Sommes-nous tous gaullistes aujourd'hui ? Pourquoi les Français plébiscitent encore le général <!-- --> | Atlantico.fr
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Sondages et enquêtes ont dès 1944 mesuré de façon régulière la popularité de De Gaulle.
Sondages et enquêtes ont dès 1944 mesuré de façon régulière la popularité de De Gaulle.
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Bonnes feuilles

Né dans le refus de la défaite, le gaullisme a fortement marqué la vie politique française, des grandes réformes de la Libération à la fondation de la Vème République. Extrait de Les Gaullistes, hommes et réseaux (1/2).

François Audigier,Bernard Lachaise et Sébastien Laurent

François Audigier,Bernard Lachaise et Sébastien Laurent

François Audigier, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Lorraine, est spécialiste d’histoire politique française contemporaine, du gaullisme en particulier.

Bernard Lachaise est professeur d’histoire contemporaine à l’université Bordeaux-3, ses recherches portent sur l’histoire politique et le gaullisme.

Sébastien Laurent est professeur d’histoire contemporaine à l’université Bordeaux-IV. Ses travaux portent sur l’Etat, la sécurité et sur les marges du politique.

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Les Français – qui savent que le monde a changé – plébiscitent le général de Gaulle : s’agit-il de sa figure ? De sa personne? De son style de président ? Le rassemblement de l’opinion est permanent car l’adhésion des Français est dynamique.

Sondages et enquêtes ont dès 1944 mesuré de façon régulière la popularité de De Gaulle. Celui-ci leur accordait une réelle attention car il les considérait comme un instrument d’information important. Les enquêtes actuelles se placent donc dans une perspective longue. Les sondages ont révélé, très tôt, l’adhésion des Français à de Gaulle et, ce qui est extraordinaire pour nous, c’est que quelles que soient les périodes et la nature des événements, sa courbe de popularité est toujours restée au-dessus des 50% d’opinions favorables (en particulier entre 1958 et 1969).

Deux études aident à mesurer ce « rassemblement des Français autour de Charles de Gaulle ». Elles forment un détour nécessaire pour apprécier le particulier de ce qui nous intéresse. La première est l’enquête d’opinion conduite par la Sofres en 19901, la seconde celle réalisée par TNS Sofres en octobre 20102. Quelques enseignements s’imposent à leur lecture. Le premier est la permanence de l’accord sur le caractère déterminant pour la France de l’action et de la personne de Charles de Gaulle, c’est là le « gaullisme de l’opinion ». En 1990, on relevait 70 % d’appréciations positives à l’évocation du nom du Général ; 84 % jugeant son action bénéfique. Dès novembre 1969, 53 % des Français se déclaraient satisfaits dans un sondage IFOP du bilan de la période 1958-1969. Ils étaient 81 % en juin 1990.

L’approbation actuelle ne relève donc pas d’un effet d’oubli qui provoquerait une popularité « nécessairement grandissante » des présidents après leur départ du pouvoir, les contre-exemples des jugements négatifs portés sur les présidences de Giscard d’Estaing et de Mitterrand le montrent. Elle prend appui sur le socle de popularité de De Gaulle président en exercice. La montée en puissance de cette popularité a été constante. Le succès des ventes des Mémoires d’espoir relie l’approbation majoritaire du vivant de De Gaulle à la construction puissante de sa mémoire après sa mort. Le tome 1, « Le renouveau, 1958-1962 », est publié en octobre 1970 : en trois jours 175 000 exemplaires sont achetés, 600 000 en six mois. Le tome II, « L’effort, 1962-1965 », inachevé, est publié quatre mois après sa mort, en mars 1971 : 375 000 exemplaires sont vendus en 48 heures.

Contrairement à des affirmations hâtives, on n’observe donc pas un quelconque renversement de tendance après 1970 mais bien un renforcement constant de celle-ci des années 1960 à nos jours. Le deuxième point d’accord est la place éminente que les Français accordent à de Gaulle, que ce soit dans la liste des « grands hommes » ou dans celle des « meilleurs présidents de la Ve République ». Dans toutes les enquêtes de 1978 à 2010 les Français le considèrent comme le personnage le plus marquant de l’Histoire de France, le champion de l’Histoire nationale.

