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Chypre ou l’erreur qui tue : le plan de sauvetage de l’île peut-il marquer le début de la fin de l’euro ?
©Reuters

Et ça recommence

Une taxe polémique de 6,7% sur les dépôts inférieurs à 100 000 euros et de 9,9% sur la tranche supérieure devrait être instaurée afin de rapporter un peu moins de 6 milliards d'euros et sauver le pays suite à une baisse de l'aide accordée par les Européens.

Mathieu Mucherie et Bruno Bertez

Mathieu Mucherie et Bruno Bertez

Mathieu Mucherie est économiste de marché sur Paris, et s'exprime ici à titre personnel. 



Bruno Bertez
 est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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Atlantico : La zone euro et le FMI sont parvenus à un accord pour sauver l'économie chypriote. Mais alors que le plan de sauvetage initial prévoyait un une aide de 17 milliards d'euros, le pays s'est vu accordé une aide effective de 10 milliards d'euros "seulement". Pour combler le "manque", une taxe de 6,7% sur les dépôts inférieurs à 100 000 euros et de 9,9% sur la tranche supérieure devrait être instaurée afin de rapporter un peu moins de 6 milliards d'euros. Le scénario de Chypre est-il un problème marginal ou un détonateur potentiel d'une crise beaucoup plus large ? La crise en zone euro peut-elle repartir de plus belle ? La zone euro a-t-elle commis l'erreur de trop ?

Mathieu Mucherie : Après de simples actes de délinquance juvénile (le coup d’état contre Papandréou, le "haircut" pseudo-volontaire sur la dette grecque qui a semé le doute partout, le coup d’État contre Berlusconi, etc), les autorités européennes passent à la criminalité organisée, du vol pur et simple, une taxation des dépôts, c'est-à-dire un acte de piraterie bolchevique que même Leonid Brejnev ne se serait jamais autorisé. C’est à la fois une attaque de diligence et une incitation totale pour un bank run géant qui fera passer l’affaire Lehman pour une aimable péripétie.

Même la Réserve fédérale de 1931 ou de 1932 n’est pas allée aussi loin dans la contraction monétaire absurde : rappelons que la zone euro souffre déjà de conditions monétaires hyper-restrictives depuis 5 ans, surtout à sa périphérie (taux trop hauts par rapport à la croissance du PIB nominal, primes considérables exigées pour les prêts industriels et commerciaux, monnaie trop chère face à la Lira turque, etc.), alors pourquoi en rajouter en attaquant la base monétaire, les dépôts ? C’est le cœur de la confiance (ou ce qu’il en reste) qui est visée, en plein cœur d’une récession, bravo. Et le tout pour soi-disant pénaliser des oligarques russes (croyez-vous sérieusement que ces gens là déposent moins de 100 000 euros où que ce soit ?). Les oligarques russes ont bon dos, ce sont les oligarques de Bruxelles et de Francfort qui sont coupables.

Si ce projet (je préfère dire : cette expérimentation, ou cette provocation allemande) va jusqu’au bout, alors c’est la fin de la banque de détail, la fin des PIGS (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne), la fin de toute sécurité juridique pour l’épargnant en zone euro, une nouvelle vague de départ des investisseurs non-résidents, au passage aussi la 2e mort des euro-bonds et de tous les projets de solidarité européenne, le ridicule assuré pour des générations pour la Troïka (FMI-BCE-grosse Commission européenne, au fait que vient faire le FMI dans cette galère ?), bref la fin des haricots. A part les adorateurs de l’or (l’actif le plus stérile, l’actif des dépressifs) et les détenteurs de Francs suisses, je ne vois pas qui peut s’enrichir avec une telle mesure, et tout ça fait cher pour rassurer les lecteurs de Bild.

Bruno Bertez : La question de la répartition de la charge des sauvetages bancaires et étatiques au sein de la zone euro est centrale. Les sommes sont tellement importantes qu'il faut à tout prix les cacher au public, aux marchés. Pour cela, on organise la non-transparence d'une part et l'on essaie de faire participer divers créanciers au sauvetage des banques et des gouvernements. S'agissant de la Grèce, on a fait participer le secteur privé bancaire par le biais d'abandons de créances et restructurations, sous le nom de PSI. Ce nom recouvre la participation du secteur privé. S'agissant de Chypre, on fait participer les déposants. On ampute leurs dépôts. Dans tous les cas, il s'agit de réduire le passif, c'est à dire la masse de dettes des gouvernements ou des banques. On peut considérer que la PSI, la "Private sector involvment" (participation du secteur privé NDLR) voulue par Merkel et acceptée par Sarkozy a été une erreur colossale : elle a nullifié une fois pour toutes le caractère sacré des dettes gouvernementales. Ce caractère sacré est essentiel dans nos systèmes à deux niveaux.

