Pourquoi les Français ne savent plus compter (et pourquoi c'est grave) <!-- --> | Atlantico.fr
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A la fin du collège, seuls 30% des Français sont capables de multiplier ou d'additionner des nombres simples.
A la fin du collège, seuls 30% des Français sont capables de multiplier ou d'additionner des nombres simples.
©DR

Et un, et deux, et...

A l'âge de 15 ans, les Français ont déjà suivi près de 1 500 heures de cours de maths depuis leur entrée au CP. Et pourtant, à la fin du collège, seuls 30% d'entre eux sont capables de multiplier ou d'additionner des nombres simples et de calculer des carrés simples.

Michel Vigier

Michel Vigier

Michel Vigier est ingénieur et président-fondateur de l'Association pour la prévention de l'innumérisme. Ses travaux ouvrent de nouvelles voies pour une réelle " refondation " des apprentissages mathématiques à l’école. 

Michel Vigier est le concepteur du "boulier didactique" et le co-auteur de la Méthode des Abaques, ouvrage publié par l’association. Il est également l'auteur d'un A-book paru en 2014 sur Atlantico éditions : La France handicapée du calcul - Vaincre l'innumérisme pour sortir du chômage

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Atlantico : Les Français savent-ils encore compter ?

Michel Vigier : Non, malheureusement !

Si l’on se réfère à la dernière étude Insee réalisée en 2011 et publiée en décembre 2012, la situation des Français adultes vis-à-vis du calcul se dégrade depuis l’étude comparable de 2004. L’Insee attribue cela au phénomène "calculette" ou "micro-informatique". Le ton officiel n’est cependant pas alarmant. En effet, un consensus politique et économique semble se dégager. On a ainsi entendu sur LCP en août 2012 un sénateur déclarer que l'"on pourrait se passer de compter, dans la vie de tous les jours", puisque tout existe pour décharger l’individu de cette corvée inutile : écriture automatique des chèques, paiement par cartes, documents administratifs informatisés, etc. Dans le monde économique, l’illettrisme reste une priorité, pas l’innumérisme. Un responsable d’une formation politique nationale se vante même de ne pas connaître ses tables de multiplication. Les deux précédents ministres de l’Éducation nationale ont été mis en échec devant des exercices de proportionnalité de CM2 et ont très bien vécu la situation : on a le droit de ne pas être bon en maths.

La situation présentée par l’INSEE semble "sous contrôle" (cliquez sur le tableau pour l'agrandir) :

Le tableau indique que 16% des adultes ont des performances médiocres en calcul (Ensemble). On est surpris de trouver une catégorie représentant à elle seule, un taux de 54%. Cette présentation n’apporte pas une information complète et nous serons donc loin de la courbe de Gauss (en répartition statistique).

Dans ce même rapport, le tableau comparatif, 2004-2011 :

Ce tableau présente la baisse des résultats des "personnes à l’aise en calcul". De toute évidence la baisse est générale. Mais pourquoi être passé de la catégorie des performances médiocres à celle des personnes à l’aise ? Pourquoi avoir retenu un taux maxi de 40% sur le graphique ?

Les mots ont un sens : Le graphique "complémentaire à 100" de celui ci-dessus, "personnes à l’aise en calcul", reconstruit par nos soins, avec les informations de l’Insee, apporte des informations capitales, qui n’apparaissent pas en clair dans le rapport ; il est logiquement intitulé "Personnes qui ne sont pas à l’aise en calcul" :

68 %, en moyenne, des Français ne sont pas à l’aise en calcul, en 2004; ils sont maintenant, en 2011, 70 %; Les adultes nés après 1987, sont, eux, 74 %.

La situation, en fait, est dramatique, une majorité de Français ne sait pas calculer un pourcentage (à part les 50% des soldes), est incapable d’effectuer un petit calcul mental, a le plus grand mal à résoudre une situation de la vie faisant appel à la proportionnalité. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l’on sait que le niveau scolaire en calcul et en maths diminue, régulièrement, depuis les années 1980, ce qui est constaté et mesuré depuis 2000 par les études Pisa ? Pour les élèves en très grande difficulté, avec 9,5% en 2009, la France se situe au 36e rang des pays de l’OCDE et associés (65 pays), au 28e rang des pays de l’OCDE (34 pays) et au 21e rang en Europe (25 pays sans Malte et Chypre), derrière tous nos principaux partenaires.

Quels sont les profils les plus touchés par ce phénomène ?

Les plus touchés sont les personnes  fragiles économiquement.

Il apparaît très clairement sur le troisième graphique que plus on avance en âge, plus les difficultés augmentent. Ce n’est pas surprenant. L’Insee note l’effet "âge", mais aussi, surtout, un taux plus important de performances médiocres chez les femmes (19%) que chez les hommes (13%).

Chez les scolaires, la situation des élèves à la sortie du collège est connue. Près de 50% de nos collégiens sont "fragiles" en maths selon l’OCDE, le ministère et nos propres mesures ! L’échec en maths, c’est l’échec tout court ! En lycée professionnel, la situation du niveau mathématique est difficile à imaginer. J'ai été témoin, sur la totalité d’un effectif de 15 élèves en  terminale bac-pro électricité en 2011, de leur incapacité à repérer dans un nombre le chiffre des milliers, des dixièmes, des centièmes et des millièmes.