Déjà signalée, la troisième convergence est que cette place dans l’Histoire est indissociable du 18 juin 1940, de la Résistance et de la Libération. De Gaulle est l’homme de l’Appel : c’est l’opinion de 44 % des sondés en 2010, 43 % en 1990, mais 28 % en 1985 et 37 % en 1980. L’évidence actuelle s’est donc construite et paraît depuis vingt ans établie. Dès 1946-1947, Vincent Auriol invitait d’ailleurs de Gaulle à ne pas affaiblir par un engagement particulier la reconnaissance nationale. C’est-à-dire à rester ce personnage historique déjà rangé en quelque sorte, ce que de Gaulle évidemment contestait. Le quatrième point, plus nuancé, est que pour une majorité de Français le « gaullisme » est une référence qui appartient à l’histoire. En 1990, 50 % le pensaient comme une classification dépassée, 67 % en 2010.

l’Histoire est indissociable du 18 juin 1940, de la Résistance et de la Libération. De Gaulle est l’homme de l’Appel : c’est l’opinion de 44 % des sondés en 2010, 43 % en 1990, mais 28 % en 1985 et 37 % en 1980. L’évidence actuelle s’est donc construite et paraît depuis vingt ans établie. Dès 1946-1947, Vincent Auriol invitait d’ailleurs de Gaulle à ne pas affaiblir par un engagement particulier la reconnaissance nationale. C’est-à-dire à rester ce personnage historique déjà rangé en quelque sorte, ce que de Gaulle évidemment contestait. Le quatrième point, plus nuancé, est que pour une majorité de Français le « gaullisme » est une référence qui appartient à l’histoire. En 1990, 50 % le pensaient comme une classification dépassée, 67 % en 2010. Le cinquième point montre que les Français se rejoignent pour apprécier les qualités de l’homme. C’est un des fondements de sa popularité. Chacun reconnaît son attachement à la France, son sens de la grandeur, de l’État, sa volonté, son courage, son honnêteté. Là se mesurent son actualité, les points d’ancrage de son héritage. Dans une analyse proposée en 19902, Jean-Pierre Rioux notait que de Gaulle pouvait apparaître comme un proche « dont les vertus privées confirment que la reconnaissance collective de son action publique a été faite à bon escient ». Il faut inverser l’approche : l’attachement des Français aux qualités de la personne s’est installé avant la reconnaissance de son action. L’approbation de l’action publique du médiateur a pu alors s’appuyer sur la conscience partagée de ses vertus privées.

Le ralliement des Français n’est donc pas un fait récent même si aujourd’hui ces qualités ressortent d’autant plus qu’elles semblent moins portées : l’adhésion des Français est une exigence pour le présent. Ce jugement sur l’homme est devenu inséparable de celui porté sur la qualité de son action comme président, indépendamment des décisions et des politiques suivies, et donc de l’éloignement des contextes. Il nourrit l’exemplarité de son rôle pour les présidents qui lui ont succédé, aujourd’hui pour les présidentiables. Il n’est pas certain que tous apprécient cette actualité. Un dernier point réunit l’opinion. Il concerne la période de la Ve République, en particulier les réformes institutionnelles majeures de 1958-1962 : l’élection du Président au suffrage universel direct et l’usage du référendum. Pour les Français, elles ont puissamment renforcé l’acquis républicain : de Gaulle est ce démocrate attaché au respect de la souveraineté du peuple, son départ, après le « non » au référendum de 1969, conforte le jugement. L’adhésion des Français est une reconnaissance du caractère admirable de certains actes et de la pertinence durable de décisions prises par de Gaulle. Ce qui est plébiscité c’est un mode d’action et d’expression qui, en quelque sorte, ne passe pas. On en comprend l’historicité, on en voit le désuet ou l’inattendu dans l’expression et l’apparence, celle de la voix et celle du corps, tout ce qui relève du registre personnel, mais on y reconnaît avant tout l’aptitude à agir pour le bien collectif, à remplir le contrat passé avec le peuple, ce lien qui « investit et oblige1 » le médiateur, le met en charge du pouvoir et l’engage moralement.

Cette adhésion est révélatrice d’un éloignement entre les citoyens et les élites.

