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Le comité pour la fiscalité écologique s'est prononcé en faveur d'un alignement des carburants diesel et essence.
Le comité pour la fiscalité écologique s'est prononcé en faveur d'un alignement des carburants diesel et essence.
©Reuters

Transition

La tentative de transformation du parc automobile français risque de heurter le mur de la réalité : les véhicules les plus anciens et polluants sont souvent possédés par les plus modestes qui ne peuvent acheter des voitures neuves, même avec des aides gouvernementales.

Bernard Jullien et Christophe Benavent

Bernard Jullien et Christophe Benavent

Bernard Jullien est économiste.

Il est directeur général du réseau international Gerpisa (Groupe d’étude et de recherche permanent sur l’industrie et les salariés de l’Automobile).

Christophe Benavent est professeur à Paris Ouest. Il enseigne la stratégie et le marketing et dirige le Master Marketing opérationnel international l. Il assure aussi la responsabilité de la rubrique "Digital" de la revue Décision Marketing.

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Après les tergiversations sur les possibles évolutions de la fiscalité sur le gazole et les éventuelles contreparties qui pourraient être envisagées pour aider les ménages à y faire face, les autorités avaient temporisé et s’en étaient remises à l’avis du CFE - Comité pour la fiscalité écologique installé par le gouvernement en décembre 2012. Sans qu’il soit précisé à quelle échéance, l’avis est clair et milite contre l’avantage dont bénéficiait jusqu’alors en France le gasoil. L’avis indique ainsi :"Le Comité demande que les services de l'État mettent à l'examen différents scénarios de réduction de cet écart, avec une évaluation complète des impacts d'un tel réalignement fiscal sur l'environnement et la consommation d'énergie, mais également sur les ménages et les entreprises, afin d'identifier l'ensemble des mesures d'accompagnement à mettre en place pour les plus touchés". On s’y attendait mais sachant combien il sera difficile de ménager la chèvre sociale et écologique et le chou industriel dans un contexte de rareté budgétaire et de crise de l’automobile française, la suite de la séquence va, pour le gouvernement, être bien difficile à gérer.

Les industriels français vont – non sans raison – souligner le danger qu’il y aurait à opérer un tel revirement trop vite pour eux qui, depuis presque trente ans, ont mis l'essentiel de leurs œufs technologiques dans le panier diesel et amené les ménages à les suivre. En dévalorisant cette option au profit de l’essence que d’autres avaient privilégié plus volontiers, on transformerait leur avantage concurrentiel en handicap et/ou on ferait d’eux qui sont plutôt aujourd’hui pourvoyeurs de solutions pour d’autres constructeurs des acheteurs de solutions clés en main chez leurs concurrents. Il y a toutes les raisons de penser qu’ils n’auront guère de mal à faire entendre ces arguments et l’essentiel n’est sans doute pas là mais dans la difficulté qu’il y a aujourd’hui à concilier la politique industrielle avec la politique des parcs.

De ce point de vue, le fond du débat tient en ce constat : le parc le plus ancien est détenu par les ménages les plus fragiles et pour lesquels le prix du carburant pèse le plus lourd. Comme l’indique le graphique ci-dessous, les dépenses en carburant des ménages urbains peuvent éventuellement être maintenues en deçà de 3,5% de leur budget grâce à l’usage possible des transports en commun ; pour les ménages ruraux, les 60% les moins riches dépensent entre 4,3 et 6,5% de leurs revenus à faire le plein et, dès lors que pour contenir ce budget, ils ont volontiers diésélisé leurs parcs, ce sont eux qui seront les premières victimes du revirement que Bruxelles a poussé Paris à opérer.

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Les données dont on dispose par ailleurs sur les parcs indiquent que le vieillissement qui a marqué le parc français depuis vingt ans a concerné d’abord les mêmes ménages. Le parc des ménages ruraux qui croît de 1,3 million d’unités entre 1994 et 2008 vieillit de 1,6 an pour atteindre 9,5 ans d’âge moyen. Le parc des ménages des deux déciles les plus pauvres ne croît que de 870 000 unités mais il dépasse largement les 10 ans d’âge moyen. L’âge moyen du parc détenu par les ménages ne passe en dessous des 8 ans que lorsque l’on atteint le 8e décile…

Ceci signifie clairement qu’offrir des alternatives aux ménages les plus fragiles est aussi nécessaire que difficile à imaginer avec l’offre actuelle de véhicules neufs essence ou diesel : un ménage qui utilise un véhicule de plus de dix ans acquis d’occasion alors qu’il avait 5 ans n’est pas client d’une concession et il ne suffira pas de lui donner 1000 ou même 2000 euros pour que son "consentement à payer" pour un autre véhicule s’envole jusqu’au 10 ou 12 000 euros dont auraient besoin les usines françaises pour que leurs 208, C3 ou Clio soient une solution de remplacement. La même enquête Transport indiquait en 2008 que le parc des ménages ruraux avait été acquis d’occasion pour 72% et celui des deux premiers déciles à plus de 75% ...

