Mariage homosexuel : pro ou anti, qui sont les lobbies à la manœuvre, qui les financent ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le mariage gay déchaîne les passions en France.
Le mariage gay déchaîne les passions en France.
©Reuters

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Alors qu'une source parlementaire a indiqué lundi que le vote solennel sur le projet de loi permettant le mariage aux couples homosexuels aura lieu le mardi 23 avril, deux experts de la question du lobbying reviennent pour Atlantico sur l'importance de ces réseaux sur le pouvoir décisionnel.

Atlantico : Existe-t-il réellement des lobbies influents dans le débat sur le mariage gay ? Comment fonctionnent-ils ?

Yves Derai : On a des lobbies dans les deux cas. Ceuxfavorables au mariage gay sont dans le circuit depuis longtemps. En effet, cette question est débattue depuis bien avant la mise en place du Pacs. Les mêmes lobbies qui avaient travaillé pour la victoire du Pacs ont travaillé sur la question du mariage. Le Pacs était considéré comme une simple étape. Ces lobbies ont rapidement essayé d'influencer sur le thème de la parentalité. Par exemple l'association des parents gay et lesbiens (APGL) travaille depuis des années à ces questions d'adoption, de filiation, d'homoparentalité… Mais aussi au sein des partis politiques, il y a des réseaux d'influence. C'est le cas par exemple de "Homosexualité et Socialisme" qui a toujours été actif au sein du PS. Un des membres était d'ailleurs le "Monsieur Gay" de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris. Ce n'est pas officiellement un lobby, c'est plus une sorte de think-tank qui réfléchit, qui fait des propositions, un peu comme GayLib. Mais au final, ils fonctionnent comme des lobbies internes qui essaient de faire avancer leurs revendications à l'intérieur même de leur parti.

Dans quasiment  tous les partis politiques français vous avez des sections homos qui travaillent sur ces questions. Chez les écolos, à l'UMP et même quelques personnalités au Front national. Si on ne peut pas parler de lobby gay dans ce cas précis, il y a quand même quelques personnes qui s'adressent à Marine Le Pen pour tenter de faire évoluer ses positions.

De l'autre côté, évidemment, il y a des associations, d'obédience catholique-traditionnelle, qui sont très opposées au mariagegay et qui possèdent leur zone d'influence. Il y a des gens qui à tous seul peuvent être des lobbies. Cela ne prend pas toujours une forme associative, une forme structurée. Cela peut prendre une forme plus informelle mais sans pour autant être moins influent.

René Président :Du côté des anti, il n'y a pas de lobby influent qui existe sur le mariage gay. Il y a une personnalité, en l'occurrence Frigide Barjot, qui a eu le courage et qui a pris le risque de faire mener des petites frondes un peu partout en France. Au début, elle était prise pour une marginale dans le milieu catholique. Mais à force de mobilisation elle a réussi à se faire entendre. C'était il y a déjà un an. Au début c'était pour faire un contrepoids à Civitas car on entendait qu'eux sur la question. Civitas s'était mobilisé très tôt et c'était la seule voix catholique à se faire entendre. Et ils agrégeaient un certain nombre de gens qui n'étaient ni traditionalistes, ni intégristes. Frigide Barjot ne voulait donc pas qu'ils soient les seuls.A force de persistance, de campagne sur le web et d'intérêt des médias elle a réussi à monter le mouvement que l'on connaît (la Manif pour tous). Mais au départ Frigide Barjot, c'est tout sauf un réseau.

Ce qui se passe c'est que cette persistance, cette émergence d'une personnalité a rencontré une immense envie de se mobiliser de la part de gens qui considèrent qu'il est nécessaire de défendre un héritage. C'est donc autour d'une personnalité que s'est fédéré un mouvement. Mais ils s'agrègent sur la cause défendue par Frigide Barjot plus que sur sa personne. Même si derrière ces mobilisations, il y a des organisations. Alliance Vita, par exemple, est souvent citée comme une des associations lobbyistes du côté des anti-mariage gay. C'est une association qui possède des antennes sur le terrain, en région avec des militants. C'est vraiment quelque chose de constitué par rapport à Frigide Barjot. De là à être considéré comme un lobby ? Oui mais pas sur ce thème là. Normalement l'Alliance Vita se mobilise sur le handicap. Mais ils ne sont pas dans la démarche du lobby. Ils ne connaissent pas leur député, leur maire, ils ne cherchent pas influencer qui que ce soit. Même Civitas ne peut pas être considéré comme un lobby. On peut parler d'une association militante mais pas de lobby. Ils n'ont aucune influence sur le pouvoir décisionnel. Il n'y a personne chez eux qui connaissent le moindre député. Contrairement à l'Alliance Vita qui le fait sur le handicap. De même les AFC (associations familiales catholiques) ne peuvent pas être considérées comme un lobby.C'est un regroupement de famille qui pèse sur les questions de la famille. Ils ont une présence institutionnelle et une structure ancienne, très organisée. Mais sur le thème du mariage gay, ils ne sont pas très influents. Ils ont joué un rôle par exemple dans la mobilisation pour l'école libre en 1984. Mais là, ils suivent le mouvement mais ne sont ni déclencheurs, ni organisateurs. L'Eglise a de l'influence mais seulement auprès des paroissiens. Mais pas à l'échelle étatique.

