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Projet socialiste : mais où est donc Internet ?
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#projetPS

Si le Parti socialiste aborde la question du numérique dans son projet pour la présidentielle 2012, Internet est peu ou mal traité.

Jean-Baptiste Soufron

Jean-Baptiste Soufron

Ancien Secrétaire Général du Conseil National du Numérique et Directeur du Think Tank de Cap Digital, Jean-Baptiste Soufron est aujourd'hui avocat chez FWPA Avocats

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L’innovation est l'un des sujets essentiels de tout programme politique moderne. En l’espace d’une seule génération, c’est toute une révolution technologique qui a transformé la vie, les activités et le travail des individus. La compétition internationale est plus intellectuelle qu’industrielle. Comme de nombreux autres pays du monde, la France est contrainte à plus d’innovation, d’éducation et de travail. Alors quid du projet que le PS a diffusé cette semaine ?

Un problème de forme

Sur la forme déjà, on aurait bien aimé voir quelque chose d’un peu plus 2.0. Cinquante pages de texte et trente propositions, c’est bien, ça prouve certainement que beaucoup de gens ont travaillé dessus, mais c’est un peu sec. On aurait bien aimé disposer de quelques slides présentant des graphiques ou des schémas. C’est toujours utile pour mieux comprendre les modèles qui ont dirigé la rédaction du programme.

Et où sont donc les infographies, les vidéos, les podcasts qui sont maintenant le pain quotidien de toute communication politique qui se respecte ? Diffuser un pdf c’est bien, mais mobiliser les militants et convaincre les indécis, c’est mieux.

Quelle différence par exemple entre la page d’accueil du projet du PS…

…et celle du projet de Barack Obama – tous deux en campagne pour 2012.

De la même façon, personne du PS ne semblait être présent sur Twitter au moment de la diffusion du projet. Pourtant les réactions n’ont pas manqué autour du projet socialiste. Sans aller jusqu’à en le mettre en wiki, il semblerait quand même raisonnable qu’un parti d’envergure nationale assure un peu plus le suivi de son texte sur Internet et sur les réseaux sociaux.

Erreur 404 – Internet not found

Sur le fond, le numérique est bien présent et l’innovation est un objectif central. Sans elle, « les individus s’appauvrissent et la société se disloque », la croissance disparaît. A terme, la « compétitivité-innovation » serait même la barrière qui permet d’empêcher l’irruption de la « compétitivité low-cost » et de « l’hyper-innovation. »

Mais mauvaise surprise, le mot « internet » est totalement absent du document diffusé - oubli majeur et remarqué. On le retrouve heureusement dans une version longue également disponible sur le texte, mais on est forcé de s’interroger sur les raisons qui ont conduit à ce qu’aucun des relecteurs ne se soit ému de son éviction.

Egalité numérique, logiciels libres et neutralité du net

Au rang des bonnes mesures, on peut noter que le projet développe en profondeur l’idée d’une égalité numérique entre les individus, il protège la neutralité du net, fait référence au logiciel libre, suggère de lancer des débats publics en ligne et propose une refonte du droit d’auteur.

Beaucoup des propositions faites sous le chapeau de l’égalité numérique reposent sur l’idée que le retard français dans l’internet serait d’abord dû à un manque d’infrastructures. Le projet s’alarme par exemple qu’un tiers des français ne soient pas connectés à leur domicile, mais il oublie que de nombreuses personnes préfèrent se connecter depuis leur travail et que l’internet mobile est en pleine explosion – déjà utilisée par plus de 15 millions de français et en croissance de 30% par an. Le « défi numérique » dénoncé par le texte existe certainement, mais ne s’agit-il pas plus de réussir à développer enfin une véritable industrie du numérique ?

A coté de ces propositions, de nombreux oublis confirment d’ailleurs le coté vintage du projet du PS : rien sur l’open data, le télétravail, l’enseignement et la formation à distance, etc. Et au-delà de ces sujets qui sont pourtant en passe de devenir des marronniers du web, rien sur la place des chercheurs et des entrepreneurs étrangers, pas de référence à l’industrie du capital risque et à ses difficultés de développement en France, aucune place faite au design et aux designers. 