Ainsi, le rajeunissement et la sortie du parc de diesel atmosphériques des années quatre-vingt-dix peut difficilement se faire si l’on tente de le marier avec l’objectif de ventes de véhicules neufs. En procédant ainsi, on sait en effet que c’est la partie la plus jeune et en meilleur état du parc ancien que viennent présenter les ménages en concession. On sait aussi que les ménages concernés sont ceux qui ont le moins besoin de ces primes pour s’équiper mieux. Si à l’inverse, on donnait la possibilité d’accéder à une prime conséquente pour renoncer à un véhicule de plus de 15 ans (plus de 5 millions de véhicules) au profit d’un VO de moins de 5 ans, alors l’effet de rajeunissement serait puissant mais les effets sur le marché du neuf plus incertains.

Le coût de la mesure – même si elle était assortie de conditions de revenus et/ou de résidence- pourrait alors être important et serait difficilement contrôlable. Les effets sur les valeurs résiduelles des véhicules de 5 ans pourraient alors générer une opportunité de renouveler plus tôt leurs véhicules pour les ménages détenteurs mais savoir dans quelle proportion et au profit de quelle offre de VN serait hautement problématique. En bref, une telle mesure paraîtrait assez aventureuse à la fois en termes de finances publiques et en termes industriels. On imagine mal dans ces conditions qu’elle puisse prendre place dans le contexte actuel.

On se retrouve ainsi dans une situation où les problèmes écologiques et de santé publique sont posés enfin dans les termes qui conviennent c’est à dire en raisonnant sur le parc circulant et non pas sur les seuls véhicules neufs vendus. En effet, au moins autant que les vertus écologiques des véhicules nouvellement mis en circulation, importent en matière écologique ou de sécurité routière l’âge et l’état du parc circulant. Si, en même temps que les véhicules s’améliorent, le parc vieillit et est mal entretenu parce que les ménages ne peuvent ni accéder aux véhicules neufs et propres et ni faire face aux coûts d’entretien qu’ils engendrent en vieillissant pour rester conformes aux caractéristiques faciales qui étaient les leurs à leur sortie d’usine, alors les politiques conçues sont problématiques.

On se trouve d’évidence en France et en Europe - de l’Est en particulier - dans ce type de configuration et ceci doit interroger les constructeurs autant que les concepteurs des politiques publiques. Le fait que l’hétérogénéité des parcs et des comportements de motorisation ou des "pouvoirs d’acheter des véhicules neufs" soit devenu ce que nous constatons qu’elle est lorsque, comme ce fût le cas cette semaine, on pose l’ensemble de ces questions rend le système "ingouvernable" : techniquement, aucune mesure ne peut être satisfaisante et le risque d’inventer des "usines à gaz technocratique" pour tenter de réussir la quadrature du cercle est grand ; politiquement, il faudra des trésors de mauvaise foi pour défendre quelque décision que ce soit y compris celle de ne rien faire.

Ceci incite à rechercher les moyens de faire en sorte que les politiques technologiques, industrielles et environnementales soient aussi, plus directement, plus rapidement et plus efficacement, des politiques des parcs. Proposer des solutions propres alternatives qui permettent, dans des enveloppes contraintes, de s’équiper mieux et de transférer une part significative de l’enveloppe aujourd’hui absorbée par les frais d’utilisation des véhicules vers l’acquisition et – donc – l’industrie : tel peut être un objectif raisonnable de politique automobile qui réconcilierait Batho et Montebourg et/ou l’écologie et la santé publique et le dynamisme industriel. La France automobile pourrait trouver là une manière légitime de contester la « voie allemande », de renoncer à la religion de la "montée en gamme" et de cesser de confondre les valeurs ajoutées élevées avec le montant des valeurs unitaires.

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