Le grand malentendu : de la Birmanie au Sri Lanka, qui a dit que les bouddhistes étaient pacifiques ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des populations bouddhistes mènent des actions violentes contre d'autres confessions.
Des populations bouddhistes mènent des actions violentes contre d'autres confessions.
©Reuters

Bouddha Bar(re) à mine

Birmanie, Sri Lanka, Thaïlande. Dans tous ces pays, des populations bouddhistes mènent des actions particulièrement violentes contre d'autres confessions.

Raphaël Liogier

Raphaël Liogier

Raphaël Liogier est sociologue et philosophe. Il est professeur des universités à l'Institut d'Études Politiques d'Aix-en-Provence et dirige l'Observatoire du religieux. Il a notamment publié : Le Mythe de l'islamisation, essai sur une obsession collective (Le Seuil, 2012) ; Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ? (Armand Colin, 2012) ; Une laïcité « légitime » : la France et ses religions d'État (Entrelacs, 2006).

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Atlantico : Des violences secouent la Birmanie, le Sri Lanka ou encore la Thaïlande. Les populations bouddhistes y mènent de véritables campagnes contre les autres minorités. Comment expliquer ces foyers de violence bouddhiste ?

Raphaël Liogier : Le phénomène nouveau, en particulier en Birmanie et au Sri Lanka, c'est le rapport à l'islam. Il y avait déjà des violences interconfessionelles, depuis longtemps, mais elles visaient, notamment au Sri Lanka, les hindouistes. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à ce mythe de l'islamisme mondial, force décentralisée, qui mettrait en péril les identités nationales, dans le cas de l'Europe, mais aussi les identités religieuses ailleurs dans le monde. L'identité nationale, dans ces pays, est assez fragile. Elle s'est construite historiquement sur la religion.

Il n'est pas fréquent que des violences soient justifiées par le bouddhisme, mais cela a existé au cours de l'histoire. Un bon exemple est celui du moine zen japonais, extrêmement célèbre, Yasutani. Dans ses sermons, il justifiait l'attitude des kamikazes japonais lors de la Seconde Guerre mondiale. Il expliquait le suicide de ces gens au nom du grand Japon, expression de la vacuité bouddhiste.

D'un point de vue systémique, plus collectif, sur le plan politique, vous avez des régimes comme celui de la féodalité tibétaine, dans certaines conditions, qui a été extrêmement dur et inégalitaire. Une caste de moines et de lamas y dominait une population qui était forcée de les nourrir. Il ne s'agit pas de violences individuelles mais d'un système profondément injuste. Le bouddhisme est aussi marqué par ce type de périodes.

D'où vient, dès lors, cette image pacifique développée dans l'inconscient collectif occidental lorsque l'on évoque cette religion ?

Le passage par ce type de violences est propre à toutes les religions : c'est aussi valable dans l'histoire de l'islam. L'une ces caractéristiques des premiers temps de l'islam est la mise en place d'un système où chrétiens, juifs et musulmans coexistaient dans une même société. La première société considérée comme idéale, à Medine, constituée par le prophète Mohammed, voyait se rencontrer une multitude d'individus différents culturellement qui n'adhéraient pas tous à l'islam.

Dans l'histoire des bouddhismes, on trouve le même type d'histoire politique. Il y a eu un empereur en Inde, Ashoka, qui a mis en place au IIIème siècle avant Jésus-Christ ce que l'on considère comme l'un des premiers systèmes laïques. On y tolérait les différences religieuses et culturelles dans un même espace politique et juridique. La légende le décrit comme un combattant sanguinaire, dans les premiers temps de sa vie, qui se serait par la suite convertit au bouddhisme, optant pour une plus grande tolérance et une société dotée d'une grande tolérance et d'une grande redistribution sociale. Ce système se serait effondré du fait de l'inadaptation de ce modèle aux réalités de cette époque.

Le bouddhisme est donc bien, fondamentalement, une religion de non-violence ?

La notion de non-violence n'est pas propre au bouddhisme. Elle a été reprise assez récemment par différents activistes, comme le Dalaï Lama et d'autres activistes qui se sont manifestés un peu partout en Asie : Vietnam, Inde, Thaïlande ...

On retrouve beaucoup de ces personnalités au sein de l'INEB (International Network of Engaged Bouddhists) qui ont fait une interprétation du bouddhisme à travers le concept de non-violence. Ils en font une forme d'humanisme social, écologiste et engagé selon un concept rejetant la violence.

Dans le contexte extrême oriental, ce concept de non-violence est issu de l'hindouisme. Il est directement tiré du jainisme, courant dont faisait partie Gandhi. Pour eux, il faut éviter d'interrompre l'existence d'autrui. Cela va jusqu'à préserver le devenir de la moindre forme de vie, de la fourmi à la plante. En suivant cette perspective, il est donc évident que toute violence envers un autre peuple est inenvisageable.

Ces notions trouvent-elles leurs sources dans les textes originels du bouddhisme ?

Pas vraiment. On trouve une notion similaire, plus dépendante de ce que l'on appelle le karma. Dans cette vision du bouddhisme, nous sommes tous interdépendants. Chaque cause produit des effets. Ce que l'on fait a toujours un impact sur autrui. Si je fais quelque chose de négatif à autrui, cela peut avoir un impact négatif sur l'ensemble du monde.

Ce qui compte dans le bouddhisme, c'est l'intention. Si je décide d'être clairement non-violent et de ne pas réagir à une situation, je risque de provoquer des violences à un autre niveau de par mon attentisme. Le bouddhisme condamne cette attitude. Le Dalaï Lama a tenté d'appliquer cette idée à la lettre : il faut parfois agir. Le bien d'autrui et son éveil sont directement liés dans la poursuite d'une réduction des souffrances globales.

Dans cette interprétation du bouddhisme, la violence peut aussi être un moyen d'atteindre l'éveil. C'est le cas des samuraï : ils étaient bouddhistes, tout en développant une violence extrême. Pour eux, pourtant, il ne s'agissait pas de violence mais d'une quête d'une meilleure conscience. Le principe est le même que pour certaines expressions violentes du communisme, qui espérait y trouver une étape vers une société meilleure.

Ces logiques peuvent-elles justifier les violences qui secouent actuellement la Birmanie ou le Sri Lanka ?

En Asie du sud-est, le nationalisme s'est largement construit sur le rapport au bouddhisme. Certains régimes, extrêmement durs, se sont appuyés sur le clergé bouddhiste. Ca a été longtemps le cas en Birmanie.

Les événements actuels montrent surtout que ce n'est pas une question de bouddhistes ou non bouddhistes. Le problème relève surtout d'une instabilité identitaire dans toute la sous-région. Ce qui est inquiétant, c'est l'émergence d'un pan-nationalisme à l'échelle de toute cette partie de l'Asie, qui se tourne directement contre un islam qui devient le prétexte du sentiment d'insécurité identitaire et le moteur de violences interconfessionnelles graves.

C'est une bonne leçon pour nous qui imaginons les bouddhistes comme des surfeurs végétariens...

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