Pourquoi penser que l'impact de l'homme sur la planète date de l'âge industriel est une erreur d'optique fondamentale<!-- --> | Atlantico.fr
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Le nouveau paradigme consiste à dire que l’influence de l’homme sur son environnement est proportionnelle à sa population totale.
Le nouveau paradigme consiste à dire que l’influence de l’homme sur son environnement est proportionnelle à sa population totale.
©Reuters

Evolution

Une équipe de chercheurs américains a récemment mis avant le fait que l'influence de l'homme sur son environnement remonte à bien plus longtemps qu'on ne le pense. L'ère industrielle ne serait en fait que le prolongement d'un ouvrage commencé il y a plus de 3000 ans.

Erle Ellis

Erle Ellis

Erle Ellis est Docteur en Géographie et systèmes environnementaux à l’Université du maryland, où il enseigne les sciences environnementales, l’Ecologie du paysage et la Biogéochimie. Il est l’un des auteurs de l’étude Used Planet, A global History.

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Atlantico : Dans une récente étude, Used Planet, a global history, à laquelle vous avez pris part, vous soutenez que l’Anthropocène, époque à partir de laquelle les activités humaines ont eu un impact sur nos écosystèmes, a commencé bien avant l’âge industriel. Comment expliquez-vous que l’homme ait pu « modifier de manière significative et à l’échelle mondiale la biosphère il y a 3000 ans ou plus » ?

Erle Ellis : Si l’on se réfère aux scenarii historiques les plus plausibles de l’exploitation de la terre par l’homme au cours des 8000 dernières années, on constate effectivement que celui-ci a déjà commencé à modifier en profondeur la biosphère terrestre il y a de cela au moins 3000 ans.

Les populations peu nombreuses du début de l’ère humaine ont eu une influence bien plus grande que ce que l’on pensait, car elles n’avaient aucune raison d’appliquer des logiques productivistes à leur environnement. La façon la plus simple de subvenir à ses besoins était encore de chasser et cueillir ce qui pouvait l’être. Ayant considérablement réduit leurs sources de nourriture (gibier et plantes), ils ont mis en place des méthodes de chasse et de cueillette toujours plus sophistiquées, avec un impact sur la nature de plus en plus marqué.

Les populations s’agrandissant et entrant en concurrence, elles apprirent à brûler des forêts pour améliorer le rendement de la chasse et de la cueillette. Une fois que cela n’était plus adapté au nombre de personnes à nourrir, on a domestiqué les végétaux, appris à labourer le sol, irriguer, fertiliser, etc. Pour subvenir aux besoins d’une population donnée, les hommes exploitaient des parcelles bien plus grandes que par la suite. Au fur et à mesure que les populations augmentaient en nombre, l’exploitation du sol devenait de plus en plus efficace, permettant ainsi de nourrir plus de personnes avec la même surface de terrain. Ce processus est généralement appelé « intensification de l’utilisation des sols » : les populations anciennes utilisaient plus de terres par personne que les suivantes. Cette tendance s’observe de manière empirique et constitue un paradigme largement accepté dans tous les domaines rattachés à l’agriculture : histoire, archéologie, géographie, etc.

En revanche, cette idée est nouvelle pour qui veut comprendre les changements planétaires. Le nouveau paradigme consiste donc à dire que l’influence de l’homme sur son environnement est proportionnelle à sa population totale. Il est pour l’instant impossible de comprendre comment si peu de personnes ont pu, par le passé, exploiter autant de terres à elles seules, mais les données dont nous disposons font de cette évolution historique la théorie la plus plausible.

L’agriculture intensive est souvent perçue comme un phénomène récent qui remonterait à quelques siècles. L’être humain a-t-il toujours cherché à dépasser les limites de son environnement ?

L’agriculture intensive est une expression toute relative. En continu sur toute l’année, elle sera plus intensive qu’en rotation (avec système de jachère) ; de même, cultiver la terre avec des fertilisants et de l’irrigation (deux pratiques très anciennes) est plus intensif que sans. Par exemple, on constate que le recours à l’irrigation remonte dans certaines régions à au moins 8000 ans, notamment en Perse.

Quels sont les meilleurs exemples de l'influence passée des hommes sur les paysages, et par là même sur les écosystèmes ?

A l’âge du Pléistocène, l’homme a provoqué l’extinction de la mégafaune (Mammouths, mastodontes, etc.) sur plusieurs continents. Des régions boisées et d’autres biomes (unité écologique de très vaste étendue, recouvrant une fraction d’un ou de plusieurs continents et caractérisée par un ensemble d’espèces végétales et animales qui lui sont spécifiques, ndlr) ont ainsi vu leur structure profondément modifiée. Au-delà de la simple altération de la biodiversité, les extinctions anthropogéniques ont eu beaucoup de conséquences durables, notamment en altérant les flux de carbone et de nitrogène. Les feux de défrichage ont créé de nouveaux écosystèmes traversant des continents entiers. Cette pratique s’est maintenue pendant longtemps dans certaines régions, avec des effets non négligeables.

Les hommes déplacent les espèces animales et végétales depuis extrêmement longtemps, et pas seulement via la domestication et la mise en culture. L’introduction d’espèces exotiques remonte à très longtemps, avec à la clé, très souvent, des effets importants sur la structure et le fonctionnement de la biodiversité et de l’écosystème. Le labourage a, par exemple, des effets à long terme sur les sols et sur la végétation qui repousse après la fin de l’exploitation de la terre. Les effets de l’agriculture romaine, par exemple, sont encore mesurables sur les sols qui ont depuis été recouverts pas les forêts.

Diriez-vous de notre civilisation, basée sur l'utilisation des énergies fossiles, qu’elle est le résultat d'un développement logique allant de la période pré-humaine à l'ère industrielle ? 

L’utilisation des énergies fossiles a rendu possibles bien des choses (transport rapide des personnes et du matériel, synthèse massive de nitrogène pour les fertilisants…) et optimisé notre capacité à effectuer des tâches très anciennes (labourage, barrages, fabrication de l'acier et du béton…) avec moins de main d’œuvre. Le niveau d’influence des activités humaines a été rehaussé par notre capacité à exploiter de grandes quantités d’énergie pour effectuer ces tâches à la demande. La population mondiale a augmenté très rapidement sur cette même période, en grande partie grâce à ces nouvelles capacités. Mais je ne pense pas que l’activité industrielle, ou même l’utilisation d’énergie fossile représente une « rupture réelle entre un âge naturel et un âge industriel ».

L’évidence est telle qu’on ne peut nier qu’une croissance sans précédent de la population et de l’influence humaine est intervenue ces deux derniers siècles. Néanmoins, la capacité et la volonté qu’ont les hommes à modifier la planète  s’inscrit dans un processus à très long terme. Les caractéristiques spectaculaires et sans précédent de notre temps ont été rendues possibles par les innombrables générations d’innovateurs et de transformateurs de la Terre qui nous ont précédés.


Propos recueillis par Gilles Boutin

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