Les partisans du mariage gay, de leur côté, sont organisés en lobby. Ils ont un accès aux médias, ils organisent des sensibilisations à l'école, ils font des actions à l'Assemblée. Un lobby c'est l'émanation d'un certain nombre de gens, d'entreprises, qui sont organisés pour peser sur les décisions politiques nationales.

Quelle est la réelle influence de ces lobbies ?

Yves Derai : Un lobby efficace, c'est un lobby qui travaille à la fois sur les textes de loi, sur les aspects juridiques, au niveau médiatique. Mais pour les anti mariage gay par exemple, dans le cas présent, ils ont aussi fait un travail de rencontres avec des pédopsychiatres, des intellectuels, des psychologues, des scientifiques… qui leur ont donné des points de vue sur le sujet. Un lobby ne peut pas s'appuyer seulement sur une force militante. Chez les anti, je pense que ces forces là traversaient la société française depuis longtemps. Je pense qu'il y avait un certain nombre d'association qui étaient très consciente de ces questions et qui se préparaient à agir. Et Frigide Barjot a réussi à fédérer tout ces mouvements sur un socle de valeurs. Ajouté à cela un malaise plus généralisé dans la société, c'est comme cela qu'on se retrouve avec plus d'un million de personnes dans la rue. C'est un ensemble d'éléments qui permet d'en arriver là. Mais après les associations tentent de fédérer ce mouvement. Que ce soit chez les pro comme chez les anti.

Je pense qu'avant que cela ne devienne une volonté politique, il y a eu une action des lobbies, de certaines structures associatives qui ont fait avancer les choses tant sur le plan juridique que médiatique. Pour que ça devienne une volonté politique, il a fallu un travail préalable. François Hollande ne s'est pas levé un matin en se disant : "je vais faire une loi sur le mariage gay".  C'est un mouvement qui est né il y a une bonne trentaine d'années, depuis la dépénalisation de l'homosexualité.

Comment ces lobbies se financent-ils ?

Yves Derai : Il y a une galaxie gay en France qui est très importante. Il y a des journaux, des magazines, des gratuits mais aussi le réseau LGBT qui fédère beaucoup d'associations. Mais il existe aussi des mouvements qui regroupent beaucoup de décideurs homos. Il y a donc tout un tissu associatif qui existe, qui est fédéré dans l'inter-LGBT.  Et celui-ci fait un travail de réseau auprès des partis politiques, des entreprises, des cabinets, pour faire avancer leurs revendications et se faire financer leurs positions. Il y a forcément des gens qui financent. Pierre Bergé fait partie de ces personnalités. Mais il se dit non-communautariste, tout en ayant des activités de mécénat.

René Président : Dans le cas de l'Alliance Vita par exemple, il y a des donateurs à qui ils font appel régulièrement tout simplement. Mais il y a aussi un certain nombre de grands donateurs qui sont des grands patrons. Pierre Bergé fait partie de ces grands argentiers du mouvement gay. Chez les partisans, il y a surtout une démarche très politique. Ils sont constitués en sous-groupe de parti politique, très bien relayés dans les boîtes de production. Ce qui n'est pas le cas chez les opposants. Les partisans ont une démarche plus politisée. Les loges maçonniques ont aussi joué un rôle très important pour les partisans. C'est un objectif avoué du Grand Orient par exemple que de faire passer le mariage gay en France. Ils ont donné des objectifs de société à faire légiférer. Parmi eux le mariage homo, l'adoption, l'euthanasie… C'est donc un organisme conçu pour faire de l'influence.

Les opposants au mariage gay sont beaucoup moins organisés. Ils fonctionnent plus par mail, texto etc. Cela demande moins de financement. D'où la réactivité avec des manifestations un peu partout et sans réelle organisation. C'est plus du coup par coup.

Assiste-t-on à une guerre des lobbies sur ce sujet précis ?

Yves Derai : Non je ne crois pas. Je pense qu'aujourd'hui cela va plus loin qu'une guerre des lobbies.  La société française est traversée  par cette question. L'affrontement, l'opposition, se fait au sein même des familles, entre les parents et les enfants. C'est un réel débat de société, violent, qui se radicalise. C'est un vrai débat des idées plutôt qu'une guerre de lobby. C'est une question qui touche les gens dans leur intégrité, dans leur croyance, leur conviction. Tout le monde a une opinion sur ce sujet. Il n'ya pas besoin d'avoir fait vingt ans de militantisme pour s'exprimer sur cette question. Cela traverse désormais toute la société française, toutes les religions, tous les partis politiques, les lobbies jouent ici leur rôle de relais.

René Président :Nous assistons effectivement à une guerre entre d'un côté des lobbies très organisés et de l'autre un mouvement populaire spontané très important. D'où la surprise des partisans du mariage gay qui ne s'attendaient absolument pas à ce qu'il y ait une opposition aussi virulente. En effet, ils avaient enlevé des obstacles, ils avaient effectué un travail en amont : la majorité de la population était d'accord, dans l'éducation nationale aussi la question commençait à être posée. Tout ce mouvement, très ancien, très coordonné, est tombé nez à nez avec un mouvement populaire très puissant. Ce qui les surprend. Des mobilisations spontanées sans structure qui secouent la société civile. Les catholiques sont galvanisés et cela entraîne les confrontations actuelles.

Propos recueillis par Maxime Ricard

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