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Dépistage génétique de la trisomie 21 : sommes-nous en train d'ouvrir la boîte de Pandore ?
©Reuters

Bienvenue à Gattaca

Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) vient de se déclarer favorable aux nouveaux tests de détection de la trisomie 21 par des tests génétiques fœtaux dans le sang maternel. Le CCNE affirme être favorable à leur introduction en France, même s'ils seraient dans un premier temps réservés aux femmes à risque.

Pierre Le Coz

Pierre Le Coz

Pierre Le Coz est Professeur des Universités en philosophie, et docteur en sciences de la vie et de la santé. Il a été vice-président du Comité National d'Ethique jusqu'en 2012.

Ses recherches portent, entre autres, sur la biomédecine, la bio-éthique et le principe de précaution.

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Atlantico : Le comité consultatif national d’éthique a émis ce jeudi un avis favorable au dépistage génétique de la trisomie à partir de l’ADN fœtal identifiable dans le sang maternel. Dans son rapport le comité d’éthique fournit une feuille de route pour anticiper le séquençage intégral du génome. Le comité d’éthique ouvre-t-il ainsi la boîte de Pandore ?

Pierre Le Coz : On voit mal ce que le CCNE aurait pu recommander d’autre qu’un usage prudent du séquençage du génome. Si le Comité d’éthique avait pris le contrepied des progrès du dépistage prénatal, il aurait été accusé de déni de la réalité. A vrai dire, la boîte de Pandore a été ouverte de longue date. Dès les années 90, des généticiens comme Jean-François Mattei évoquaient le jour où l’on pourrait savoir si un enfant est porteur d’une trisomie 21 à partir d’une simple prise de sang maternel.

Il faut se rendre à l’évidence : nous  vivons dans un monde régi par un processus technique qui nous entraine de façon irrésistible et irréversible. La technique avance;  elle n’a pas plus de morale qu’un rouleau-compresseur ; elle ignore le bien et le mal. Ses progrès sont si éblouissants que l’on ne peut qu’y acquiescer. C’est pourquoi tout ce qui est possible sera réalisé.

Il y a bien longtemps que nous avons perdu le contrôle de la situation. Les progrès avancent et prennent tout le monde de vitesse. Une nouvelle prouesse technique en renferme mille autres. Chacun perçoit les dangers, mais nous nous sommes pris les pieds dans le tapis, empêtrés dans des contradictions insolubles.

La difficulté de l'exercice du dépistage et du diagnostic prénatal, et notamment en ce qui concerne la trisomie 21, est que le diagnostic de cette condition ne peut déboucher sur aucune proposition thérapeutique. La seule solution proposée aux parents est celle de l'interruption de grossesse. Cela ne pose-t-il pas un problème éthique ? 

Si, et c’est même le plus grave problème : le fait qu’on élimine au lieu de soigner. A partir du moment où l’on peut éradiquer une anomalie avant la naissance, à quoi bon faire des recherches pour la guérir ? Nous sommes face à un évènement énorme dont nous n’avons pas encore pris toute la mesure : la sélection des enfants à naitre. Certes, quand la grossesse est déjà avancée, l’avortement médical ne se fait pas à la légère. Les spécialistes que nous avions auditionnés au CCNE sur ce point étaient formels. Mais le revers de la médaille avec le test ultra-précoce, c’est que l’attachement materno-fœtal étant plus faible, les décisions peuvent être moins réfléchies, plus expéditives, et laisser plus de place aux regrets.

Par ailleurs, quelle est la fiabilité de ces tests ? Les praticiens sont-ils eux-mêmes suffisamment bien informés sur ces tests ? Sont-ils en mesure d’offrir suffisamment d’informations à leur patiente ?

Ce qui est en soi symptomatique, c’est le fait que l’on parle de "patiente", avant même que la gestation n’ait eu le temps de commencer !  La multiplication des tests risque de transformer la grossesse en un évènement à haut risque. Le rapport à la maternité deviendra plus anxiogène, moins naturel. Souvent on affolera les femmes enceintes pour rien, avec des conséquences sur la santé du fœtus qui ne sont pas forcément bénéfiques. A cet égard, le CCNE a eu raison de mettre en garde contre le manque de fiabilité des tests en libre marché, vendus sur internet pour des motifs lucratifs dissimulés.

En matière d’informations, on rappelle que les praticiens ont une obligation déontologique de réactualiser leurs connaissances ;  je pense qu’ils mettront en garde les femmes enceintes contre la circulation électronique de tests par des firmes privées. Mais bien sûr ils ne pourront jamais délivrer des informations génétiques très supérieures à celles que les couples trouveront directement par eux-mêmes sur internet car la génétique est une spécialité pointue qui se renouvèle constamment.

A partir du moment où les médecins pourront lire l’ensemble du génome des fœtus, cela justifiera-t-il qu’ils communiquent l’ensemble de ces informations aux parents ?

La question se pose en effet car il faut se rendre compte que même fiables, des tests n’en seront  pas pour cela rassurants. En effet, la plupart des connaissances que délivrent les tests sont d’ordre probabiliste (« votre enfant aura 20% de risques de développer tel type de diabète », etc.). Mais on ne pourra probablement pas restreindre l’accès aux informations  car notre culture éthique et juridique est basée sur les principes de l’autonomie et du consentement éclairé. On ne peut plus aujourd’hui masquer des informations de façon paternaliste, pour protéger les patients. Il est impensable que le médecin ne dise pas franchement tout ce qu’il voit, tout ce qu’il sait. De toute façon, il aura bien trop peur d’un procès pour se permettre une rétention d’information qui est totalement contraire à la loi Kouchner  du 4 mars 2002.

 La balle sera dans le camp des couples : voulez-vous savoir, y compris ce que vous n’êtes pas venu chercher ?  Il est important que chacun prenne ses responsabilité, que chaque citoyen, chaque parent, chaque enseignant développe une conscience aigüe de ce qui est en train de se jouer : du jamais vu dans l’histoire de l’Humanité.

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