Nous ne parlerons pas ici de la loi du moindre effort, des incivilités, de la délinquance, de la peur des enseignants et de la direction, de l’absolue nécessité de ne pas provoquer, ni de faire de vagues... Il s’agit de 25% de la population scolaire et nous ne pourrons pas maintenir longtemps le couvercle sur cette marmite. A l’origine il y avait les difficultés en maths !

Comment l’expliquer ?

Par l’environnement, social, économique, familial, mais aussi par un grave défaut d’adaptation du système d’enseignement. Personne ne discutera l’effet de l’environnement dans le clivage des niveaux des élèves. A l’heure où 100% d’une classe d’âge devrait être scolarisé à 16 ans, l’enseignement des mathématiques est resté le même depuis des décennies, voire des siècles. Privilégier l’abstraction, comme depuis toujours, en primaire et au collège, aux dépens d’une approche plus concrète, condamne la moitié des élèves à l’échec. Les enseignants resservent la mathématique comme ils l’ont reçue.

Comment ces difficultés se retrouvent-elles concrètement dans la vie courante ?

Ces difficultés se retrouvent dans tous les domaines et à tous les instants : il est certain qu’un travailleur conscient de ses limites aura du mal à prendre des initiatives dès qu’il y aura un calcul à effectuer. Il attendra le retour du chef.

Les présentateurs de la TV, annoncent des pourcentages, sans préciser le point de départ, à l’exemple de cette annonce entendue le 04 février 2013, sur France 2: "Les immatriculations de voitures neuves plongent de 15 % en janvier " ... par rapport au mois de décembre 2012 ? par rapport à la moyenne de l’année 2012 ? Par rapport au mois de janvier 2012 ? Personne ne réagit. La grande majorité des spectateurs se contenterait d’une annonce non chiffrée "Le marché chute !". Le nombre ne leur apporte rien de plus. 

Un grand hebdomadaire, Le nouvel Obs publie en octobre 2012, un tableau des bonus-malus automobiles (CO2), dont les pourcentages sont complètement faux ! Un négociateur français sort sa sacro-sainte calculatrice, pour un calcul simple, au cours d’une réunion, devant des asiatiques médusés. Une étudiante en classe préparatoire scientifique (20 ans) répond, à une question sur la hauteur de la Tour Eiffel, "20 mètres". Une jeune dame, nous avoue avoir compris le sens de la retenue dans la soustraction  ... à l’IUFM en préparant le concours de professeur des écoles. Une contrôleuse des impôts affirme avoir appris, bien obligée, le produit en croix après avoir été reçue au concours. Un électricien découvre la proportionnalité, en remplaçant son chef de chantier. 

Une utilisation quotidienne des nombres développe le calcul mental et surtout permet de s’approprier les ordres de grandeur.  On garde ainsi son jugement sur les faits et les informations et on peut décider en toute connaissance de cause.

Il n’est pas étonnant que, dans ces conditions, beaucoup de personnes, qui payent en espèces ne recomptent pas la monnaie. Convertir les proportions d’une recette de cuisine ? Ce sera de l’à peu près ! 

Quelles sont les solutions ?

Des mathématiques concrètes, avec les abaques !

C’est à dire les tables de calcul en tableaux, qui incluent le boulier didactique pour la numération, les tableaux de proportionnalité comme fil rouge conducteur pour toutes les notions de la mathématique calculatoire, du CP jusqu’à la fin du collège, le tableur informatique. L’Académie française devra aussi étudier l’officialisation de la numération de Condorcet (dix-un, dix-deux, ... duante, trente, ... , septante, huitante, nonante), alors que nous y sommes tous très favorables. Des techniques de lecture d’énoncé, dans les situations de la vie, doivent être dispensées à tous. Pour certaines catégories d’écoliers ou d’élèves, les parents devront être associés, par le biais de l’école, mais surtout grâce aux associations financées par les mairies.

Ces techniques sont conformes aux découvertes récentes sur le fonctionnement du cerveau. L’Inserm annonce un délai de deux à trois ans pour conseiller l’Éducation nationale. Les résultats au niveau des élèves ne seront donc pas mesurables avant... 10 ans. Ce délai est trop long ; encore plusieurs classes d’âge sacrifiées. L’Association pour la prévention de l’innumérisme, après un travail de quinze ans en recherche, en expérimentations, en publications, est prête à intervenir pour la formation de formateurs dès maintenant.

Quelles sont les conséquences économiques ?

C’est difficile à mesurer. Une élite seule peut-elle assurer les fonctions calculatoires de tout un pays ? Non, dans ces conditions ce serait la démocratie qui serait en jeu. Le changement doit intervenir. Sinon, comment espérer un redressement économique relatif (par rapport aux autres pays) avec un tel handicap de formation ?

Les mots clés :

Abaques : Tables de calcul, incluant les bouliers, les tableurs informatiques, les tableaux sur papier en général, les tables numériques, les familles de courbe, etc.
Dyscalculie : Dysfonctionnement d’origine neurologique chez certains sujets (rares) entraînant des difficultés en calcul.
Innumérisme : Situation, susceptible d’évolution, des sujets dont la numératie est insuffisante;
Numératie : Ensemble des connaissances et compétences de base requises pour conduire un calcul.

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