Le premier est que la solvabilité des banques repose sur le caractère sans risque des dettes gouvernementales. Le second est que le keynésianisme n'est possible que si les dettes d'État sont sacrées. La PSI a été un facteur déclenchant de la crise européenne en boule de neige et l'une des causes essentielle de la perte de confiance. A noter que les banques détentrices de dettes gouvernementales ont réagi: elles ont fait s'effondrer les dettes fragiles sur les marchés et obliger la BCE de Draghi à sortir son gros bazooka. Les banques ont fait une sorte de run sur la dette des gouvernements. Elles ont gagné. Ici, dans le cas de Chypre, ce sont les déposants qui voient leurs avoirs amputés et confisqués. Ils ont un pouvoir aussi grand que les banques. En retirant leur argent, ils précipitent la chute de confiance, prennent le système financier chypriote à la gorge. Par le jeu à la fois de la contagion et de l'interconnexion financière les déposants ont en fait une arme atomique aussi dangereuse que celle des banques. La différence est cependant de taille car les épargnants sont isolés, ils représentent une masse qui n'est pas organisée tandis que les banques sont cartélisées et détiennent le pouvoir sur les États.

Pour répondre précisément à votre question, la zone euro a fait non pas une erreur de trop mais un erreur de plus. Il est évident que cela est rattrapable mais cela va coûter cher. Peu importe, ce ne sont ni les gouvernements ni les banques qui paient mais les peuples. Nous sommes dans le système du tiers payant: j'accumule les idioties, cela coûte cher, mais peu importe, c'est toi qui paie. L'incompétence des gouvernements manifestée par les décisions imposées par Merkel à la fois en Grèce et à Chypre se traduit par un gonflement exponentiel des coûts de sauvetage. Le problème grec, bien traité, aurait coûte 35 milliards ; le gâchis représente maintenant plus de 300 milliards. On s'achemine vers une situation du même genre sur Chypre. La contagion peut toucher l'Espagne et surtout l'Italie. On peut toujours penser avec l'Europe que les problèmes seront mal traités, mais comme nous sommes très pessimistes, nous considérons que cette erreur dramatique ne mettra pas en danger la zone euro. On fera ce qu'il faut pour éteindre l'incendie. On arrosera avec l'argent de la BCE, on diluera l'épargne des Européens. On fera une fois de plus machine arrière sur l'austérité comme on le faut subrepticement depuis quelques temps. Il y a une autre solution, elle est politique, pas très reluisante, mais avec l'Europe, tout est possible. On peut organiser un refus chypriote. Faire comme si c'était les représentants du peuple qui refusaient le plan européen. Déjà le vote a été reporté de 24 heures.

Les places financières européennes ouvraient toutes en baisse ce lundi. Cette taxe sur les dépôts risque t-elle de créer un précédent historique susceptible de déboucher sur un "bank run", c'est à dire un mouvement de retraits massifs des capitaux des particuliers des banques ? Cela peut-il affaiblir le système bancaire européen qui panse encore ses plaies ?

Mathieu Mucherie : Les marchés se sont depuis un peu calmés. Ce qui signifie que cette bombe, cet attentat contre l’économie, est tellement énorme que ça ne va probablement pas passer. Le scandale est trop gros, l’injustice trop flagrante (Tartuffe : "Le scandale du monde est ce qui fait l’offense, et ce n’est pas pêcher que de pêcher en silence").

Les autorités chypriotes elles-mêmes (pour éviter des lynchages) où les maîtres de la Troïka (pour sauver les banques espagnoles) vont probablement faire machine arrière d’une façon ou d’une autre. Pour punir (façon "maîtresse SM") une économie qui représente 0,2% du PIB de la zone euro, on ouvre la boite de Pandore. Mais à l’heure où nous sommes, le texte de la Troïka n’a pas été désavoué et encore moins enterré. Tout est possible en zone euro, vu le casting. Comme il est dit dans "Les tontons flingueurs" : "Les cons, ça ose tout, c’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnait". Et il est vrai que le prénom du banquier central chypriote étant Panicos, alors tout est possible.