Il y a un désaccord entre la lecture des politiques sur ce qu’a été de Gaulle et la perception qu’en ont les Français. Les responsables politiques participent au consensus mais, s’ils soutiennent, avec des nuances, le côté remarquable et souvent mémorable de l’action et de la personnalité du général, ils affirment avec autant de force, et comme une évidence de la raison, l’historicité de celles-ci. Pour les Français, au contraire, ce qui s’impose c’est une forme d’actualité de De Gaulle, la reconnaissance d’une pertinence dans le rapport au monde, aux pouvoirs, ou aux valeurs entendues comme des exigences partagées de comportement. Le désaccord n’est pas nouveau, ce n’est donc pas l’effet d’une nostalgie quelconque mais plus profondément l’affirmation que ce qui a été reste souhaitable car exemplaire. En mai et juin 1958, les sondages avaient déjà souligné l’écart entre les Français et les politiques sur le sens du retour du Général – sur sa capacité à régler les problèmes comme sur la nécessité qu’il puisse rester au pouvoir durablement1. Plus de quarante ans après sa mort, la différence d’appréciation montre autre chose qu’un écart circonstanciel, elle est révélatrice d’un hiatus contemporain. La conception que se font les élites de ce que doit être un dirigeant ne répond pas à l’attente des Français : c’est une rupture sur ce que doit être le rôle d’un médiateur2. La crise qui touche les médiateurs est engagée depuis plusieurs années, elle concerne les hommes et les partis de droite comme de gauche. C’est une crise de confiance dans le cadre particulier des institutions de la Ve République. La Constitution a attribué au président de la République3 un rôle essentiel qui n’a pas été fondamentalement transformé par les alternances et les cohabitations, aussi, l’enjeu de son élection ne s’est-il pas démenti. Depuis un demi-siècle, de Charles de Gaulle à Nicolas Sarkozy, la fonction présidentielle est au coeur de l’agencement du nous.

Cette crise de la médiation est celle d’une inadaptation sensible des médiateurs aux attentes du nous : ils ne répondent pas à celles-ci et semblent ne pas avoir conscience des contraintes que leur impose le nous. Le reproche d’un décalage entre médiateurs et nous est une critique fréquente1, mais la crise actuelle est particulièrement vive : elle résulte d’un déphasage ou pire d’un découplage entraîné par la disparition de qualités que le nous ne retrouve plus chez les médiateurs. Car pour remplir ce rôle, il faut habiter la fonction. Pouvoir dire le nous pour un médiateur suppose d’avoir conscience des principes qui l’agencent, de ce qui rassemble les individus dans le groupe. Il faut en outre savoir les exposer. Ces principes, les idéaux associés à la République (Liberté, Égalité, Fraternité, mais aussi Laïcité), forment ce « point » symbolique qui nous réunit, point d’incomplétude2 ou d’ancrage du groupe. « Dire le nous » est une question de parole : c’est l’aptitude à organiser la confiance, une foi commune, cet ensemble de valeurs partagées et héritées dont le sens est constamment actualisé par celui ou celle qui les prend en charge. Le médiateur explique au nous ce qui doit être compris du point d’ancrage : il est un intermédiaire donc un interprète. L’étymologie du mot est apparentée à celle de prix : le médiateur défi nit le prix entre le nous et son point d’ancrage. Le prix comme valeur du service que rend le point d’ancrage au nous et le prix comme l’ensemble des valeurs que le nous doit respecter pour correspondre aux exigences du point d’ancrage. L’interprète établit l’échelle des qualités du nous, sa norme. Les valeurs sont donc les repères3 du nous qui lui permettent de se retrouver comme assemblage particulier. « Repère », évolution de repaire, signale, en architecture, une marque pour retrouver les éléments d’un assemblage et signifie aussi rentrer dans sa patrie.

Le retour au point de départ est bien un retour à l’origine. Le médiateur établit le repère indiquant ce que sont les marques d’assemblage du nous, il permet à chacun de se retrouver. Dans ce différend, révélé par l’adhésion soutenue des Français à de Gaulle, le nous rappelle aux médiateurs ce qu’il attend d’eux : cette inversion des rôles montre l’ampleur de l’attente et l’intensité de la crise politique. Que faut-il à un médiateur pour que son discours et ses actes soient entendus, et qu’il conserve donc sa légitimité ? S’il doit savoir employer les mots justes pour être en sympathie avec ceux à qui il s’adresse, il faut également que sa personne et son comportement soient recevables par le nous. Il ne s’agit plus de convaincre mais bien de convenir. C’est ce que de Gaulle avait puissamment établi : le médiateur doit avoir une légitimité qui accompagne et dépasse la seule question de la légalité de son pouvoir. Cette exigence est une dimension propre à l’éthique, c’est la conscience d’un devoir qui dépasse, sans le nier, l’ordre du droit et de la loi. L’homme du 18 juin était là tout entier qui, au nom de valeurs supérieures, était allé au-delà du seul plan de la loi.

Extrait de "Les gaullistes : Hommes et réseaux " (Nouveau Monde éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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