Valls déclare "la guerre contre la barbarie" mais qu'est-ce que cela peut signifier concrètement ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls affirme qu'il mène une "guerre contre la barbarie" à Marseille.
Manuel Valls affirme qu'il mène une "guerre contre la barbarie" à Marseille.
©Reuters

Après les mots...

Interrogé par Le Journal du Dimanche sur la poursuite des violences à Marseille malgré les renforts policiers, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls affirme qu'il mène une "guerre contre la barbarie". "C'est une guerre de l'Etat de droit contre la barbarie, contre ceux qui veulent imposer un autre ordre, celui des caïds et des mafias", explique-t-il.

Patrice  Ribeiro

Patrice Ribeiro

Patrice Ribeiro est secrétaire général de Synergie-Officiers

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Atlantico : Au-delà des mots, que peut signifier la récente sortie de Manuel Valls sur le plan de la politique de sécurité ?

Patrice Ribeiro : Cela signifie tout d'abord la volonté de tenir pied à pied ce qui peut l'être sur le terrain. L'emploi du mot "guerre" est par ailleurs révélateur d'une posture médiatique et politique utilisée tant par la droite que par la gauche, le phénomène faisant ici écho au sentiment croissant d'impuissance de l'État face à la délinquance et la criminalité. La cité phocéenne est devenue aujourd'hui un point de focalisation médiatique de la montée d'une délinquance (agressions, vols, braquages...) qui pourrit littéralement la vie des riverains

Il faut ensuite rappeler qu'il y a aujourd'hui à Marseille une partie visible et une partie invisible de la lutte contre l'ultra-violence.

La partie "visible" consiste à mettre des policiers en tenue dans les quartiers réputés sensibles, procédé qui peut-être "curatif" pour les riverains dans le sens ou cela permet de rassurer et de marquer le coup. Par ailleurs cela permettra de "gêner" les voyous bien qu'à terme la délinquance se déplacera simplement sur d'autres zones moins surveillées. Il y a aussi un gros travail à faire dans le centre-ville où l'on assiste fréquemment à des vols à l'arraché et ce même sur les artères principales qui sont très fréquentées. C'est un peu comme si l'on était témoin de manière régulière à des braquages et des vols avec violence sur les Champs-Elysées, ce qui reste rare à l'heure actuelle. Cette délinquance est le fait de "petits" voyous de plus en plus violents, souvent mineurs ou jeunes majeurs, et l'un des principaux problèmes est ici que les réponses pénales ne sont clairement pas adaptées au "public" concerné. Il s'agit d'un type de délinquance qui doit être neutralisée immédiatement, cette dernière n'étant pas, comme le crime organisé, historique et irrésolvable. Rappelons à cet effet que, selon l'ONDRP, 50% de la délinquance est le fruit de 5% des délinquants.

La partie "invisible" du phénomène concerne la surveillance et l'interpellation des personnes impliquées dans les trafics de drogue et la guerre larvée pour tenter de prendre le contrôle des quartiers. Nous faisons ici face à des "équipes" de plus en plus violentes et désorganisées qui créent un climat de balkanisation de la cité phocéenne. C'est ici pour la police un travail de fond qui nécessite des investigations longues et minutieuses ainsi qu'une bonne coordination des différents services et de la Justice. 

Ces deux parties forment un tout extrêmement complexe qui alimente le phénomène d'ultra-violence, et les réponses doivent se faire en conséquence.

Les forces de sécurités sont-elles "armées" pour faire face à cette "barbarie" évoquée par le ministre de l'Intérieur ?

