Derrière l’opération patrimoine, l’impossible moralisation de la haute administration<!-- --> | Atlantico.fr
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L’affaire Cahuzac trahit avant tout la faillite et l’opacité de la haute administration.
L’affaire Cahuzac trahit avant tout la faillite et l’opacité de la haute administration.
©Reuters

Le compte n'y est pas

Pourquoi la publication du patrimoine des ministres est un arsenal administratif improvisé, inopérant et dangereux.

Alexandre Vesperini

Alexandre Vesperini

 
Alexandre Vesperini est conseiller de Paris, délégué auprès du maire du 6ème. 
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"La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson". C’est par cette réplique placée dans la bouche d’Alain Delon par Michel Audiard que se clôt l’un des meilleurs navets du début des années 80, Mort d’un pourri. Si le temps s’est chargé de faire oublier ce nanar politico-viril du cinéma français, le "tous pourris" n’a fait que prospérer au fil des années, avec l’affaire Cahuzac comme dernière actualité. La gravité de ce scandale est telle que nos ministres ont pris sur eux de rendre public leur patrimoine. Si elle s’avère très vendeuse pour les médias et si elle permet au gouvernement de faire diversion par rapport aux enjeux économiques et sociaux, cette réponse aurait cependant dû être repensée. Il y a en effet largement de quoi s’interroger sur les avantages de passer au Meilleur des mondes en politique.

Grâce à la multiplication des déclarations patrimoniales, on sait désormais que la ministre du Logement et les dirigeants écologistes roulent en voiture et non en vélo, que la majorité de nos élus ne sait pas épargner ou investir et qu’une infime minorité de nos représentants a effectué sa carrière dans le secteur privé avant de se lancer en politique.

Et enfin grâce à l’affaire Cahuzac, on aura vu à nouveau surgir les propos toujours pertinents d’Eva Joly, affirmant qu’il était utile de savoir si un  responsable politique possédait un yacht ou un kayak, comme l’ancienne candidate écologiste à la présidentielle. 

Tout cet emballement en faveur de la déclaration de patrimoine est-il cependant la solution au problème posé par le "scandale Cahuzac" ? Rien n’est moins sûr.

Cette mesure est une triple erreur : d’une part, elle n’empêchera pas de soustraire des fonds douteux aux déclarations officielles, comme l’avait fait Jérôme Cahuzac à sa prise de fonctions et dans son désormais célèbre discours à l’Assemblée nationale ; d’autre part, les salariés du secteur privé seront encore un peu plus dissuadés d’entrer dans un champ politique déjà dominé par les fonctionnaires, qui leur promettra ainsi la suspicion en plus de la précarité financière ; enfin, cette décision lance une course à la transparence dont on n’ose imaginer l’aboutissement en terme d’état de droit.

Cédant à la pression médiatique, le gouvernement créé finalement un dangereux précédent puisqu’il va faire de la richesse personnelle un élément d’appréciation de l’action publique. Ce n’est donc pas vers le modèle norvégien d’aujourd’hui, mais vers la Terreur de 1793 qu’on s’oriente.

Inopérant, dangereux et improvisé, ce nouvel arsenal législatif ne vise pas la bonne cible, puisque l’affaire Cahuzac trahit avant tout la faillite et l’opacité de l’administration, comme le montrent les difficultés du Parlement à faire la lumière sur l’enquête menée par Bercy, suite aux révélations de Mediapart.

Quelques idées pourraient être bien plus utilement creusées afin d’assurer un meilleur contrôle démocratique, mais se concentrent sur l’appareil technocratique et non sur la classe politique.

Premièrement, la légitimité des grands corps, qui peut légitimement nous interroger : est-il normal que le Conseil d’Etat soit en même temps le conseiller juridique du gouvernement et le garant de la légalité administrative, c’est à dire juge et partie des litiges entre les institutions et les citoyens ? Peut-on encore admettre autant de nominations au tour extérieur, qui bien souvent tiennent plus aux copinages qu’aux compétences des intéressés ? Est-il encore justifié que les membres du Conseil d’Etat soient exempts de tout contrôle, alors que même les magistrats à la Cour de cassation peuvent passer devant le Conseil supérieur de la magistrature ?

Deuxièmement, la clarification de l’action publique : contrairement aux engagements pris par le gouvernement Ayrault sur la baisse des dépenses, on peut se demander s’il est vraiment nécessaire de créer au sein du quai d’Orsay un poste d’ambassadeur économique pour la région Limousin, à l’heure de la coopération décentralisée. Par ailleurs, il est grand temps qu’un portail public puisse permettre au citoyen de connaître les salaires des patrons des grandes directions ministérielles et des personnalités missionnées par le gouvernement. Attendue par une grande partie de nos concitoyens, cette publicité serait très utile pour supprimer les comités Théodule innombrables et les postes d’ambassadeurs thématiques, dont le coût faramineux est supporté par les contribuables et non par une industrie corruptrice, n’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon.

Troisièmement, l’indépendance des administrations chargées du contrôle de l’Etat : ne devrait-on pas ainsi rapprocher plus fortement la Cour des comptes du Parlement, en mettant fin à l’emprise de l’Elysée sur l’institution précisément chargée d’auditer les comptes de la présidence de la République ? Quant aux aller-retours entre organismes de contrôle d’une part et administrations et entreprises publiques d’autre part, la question des conflits d’intérêts et de l’entre-soi corporatiste appelle des vraies réponses plutôt que des chartes et des bonnes intentions jargonnantes, auxquelles le citoyen ne comprend évidemment presque rien.

Le scandale Cahuzac implique donc une opération transparence de la haute administration, bien plus que la vie politique, dont le cadre normatif est déjà très riche et contraignant.

Ces pistes vers la moralisation l’administration ne seront malheureusement pas suivies car bien souvent, les hommes et les femmes qui nous gouvernent croient à la sagesse de la haute fonction publique comme on croyait au XIXème siècle à l’infaillibilité pontificale.

Depuis que la République est fondée sur l’état de droit, nous élisons nos représentants pour ce qu’ils font et non pour ce qu’ils ont. Hélas, la loi qui sera discutée à l’été devrait affaiblir cette règle.

Doit-on comprendre que nos ministres ont décidé de se mettre à nu pour compenser l’illisibilité de la politique gouvernementale ? Ce qui est d’une évidente clarté, c’est qu’en prenant de pareilles décisions, ils courent le risque de fragiliser leur carrière personnelle, et bien plus grave encore, la qualité du lien démocratique.

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