51% des Français préféreraient relancer la croissance plutôt que limiter les déficits... sauf qu’il va falloir faire les deux<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour relancer la croissance, il faudra baisser les déficits.
Pour relancer la croissance, il faudra baisser les déficits.
©Reuters

Choix cornélien

51% des Français estiment qu'il faut "relancer la croissance, quitte à aggraver les déficits" selon un sondage YouGov/Le HuffPost/i-Télé. Sauf que pour relancer la croissance, il faudra également limiter les déficits...

Gérard Thoris

Gérard Thoris

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé une Analyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (Sociétal, Revue française des finances publiques…).

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Il n’est vraiment pas nécessaire de mobiliser une armée de téléphonistes pour savoir que, entre la croissance économique et la rigueur budgétaire, les Français ont une préférence marquée pour la première. Dans le premier cas, ils se disent qu’on ne touche à rien de leurs revenus, de leurs prestations et de leur mode de vie en général. Dans le second, ils ne peuvent que s’interroger sur la manière dont la rigueur va les impacter, aujourd’hui et demain.

En réalité, ce genre de question est d’un autre âge. On sait pertinemment que les intérêts de la dette l’emportent désormais sur le rythme de croissance nominale. On n’a pas encore bien compris comment cela se traduisait concrètement. On pressent confusément que l’effet boule de neige de la dette n’est pas qu’un concept livresque. De fait, les intérêts de la dette ne peuvent être honorés que par de nouveaux emprunts. Pour cela, répétons-le sans cesse, Charles Ponzi ou Bernard Madoff sont allés en prison !

On devrait savoir chaque jour que la recherche du mythique 3 % de déficit budgétaire ne concerne que le flux de dettes supplémentaires et que nous nous sommes engagés dans le Traité de stabilité et de gouvernance européenne, sous peine d’amende, à ramener le stock de dette à 60 % à raison d’un vingtième par an. Si la France a l’intention de respecter sa parole, la question de savoir si le déficit budgétaire doit être de 3,0 % ou 3,7 % est une broutille !

Ces deux phénomènes se cumulent pour aboutir à cette conclusion imparable : année après année, les bénéfices de la croissance sont préemptés par les intérêts de la dette. De fait, les intérêts de la dette publique représentent 2,6 % du PIB en France (chiffre Eurostat 2011), ces intérêts doivent être payés soit en prélevant sur les revenus existants, soit en prélevant sur l’accroissement de ces mêmes revenus. Si la croissance nominale est égale à 2,6 %, son produit est absorbé et distribué aux créanciers de l’Etat. Si elle est inférieure à ce chiffre (vraisemblablement 1,6 % en 2013), il faut baisser le niveau de vie des contribuables de 1 % au bénéfice des rentiers. C’est bien un cercle vicieux pour lequel il existe, de fait, assez peu de portes de sorties.

C’est ici qu’intervient la croissance économique nominale. Si elle est supérieure au poids des intérêts sur la dette, l’effet boule de neige disparaît et l’horizon s’éclaircit. Il faut néanmoins faire remarquer que l’inflation ne se décrète pas. Si néanmoins un ministre plénipotentiaire y arrivait, il serait vite freiné par les ardeurs anti-inflationnistes de Mario Draghi. Parallèlement, la croissance ne se décrète pas. Si un ministre plénipotentiaire y suffisait par la vertu de la dépense publique, avec un budget déficitaire depuis des décennies, la crise n’aurait même pas représenté un défi pour la puissance publique.

La croissance est le fruit d’une multitude d’initiatives individuelles pour améliorer les processus de production (1), créer des produits nouveaux faisant l’objet d’une demande à un prix rémunérateur (2), mettre en œuvre le progrès technique issu des cerveaux des ingénieurs de génie qui ne cessent de renouveler la face du monde (3). Or, la mise en œuvre de ces principes suppose une mobilité professionnelle des salariés contre laquelle le ministre du Redressement productif se bat avec la dernière énergie (1) ; elle suppose l’acceptation d’écarts de revenus qui consacrent la rencontre inattendue d’une libre préférence des consommateurs contre lesquels le ministre du Budget se bat avec la dernière énergie (2) ; elle suppose enfin la mise en œuvre d’un capital risque qui doit bien être constitué avant que d’être risqué contre laquelle le ministre de l’Economie se bat avec la dernière énergie (3). Ils préfèrent nettement risquer l’argent des citoyens et des contribuables avec une Banque publique d’investissement qui n’aura pas l’outrecuidance de demander des dividendes !

Quant au consommateur moyen, l’incertitude sur son revenu futur s’accroît à la vitesse des dépêches de l’Agence France Presse. Il ne sait pas s’il doit épargner pour renouveler son véhicule diesel tout juste acheté et bientôt déclassé sur les routes urbaines. Il s’interroge sur le fait de savoir comment évoluera sa facture d’électricité avec les tarifs progressifs désormais actés. Il soupire en constatant qu’il a eu foi en l’avenir en appelant à la vie de joyeux enfants bientôt privés de prestations familiales. Il craint désormais un chômage qui entraînerait une baisse significative de son niveau de vie. Son investissement obligatoire en matière de retraite complémentaire vient d’être écorné pour trois ans. Si cette  brèche devait être élargie, la loi des intérêts composés lui montre qu’une perte de 0,5 % par an pendant 20 ans représente 10 % de sa future retraite.

Alors, l’unique question à poser dans un sondage aux Français est bien celle-ci : "Souhaitez-vous que la Banque centrale européenne achète des obligations publiques sur le marché primaire pour l’ensemble des pays de la zone euro sans que ces achats donnent lieu au versement d’intérêt ?" Au moins, avec cette formule, on peut vivre avec un déficit budgétaire sans s’inquiéter du remboursement. Si ce sondage est un outrage à l’indépendance de la Banque centrale, on peut lui substituer la question suivante : "Souhaitez-vous que la France sorte de la zone euro pour appliquer ce programme avec la Banque de France ?"

Si la question n’est pas posée au Parlement, si elle n’est pas posée dans les sondages, il est à craindre qu’elle n’attende pas les prochaines échéances électorales pour être posée dans la rue.

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