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Comment lutter contre les tueries de masse ?
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shotgun

Les fusillades provoquées par des déséquilibrés tirant dans la foule pour des raisons indéterminées augmentent depuis une trentaine d'années en Europe et aux Etats-Unis.

Julien Marcel

Julien Marcel

Julien Marcel est juriste et journaliste à Sécurité & Stratégie, auteur de Tueurs de masse (Eyrolles,2012) avec Olivier Hassid.

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« L’acte surréaliste le plus simple consiste à descendre revolvers aux poings dans la rue et à tirer au hasard tant qu’on peut dans la foule » André Breton

Le 20 avril 1999, au lycée de Columbine, deux jeunes garçons ouvrent le feu sur leurs camarades : ils tuent 13 personnes et en blessent 24. Le 20 octobre 2001, en plein centre-ville de Tours, un homme de 45 ans tire sur les passants : il blesse une dizaine de personnes et en tue quatre. Le 20 juillet 2012, dans un cinéma à Aurora (Colorado), un jeune adulte tue avec son arme à feu 12 personnes et en blesse 60. Le jeudi 25 avril 2013, à Istres, un jeune homme de 19 ans armé d’une kalachnikov tire au hasard : il tue 3 personnes.

Ces tueries de masse sont en constante croissance depuis plusieurs décennies dans les sociétés occidentales. Rare jusqu’aux années 1960, cette forme de violence a considérablement augmenté à partir de 1970 jusqu’à nos jours (plus de 130 tueurs de masse ont sévi à travers le monde depuis les années 1980 : à eux seuls ils ont tué plus de 800 personnes et en ont blessé un peu plus de 1000[1]).

Le tueur de masse est l’individu qui ouvre le feu non pas sur une personne désignée, mais sur une masse ou sur un collectif aux contours parfois bien flous (les hommes politiques, les féministes, ou tout simplement la société). Il s’agit d’électrons libres qui n’agissent ni pour une idéologie ni pour un mobile crapuleux et qui ne cherchent pas à abattre une victime en particulier. Ce ne sont ni des terroristes, ni des voleurs à main armée, ni des auteurs de crimes passionnels. Ils agissent souvent sans raison clairement identifiée ou pour des motifs très vagues : « la société des gosses de riches[2] », « ce monde de merde[3]», « la race humaine[4] »…

Le tueur de masse passe à l’acte pour mettre un terme à un sentiment d’exclusion et d’échec. En commettant un tel acte, il cherche à supprimer des individus qui ne sont que les miroirs d’aspirations inabouties. Ce qu’il veut, c’est bruler une image négative qui lui est, selon lui, sans cesse imposée. Le tueur de masse souhaite en supprimer les vecteurs : les autres, la société, les femmes, les riches, les puissants… Lors de son massacre le tueur de masse est pour un moment supérieur à ses congénères. Il est le seul à avoir le choix de tuer ou de laisser en vie. Oscillant entre narcissisme exacerbé et pulsion vengeresse, le tueur de masse cherche également à s’assurer une gloire dont le fait qu’elle puisse être post-mortem n’a que peu d’importance (la grande majorité des tueurs de masse se suicident après leur acte ou « cherchent » à se faire abattre par les forces de police). Le tueur de masse orchestre cette future célébrité : il travaille son costume (souvent emprunté à des icônes de la culture populaire – jeux vidéo ou film d’action), choisit ses répliques et prend soin de disséminer quelques clefs qui permettront de comprendre et d’analyser son « œuvre ». Ainsi, les auteurs de tuerie de masse diffuseront au hasard d’internet peu avant leur massacre des films et des textes qu’ils auront travaillés auparavant.

Le tueur de masse n’agit pas de façon structurée avec l’aide de complices, il n’est pas organisé en réseau. Contrairement à un terroriste, il n’échange généralement pas sur la Toile ou par téléphone sur la concrétisation de son projet. Il ne participe pas à des regroupements extrémistes (ou dans de rares occasions), il ne recherche pas des fonds pour perpétrer son crime. Il n’est que peu traçable et repérable. Les tueurs de masse agissent généralement seuls voire à deux (comme cela a été le cas de la tuerie de Columbine). Ainsi, les autorités ne sont a priori pas en mesure de les surveiller pour contrôler leurs agissements. Les services de renseignements ne peuvent ni les suivre ni les interpeller.