Une méconnaissance des spécificités de l'industrie du web

De nombreuses mesures semblent donc décalées par rapport à ce qu’on sait aujourd’hui du fonctionnement de l’innovation. Le projet oublie un peu trop vite que beaucoup de success stories ont commencé dans un garage ou dans un petit incubateur, et qu’elles n’en ont pas moins créés de nombreux emplois – en France, et bien sur surtout à l’étranger. Le rôle de l’entrepreneuriat est sous-estimé, relégué dans les questions sociales, et complètement absent des problématiques d’innovation et d’internet.

Les logiques de stock-options et l’intéressement des investisseurs sont même franchement montrés du doigt alors que ce sont elles qui permettent aux startups d’embaucher contre la promesse d’une rémunération future dans un contexte où il est trop difficile de trouver autrement des fonds pour payer ses salariés. Le rôle financier et stratégique de l’industrie du venture capital est passé sous silence. C’est pourtant l’une des principales difficultés françaises, contraignant l’accès au capital, et rendant inaccessible la connaissance partagée véhiculée par ces réseaux qui co-investissent dans des projets en fonction de visions stratégiques basées sur des informations qu’ils sont souvent les seuls à détenir.

A la rigueur, les mesures relatives à la modulation de l’impôt sur les sociétés sont même de nature à compliquer l’investissement. Comment convaincre un financeur de rejoindre un projet s’il est acquis d’avance que celui-ci paiera un impôt sur les sociétés alourdi en cas de distribution de dividendes ?

Et les startups ?

Quant aux outils actuels de financement des startups, le projet propose de réorienter le Crédit Impôt Recherche vers les entreprises de moins de 2000 salariés et vers les entreprises industrielles tournées vers l’international. Il bénéficierait ainsi aux Entreprises de Taille Intermédiaire - entre 500 et 2000 employés – jugées prioritaires par le projet, ainsi qu’aux grands groupes internationaux. Mais combien de startups françaises se situent aujourd’hui entre 500 et 2000 salariés en France ? Et quelle société développant des applications sur iPhone n’est pas directement confrontée à la compétition étrangère ?

D’ailleurs, alors même que le débat faisait rage il y a seulement quelques mois, le projet ne fait aucune référence au statut des Jeunes Entreprises Innovantes. Dommage pour les entrepreneurs comme Tariq Krim, Gilles Babinet, Marc Simoncini qui se sont pourtant exprimé longuement sur le sujet et qui auraient sans doute appréciés de se voir reconnus comme l’embryon d’une véritable nouvelle communauté. 

Internet : un sujet de campagne pour la présidentielle 2012 ?

Enfin, le projet propose la création d’une Banque Européenne d’Investissement, d’une agence des PME et d’un small business act, mais le wishful thinking a ses limites. Personne ne peut prévoir avec certitude ce que seront les industries de demain, ni d’où viendront la croissance, l’activité et les emplois.

Même régionalisée, la mise en place d’un super-OSEO ou d’une super-CDC semble une mesure très surannée dans un univers où la croissance semble plutôt se développer autour de l’industrie du venture capital, de partenariats publics-privés. Quant à l’agence des PME, il existe déjà de très nombreux guichets d’aide pour les entreprises mais quid des nombreuses structures régionales et locales, associations, incubateurs, ou groupement de chercheurs et d’entreprises qui sont déjà en activité sur le terrain et qui crient leur envie de disposer de plus de moyens et d’autonomie. Pourquoi ne pas plus s’appuyer sur elles ? Quel serait leur rôle face à une agence de ce type ? Leur succès démontre peut-être même qu’il serait plus utile de tisser des liens entre les entreprises elles-mêmes au lieu de leur donner des directives ou de leur faire passer des « diagnostic innovation. »

De nombreux pays étrangers ont mis en œuvre des solutions originales, beaucoup d’acteurs français ont également fait des propositions qui font souvent sens. Le projet du PS a raison de se positionner résolument en faveur de l’innovation et du numérique. Mais on ne peut s’empêcher de penser que les mesures qu’ils proposent semblent datées face à l’évolution de la société numérique. Heureusement, la campagne de 2012 ne fait que commencer.

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