Amour, carrière, famille... Les femmes ont-elles vraiment réussi à tout avoir en même temps ? <!-- --> | Atlantico.fr
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"Une femme sans enfants, ou même célibataire, n’est plus la paria qu’elle était il y a un peine un siècle. "
"Une femme sans enfants, ou même célibataire, n’est plus la paria qu’elle était il y a un peine un siècle. "
©Reuters

Le beurre, l'argent du beurre et...

On nous a vendu du rêve : selon la chercheuse Anne-Marie Slaughter, les femmes ne peuvent pas avoir une vie familiale épanouie et une carrière à la hauteur de leurs espérances. Dans son livre "Lean In", l'une des dirigeantes de Facebook va dans le même sens en décrivant la dure réalité des femmes ambitieuses.

Peggy  Sastre,Margaret Maruani et Sophie Bramly

Peggy Sastre,Margaret Maruani et Sophie Bramly

Peggy Sastre est écrivaine et traductrice. Elle est l'auteure de "Ex Utero : pour en finir avec le féminisme".

Margaret Maruani est sociologue , directrice de recherche au CNRS, elle dirige la revue Travail, genre et sociétés depuis sa création en 1999.

Sophie Bramly  est créatrice d'un site  d'un site destiné à éveiller ou combler la sexualité féminine, Second Sexe, et ancienne productrice chez MTV. Elle est aussi mère de deux enfants.

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Atlantico : La directrice-générale de Facebook Sheryl Sandberg va prochainement publier un livre sur les difficultés qu'éprouvent les femmes carriéristes. Dans un article qui a fait débat aux États-Unis l'été dernier, Anne-Marie Slaughter, professeure à l'université de Princeton qui avait fini par abandonner un poste gouvernemental pour avoir plus de temps avec sa famille, faisait ce constat amer : les femmes ne peuvent pas tout avoir.  Partagez-vous cette affirmation ?

Peggy Sastre : En vérité, elle n’a pas abandonné son poste gouvernemental pour se consacrer à sa vie de famille, mais pour reprendre sa carrière universitaire, qui était plus compatible avec sa vie de famille. Ce que je constate, et qui me rend un peu amère, c’est que les femmes sont toujours les premières à se sentir mal si leur vie familiale commence à battre de l’aile et surtout à estimer leur carrière (ou leur personne) responsable de cet éventuel “déséquilibre”. Comme si la carrière d’une femme (ou ses passions si on ne se place pas dans une perspective purement rentable) était une sorte de luxe, de superflu, le truc sur lequel on peut facilement transiger si d’autres secteurs, plus “fémininement” stratégiques sont ou semblent menacés. Dans l’état actuel des choses, je pense que la famille relève davantage d’une charge pour les femmes, d’un vecteur de stagnation. Pour moi “tout avoir”, ce n’est pas forcément avoir une famille et une carrière, c’est pouvoir choisir, de manière autonome, la vie que l’on veut mener, et l’éventail n’a jamais été aussi large pour les femmes qu’aujourd’hui, en Occident.

Sophie Bramly : Comme dans toutes les situations où on veut tout avoir à la fois, on finit souvent par le payer cher. Vouloir cumuler vie familiale et s'épanouir professionnellement n'est pas forcément facile à atteindre. Mais il y a des moments dans la vie, chez les femmes en particulier, où l'on va d'abord faire passer sa carrière, et faire des enfants plus tard, en changent son ordre de priorité. Quand on est jeune, on va privilégier le travail.

Il n'y a pas de différence, tous les hommes ne peuvent pas être patrons d'entreprise et les femmes non plus. Tout cela dépend énormément des cultures, ce sont des questions de choix mais ce n'est pas une question de genre. Penser qu'on ne doit pas sacrifier sa vie familiale, mais avoir une carrière professionnelle à la hauteur de ses espérances est un mélange de vieux acquis culturels dont certaines femmes ont du mal à se débarrasser.

De plus en plus de pères élèvent leurs enfants, et rencontrent de plus en plus les problèmes que les femmes connaissent, par rapport à l'organisation du temps par exemple. Mais quand une une femme veut être Anne Lauvergeon, elle est Anne Lauvergeon. 

Où en sont les femmes aujourd'hui sur le marché du travail ?

Margaret Maruani : Aujourd'hui, le nombre de femmes dans la population active a beaucoup augmenté : elles représentaient un tiersdans les années 60, et aujourd'hui la moitié (48%). Il y a donc une féminisation massive du monde du travail. Parallèlement à ce mouvement,  il y a eu une très nette progression de la scolarité féminine, les femmes ont rattrapé puis dépassé les hommes en termes de réussite à l'école et à l'université  dans années 70.

Les femmes sont donc plus diplômées que les hommes depuis plusieurs générations et elles ont eu des trajectoires professionnelles beaucoup plus continues qui ne se sont pas arrêtées avec la parentalité. Entre 25 et 49 ans, 40% des femmes étaient actives dans les années 60. Aujourd'hui ce taux s'élève à 85%.

Mais les femmes sont plus exposées à la précarité que les hommes sur le marché du travail : 80% des emplois à temps partiels sont occupés par des femmes, elles ont les postes les plus mal payés, les sous-emplois (elles ne travaillent pas autant que ce qu'elles voudraient). 

La pression qui semble s'imposer aux femmes est-elle aujourd'hui plus personnelle que sociale ?