Bruno Bertez : La rumeur d’une catastrophe chypriote circulait dès la semaine dernière à Moscou. Visiblement, le pouvoir suivait cette affaire de très près et avait des informations privilégiées. Ceci explique le comportent déjà "bizarre" des marchés la semaine dernière, la très mauvaise tenue des places asiatiques et le mauvais début de journée en Europe. Il est évident qu’à partir du moment où les responsables de la conduite des affaires considéraient que le "tail-risk" européen était le seul obstacle sur la voie du redressement, la réapparition de ce "tail-risk" ne pouvait qu’inquiéter les bourses. 

S’agissant de la fragilité des banques européennes, un peu plus, un peu moins, n’y changera rien. Tous les spécialistes savent que les banques européennes sont très déficitaires en dépôts ; elles ont trop peu de dépôts en regard de leurs engagements. Leur base est trop étroite. Les banques américaines en revanche ont un excédent des dépôts sur leurs engagements de 800 milliards de dollars. Le système des paiements européens supporte tous les déséquilibres. La créance des Allemands sur ce système est tellement considérable qu’il n’y a aucune autre possibilité que celle de continuer.

Sur la question de savoir si le système européen est en train ou non de panser ses plaies, nous répondrons plutôt par la négative : on met des emplâtres, on dissimule, on profite des facilités que confère la comptabilité. Sur le fond, les doubles problèmes 1) du capital insuffisant 2) de l’insuffisance des ressources stables restent entiers.

Cet évènement marque-t-il un coup d'arrêt brutal de la solidarité en zone euro ? Cela signifie t-il désormais que l'Union européenne, et plus particulièrement l’Allemagne, refusera de signer des "chèques" d'aide de façon systématique et qu'elle accepte désormais l'idée selon laquelle des Etats comme Chypre puissent faire faillite car ils ne sont pas considérés comme "too big too fail" (trop gros pour faire faillite) et que la zone euro peut résister à une telle faillite ?

Mathieu Mucherie : Comme nous l'avons vu avec la Grèce il y a dix-huit mois, on peut laisser un État faire faillite même si nous avons appelé cela autrement. En l’occurrence  la situation n'est pas comparable avec Chypre car une partie des mécanisme d'aide seront désormais auto-financé. Il ne s'agit même plus d'une aide soumise à condition mais d'une aide en partie financée par les Chypriotes eux-mêmes et plus particulièrement les petits épargnants de base !

On fait payer aux petits entrepreneurs et aux petits épargnants locaux une partie du mécanisme d'aide alors que c'est grâce à eux que le pays tient encore un peu le cap. Chypre, c'est 0,2% du PIB de la zone euro mais attention ! Il n'y a pas de lien entre la taille du problème et ses conséquences possibles. Il n'était pas rare de lire à l'époque que les crédits subprimes (à l'origine de la crise, ndlr) était un problème très ciblé sur un marché qui ne dépassait pas les 100 milliards de dollars. On a bien vu la suite... Quelque chose de microscopique peut donc se transformer en un problème systémique.

Si Chypre est un "petit problème", autant le résoudre de suite en aidant le pays immédiatement sans condition sans quoi le problème va durer de même qu'il y aura un choc d’incertitude et toutes les conséquences systémiques qui vont avec... La conditionnalité des aides est une surenchère allemande. C'est injuste, inefficace et systémique. Nous sommes la risée du monde entier. Même si l'idée est stoppée, le seul fait de l'avoir proposé décrédibilise la Troïka.

Bruno Bertez Notre opinion est que ceci n’est que passager, car en réalité, les bourses adorent les crises. Pour elles, c’est l’occasion de continuer de bénéficier de taux d’intérêt zéro et d’une manne sans limite de liquidités tombées du ciel. Même si la crise chypriote devait durer quelque peu, nous sommes persuadés qu’elle aurait des conséquences plutôt positives que négatives pour les bourses.

N’oubliez pas que Draghi a considéré qu’il était légitime à ouvrir son carnet de chèques ou plutôt celui de la BCE, ou plutôt celui des citoyens, c’est-à-dire de vous, dès que l’intégrité de l’euro était menacée. Il est évident que nous sommes dans l’un de ces cas.

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