Le possible accès aux armes à feu par des personnes civiles demeure un facteur aggravant de ce phénomène. Aujourd’hui entre 580 et 650 millions d’armes à feu[5] sont possédées par des particuliers (dont 290 millions aux États unis, soit presque une par habitant). Autant d’armes qui pourraient finalement être l’outil d’une des tueries de masse à venir. Cependant, il est difficile d’affirmer qu’un durcissement législatif sur les armes permettra d’éradiquer totalement la survenance de tueries de masse, il permet juste de la limiter. En effet,  une arme peut être obtenue de façon illicite, sur Internet par exemple, comme semble l’avoir fait l’auteur de la tuerie d’Istres (jeudi 25 avril 2013).

S’il semble impossible de mettre un terme au phénomène des tueries de masse, celui-ci pourrait être contenu. Certains dispositifs pourraient même lors de la survenance d’un tel massacre, en limiter les conséquences en termes de victimes. Des dispositifs de prévention situationnelle dans les lieux publics « sensibles » pourraient être mis en place. Il peut s’agir d’alarmes ou de systèmes de code véhiculé, via un système de microphone ou via un réseau social interne. Cette alerte doit être couplée à un système d’évacuation spécifique. L’objectif est d’organiser une évacuation discrète et la mise en sécurisation des vies humaines sans pour autant créer la panique du forcené. À cet égard, depuis la tuerie d’Erfurt en Allemagne le 26 avril 2002, les établissements scolaires allemands ont mis en place des codes. Ainsi, au moment de la fusillade le 11 mars 2009, le responsable de l’établissement de Winneden (Allemagne) a prévenu les autorités rapidement et lancé un code via le système de microphone de l’établissement. Le code « Mrs Koma is coming » était connu des seuls professeurs.

L’analyse du parcours des auteurs de tuerie de masse laisse apparaitre que dans près de trois quarts des massacres[6], le tueur lui-même avait été victime de brimades et d’humiliations (bullying). Ces agressions commises par l’entourage proche (collègue, membre de la famille, camarade de classe, voisins…) sont considérées dans les pays anglo-saxons comme un réel problème de santé publique. Certains pays tentent d’enrayer ces pratiques par un arsenal juridique fort et de multiples actions de sensibilisation. La mise en place de politiques anti-bullying dans les écoles ou les entreprises doit également être un axe à envisager.

Enfin c’est toute la société qui doit aujourd’hui être sensibilisée à la possible survenance de ce type de massacre. Sans pour autant se perdre dans un climat de psychose, l’ensemble de la population doit désormais intégrer ce phénomène pour mieux le comprendre, l’appréhender et surtout le combattre. Ce phénomène nous oblige à nous réinterroger sur le mode de fonctionnement de nos sociétés (valorisation de la performance individuelle, de la mobilité, de la compétitivité…), confrontées à la difficile équation consistant à favoriser la liberté individuelle tout en réduisant le risque de désinsertion sociale.



[1] « Tueurs de Masse – Un nouveau type de tueur est né » - Olivier Hassid et Julien Marcel- Eyrolles 2012

[2] Tiré des écrits de Cho Seung-hui, tueur lors de Virginia Tech le 16 avril 2007, transcription vidéo. La reprise des écrits et des transcriptions vidéo est consultable dans le livre (sans mention d’auteur). La Logique du massacre, derniers écrits des tueurs de masse ?, Éditions Inculte, coll. « Documents », 2010.

[3] Tiré du journal d’Éric Harris, l’un des deux tueurs du massacre de Columbine, le 20 avril 1999.

[4] Propos tenus par Matti Juhanni, tueur lors du massacre du lycée professionnel de Kauhajoki (Finlande) le 23 septembre 2008. Ces propos ont été tenus dans une vidéo qu’il a diffusée sur YouTube.

[5] Small Arms Survey, 2011, States of Security, Cambridge University Press.

[6] « Tueurs de Masse – Un nouveau type de tueur est né » - Olivier Hassid et Julien Marcel- Eyrolles 2012

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