En toute honnêteté, on peut dire qu'en dépit de l'armement lourd des criminels (armes de poings,  kalachnikovs...) l'équipement des forces de sécurité est relativement moderne (fusils à pompe, pistolets automatiques...). Il deviendrait à l'inverse difficile de passer au stade supérieur et de placer un pistolet mitrailleur dans chaque véhicule de police. On peut ajouter par ailleurs que même si ceux qui affrontent les gardiens de la paix sont lourdement équipés, ces derniers sont rarement formés pour s'en servir. A titre d'exemple, l'accrochage d'Aix-en-Provence, tristement célèbre pour avoir coûté la vie à un policier de la BAC, a débouché sur la mort d'un des criminels... par son propre collègue, probablement mal versé dans le maniement d'un fusil d'assaut. J'ajoute que l'ultra-violence criminelle ne se combat pas par l'ultra-violence policière, fusse-t-elle légitimée par la loi. 

Si l'on se demande si les policiers sont "armés" sur le plan moral pour un tel type de combat, je répondrais que oui. Il est vrai que l'ampleur de la tâche est souvent désespérante pour les forces de police, mais l'abnégation reste intacte. Certes les professionnels sont bien au fait de la dégradation de la situation, en particulier les plus anciens, mais le fait qu'ils commencent à émettre ouvertement des doutes sur l'issue de la lutte anti-criminalité signifierait immédiatement la fin du combat, à Marseille comme ailleurs. Il est clair néanmoins qu'une attention importante doit être portée aux collègues qui officient dans la région, dont la réputation a souvent été entachée suites aux récentes affaires de corruption. 

Que faire pour adopter un nouveau regard face à cette ultra-violence ?

La réponse à cette question est judiciaire avant d'être policière. La sévérité et la célérité de la peine sont des choses importantes qui permettent de dissuader, comme on a pu le voir lors des émeutes à Londres en 2011. Les forces de l'ordre britanniques n'étaient pas équipées pour faire face à ce type de violence et pourtant les évènements n'ont pas duré plus de trois jours après que les magistrats locaux aient prononcé des peines de prison pour les émeutiers. Ceci est la preuve que la réponse pénale joue un rôle déterminant dans la lutte contre l'ultra-violence. L'exemplarité de la peine permettrait chez nous de dissuader les gamins de devenir guetteurs dans les cités dès le plus jeune âge, ces derniers prenant ainsi peut-être conscience que ce modèle n'est celui qui paie. Rappelons que les peines de prisons sont relativement courtes et que le "risque" criminel devient en conséquence forcément attractif pour les jeunes de banlieues. Nos magistrats ont aujourd'hui des scrupules à frapper les petites mains du trafic et de la délinquance qui agissent de manière de plus en plus violente et de plus en plus sauvage. On participe ainsi au développement d'un sentiment d'impunité généralisé qui fait que les voyous ne se sentent absolument pas empêchés de passer au stade supérieur.

On ne peut s'empêcher de penser à l'expression américaine de "guerre contre la drogue", qui est restée un vœux pieux. Y a-t-il là aussi un risque de découragement face à l'ampleur du phénomène ?

Ce qui est certain, tout d'abord, c'est que l'on est toujours tenté d'utiliser sur le plan politique un vocabulaire guerrier face à des phénomènes qui interloquent et que l'on a du mal à décrire autrement. Il est vrai qu'il y a quelques années il était extrêmement marginal de retrouver ce que l'on appelle à Marseille des "barbecues" (pratique qui consiste à ligoter quelqu'un dans un voiture avant de l'incendier, NDLR) ou d'assister à des braquages à l'arme de guerre pour des sommes peu importantes. Il n'est pas étonnant en conséquence de retrouver l'utilisation du mot guerre face à des personnes qui se comportent et s'arment eux-mêmes comme des belligérants. Il y a en parallèle, effectivement,' un sentiment d'impuissance de l'État face à un phénomène croissant depuis cinq, six ans qui est fortement relayé par les médias, le tout provoquant un besoin urgent de solutions. Il s'agit là d'une guerre qui ne peut être gagnée, tout comme la guerre contre la drogue outre-Atlantique, mais que l'on peut endiguer et contrôler. 

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