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Des physiciens italiens affirment dans une étude que les fluctuations des cours boursiers seraient totalement livrées au hasard.
Des physiciens italiens affirment dans une étude que les fluctuations des cours boursiers seraient totalement livrées au hasard.
©Reuters

Rien ne va plus

Panique sur les marché à la moindre annonce de la Fed, dégringolade des actions chinoises... Les investisseurs en bourse ne savent plus à quel saint se vouer. Des physiciens italiens affirment dans une étude que les fluctuations des cours boursiers seraient totalement livrées au hasard, et donc en réalité impossibles à prévoir. L'investissement par pile ou face serait une nouvelle piste à explorer...

Nicolas Gauvrit

Nicolas Gauvrit

Nicolas Gauvrit est chercheur en Mathématiques appliquées à la psychologie, à l'éducation, en probabilités statistiques et probabilités subjectives.

 
 
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Atlantico : Deux physiciens italiens ont récemment publié une étude dont il ressort que les fluctuations des cours boursiers seraient totalement livrées au hasard, et donc imprévisibles. En comparant les prévisions obtenues à partir de quatre stratégies courantes sur les marchés avec celles d’une « non stratégie », à savoir le hasard, ils se sont aperçus que le taux de réussite moyen de chaque modèle classique était de 50%. Soit ce qu’on obtient en tirant à pile ou face. Dans quelle mesure peut-on faire confiance au hasard lorsque l’on veut investir en bourse ?

Nicolas Gauvrit : Si les fluctuations boursières sont effectivement purement aléatoires (et indépendantes des choix des actionnaires), alors toutes les stratégies se valent et, dans le cas d'une alternative simple (du type ça monte / ça descend), le taux de réussite de toute stratégie sera de 50%. On pourrait même dire que c'est une caractérisation du hasard.

Pour en savoir plus sur le caractère aléatoire des marchés et les mauvaises prises de décisions, retrouvez chez Atlantico Editions les ouvrages d'Evariste Lefeuvre Oui, les marchés financiers sont irrationnels (ou en tout cas sont incapables de comprendre les crises économiques) et Pourquoi vous vous trompez tout le temps (et comment arrêter) partie 1 et 2.


Le CAC 40 serait-il une loterie qui s’ignore ?

Pour autant, ce qu'ont observé les auteurs ne prouvent pas avec certitude que le CAC 40 est totalement aléatoire. Il peut en effet exister des processus parfaitement déterministes, suivant une loi bien précise, mais pourtant totalement imprévisibles en pratique, parce que la moindre erreur de mesure aboutit très rapidement à des prévisions aberrantes. C'est ce qu'on appelle des "systèmes chaotiques", systèmes liés aux fameux "effet papillon" : un changement initial minime engendre des variations considérables. C'est souvent ce qui est dit des fluctuations boursières : elles sont chaotiques.

Selon l’étude, en se basant sur cette « stratégie » de l’aléatoire, on gagne moins dans un laps de temps restreint, mais on perd également moins. Si un tel système devait voir le jour sur toutes les places boursières, en finirait-on avec la volatilité des marchés, les effets de groupe ? Autrement dit, parviendrait-on à la régulation parfaite ? Les prévisionnistes et les traders se retrouveraient-ils sur le carreau ?

Difficile de dire ce que donnerait un tel changement, parce qu'il y a des interactions entre ce que font les traders et les entreprises. A priori, si l'on s'en tient à l'idée qu'une action monte lorsqu'elle est beaucoup demandée et qu'elle baisse si elle l'est peu, en tirant tout au hasard, on supprime les effets de "bulles", et on obtient des fluctuations aléatoires moins variables que ce qu'on observe aujourd'hui.

Mais une autre piste de réflexion mérite d'être citée. Gerd Gigerenzer travaille depuis longtemps en "économie comportementale" sur ces questions de décision. L'une de ses hypothèses, bien appuyée par des expériences nombreuses, et que les personnes "naïves" sont finalement très bien armées pour résoudre des problèmes que les experts ne savent pas résoudre. Dans le cas de la bourse, il montre par exemple qu'unefillette de 6 ans peut constituer un portefeuille d'actions plus performant qu'un trader. Pour cela, elle se base sur des intuitions très simples mais efficaces : si elle connaît  le nom de la marque, c'est que l'entreprise est en bonne santé. Ces intuitions élémentaires débouchent, montre Gigerenzer, sur des choix plutôt bons et garantissant un bénéfice modéré, mais en général positif. Au contraire, les traders tentent des "coups", et sont amenés à prendre des risques énormes parce qu'ils espèrent gagner beaucoup, ce qui débouche parfois effectivement sur des bénéfices colossaux... mais très souvent sur d'énormes pertes.

Ces deux physiciens avaient déjà établi que les membres d’un parlement  travailleraient mieux si une grande partie était tirée au sort dans la population, car cette dernière obligerait les professionnels de la politique à œuvrer pour le bien du plus grand nombre. Pourrait-on aussi confier au hasard les questions de gestion qui incombent normalement aux parlements, financiers et autres experts ?

Comme le montrent les travaux de Gigerenzer, choisir une personne au hasard ne revient pas à choisir une option au hasard. Dans la démocratie grecque, on distinguait nettement les questions politiques générales, pour lesquelles tout citoyen peut avoir son opinion et doit être compétent (pour prendre un exemple récent, le mariage pour tous ou la loi interdisant le cumul des mandats), et certaines questions réservées aux experts (les stratégies militaires ou les choix énergétiques).

Il me semble que cette vision est toujours correcte. Le débat est maintenant de savoir si les questions de gestion entrent dans le domaine de la politique générale, ou si au contraire il s'agit d'une question d'experts...

Le regard humain reste-t-il une donnée irremplaçable ?

Encore une fois, choisir un citoyen au hasard n'est pas choisir une solution au hasard. Il y a en fait trois stratégies pour décider quelle décision prendre : on peut laisser le hasard décider, laisser décider un citoyen tiré au hasard, ou s'en référer à un expert.

Si l'on combine les résultats de Gigerenzer et des auteurs italiens, la meilleure solution semble être de s'en remettre à des citoyens choisis au hasard... Mais comme la manière dont on procède aura une influence sur les stratégies des entreprises, il est difficile de dire ce que cela donnerait en réalité. Par exemple, si les traders se mettaient à choisir leurs actions en fonction de la connaissance de la marque, le résultat serait inévitablement une explosion généralisée des campagnes de publicité... et peut-être retomberait-on rapidement dans la situation actuelle.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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