçu près de 640 000 euros de compensation en 2011 et près de 4 millions d’euros en 2005 et 2011 ! Un tel cas est emblématique mais reflète combien le dispositif public a contribué à accroitre le chiffre d’affaires des plus gros débitants pour lesquels cette aide était injustifiée. Ainsi, en 2011, 10% des plus gros bénéficiaires de cette aide captaient 49% de l’aide.

Les buralistes ont donc largement profité de la manne publique. La Cour des comptes qualifie à juste titre les aides dont ils bénéficient de « véritables rentes de situation ». Leur protestation est donc injustifiée. Le gouvernement ne doit pas reculer et enfin interrompre le moratoire sur la hausse des prix du tabac. Les buralistes crient « au loup » et indiquent que 25% des cigarettes vendues le serait « en dehors du réseau officiel ». On pense immédiatement à la contrebande. Et pourtant, l’OFDT indique que si 20% des cigarettes consommées en France n’a pas été acheté dans un bureau de tabac français, 15% est acheté à l’étranger. Les achats transfrontaliers sont certes une mauvaise affaire pour les buralistes et le budget français, mais seul 5% des cigarettes consommées est acheté sur le marché parallèle.  Problème dont l’ampleur doit être comparée avec les bénéfices d’une augmentation du prix du tabac.  Une augmentation du prix du tabac de 10% engendrerait une baisse approximative de la consommation de 5% et provoquerait l’arrêt de fumer de 315 000 fumeurs tout en permettant d’éviter 1 500 décès par an.

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