Peggy Sastre : On a beaucoup progressé en termes de pression sociale. Une femme sans enfants, ou même célibataire, n’est plus la paria qu’elle était il y a un peine un siècle. Le problème, c’est que bon nombre d’injonctions sociales sur une “bonne vie” féminine sont aussi intériorisées par les femmes elles-mêmes. Et pour cause, elles relèvent de processus évolutifs très anciens, très ancrés, et malheureusement en décalage avec notre environnement contemporain. L’évolution n’a pas poussé les femmes à l’autonomie, mais à la recherche de la protection d’un plus fort - homme, famille, groupe. Elle n’a pas non plus poussé les femmes à gérer leur fertilité, et encore moins à la retarder. Mais ce sont des handicaps que les avancées technoscientifiques permettent et permettront de moduler.

Sophie Bramly :Les femmes veulent beaucoup de choses car on leur impose des injonctions sur beaucoup de points : il faut qu'elles aient un boulot, qu'elles soient belles, jeunes, mères... Cependant, on n'est pas obligé de subir la pression sociale. Chacun doit choisir d'être beau ou intelligent, ou plus performant au travail, … On ne peut pas ramener ça à une question de genre. Mettre la femme dans une position de victime est une tendance générale très agaçante.

Margaret Maruani : La plupart des femmes cumulent activité professionnelle et vie familiale avec une forte pression. En mesurant le nombre de minutes passées à faire la vaisselle, à balayer, repasser, s'occuper des enfants, on s'est aperçu que le partage des tâches domestiques et de l'éducation des enfants a très peu bougé, alors que les femmes s'activent de plus en plus professionnellement.

Peut-on dire que la culpabilité a changé de camp : les femmes qui font le choix de leur vie de famille seraient-elles davantage stigmatisées ?

Sophie Bramly : Elles ne sont pas stigmatisées, mais elles sont en danger : on n'est plus dans le modèle d'autrefois où le mariage était arrangé pour toute la vie. Plus le temps passe, plus le cycle de durée du mariage raccourcit. Une femme qui quitte sa carrière pour élever ses enfants prend un risque extrêmement élevé. Il est possible qu'un beau matin, elle se lève et se retrouve avec ses enfants sur les bras, et il très compliqué de rentrer sur le marché du travail dans conditions.

Peggy Sastre : Je ne sais pas si elle a changé de camp, tout dépend certainement du contexte dans lequel on vit, mais l’un des autres avantages de notre époque, c’est qu’une femme n’a jamais eu autant la possibilité d’ignorer telle ou telle culpabilité qu’on veut faire peser sur ses épaules. Décider de se foutre des pressions sociales, amicales, familiales, ce n’est plus courir un risque aussi énorme qu’auparavant, mais cela requiert encore un certain effort mental.

Margaret Maruani : Dans les années 50-60, la plupart des femmes, lorsqu'elles avaient des enfants s'arrêtaient de travailler. Aujourd'hui, une écrasante majorité de salariées ne font pas de pause dans leur vie  professionnelle. On est passé d'un modèle dominant de la discontinuité, les femmes entrent sur le marché quand elle sont 20-25 ans, en sortent lorsqu'elles ont des enfants, et reviennent. Aujourd'hui, le modèle est continu : c'est le cumul qu'on observe pour la majorité des femmes en France. Elles travaillent, ont des enfants, et une famille.

Les femmes sont-elles d'ailleurs forcément plus sujettes à la culpabilité sur cette question ?

Sophie Bramly : Chez les générations X et Y il y a des notions de partage plus équilibrées et plus intéressantes. Il y a moins de culpabilité chez les femmes issues de cette génération, et les hommes de cette génération ne placent pas la virilité au même endroit. Il n'est pas dévalorisant pour eux de donner un biberon ou de rentrer plus tôt.

Peggy Sastre : Certainement. Mais la culpabilité est aussi liée à un sentiment d’implication : en moyenne, les femmes se sentent davantage concernées par les questions familiales, domestiques, que la moyenne des hommes. Un exemple très basique : prenez une cohorte d’hommes et de femmes, endormissez-les et passez-leur une cassette de cris de bébés, les femmes seront plus nombreuses à se réveiller que les hommes.  

Comment se définit aujourd'hui la réussite professionnelle d'une femme ?

Peggy Sastre : Je ne sais pas, mais voici comment je la définirais : faire ce qu’on aime, aimer ce qu’on fait et en recevoir une rétribution suffisante pour ne pas être astreint à une pure logique de survie.

Sophie Bramly : Je ne sais même pas ce qu'est une réussite professionnelle pour un homme non plus. Comment se quantifie-t-elle ? Une femme heureuse dans son travail avec des revenus suffisants par rapport à son train de vie.

Quel rôle le travail joue-t-il aujourd'hui dans l'épanouissement personnel ? 

Sophie Bramly : Les hommes savent répondre à cette question depuis des siècles. Le travail est extraordinairement épanouissant d'un point de vue personnel et c'est la raison pour laquelle ils sont accrochés à leur fauteuil. Les femmes, elles, le savent de plus en plus elles aussi. Il est intéressant de constater que l'adage "quand on veut en peut" s'adresse à tous aujourd'hui, il suffit de connaître ses priorités. La seule chose sur laquelle je suis vigilante est la victimisation de la femme à tout prix, qui fragilise la femme. Il faut être très méfiant vis-à-vis de cette tendance.

Avant les hommes avaient besoin de bien gagner leur vie pour avoir une femme qu'ils devaient entretenir et lui faire des enfants. Cette problématique est aujourd'hui dédoublée, c'est donc absolument normal qu'hommes et femmes choisissent d'abord de quoi être autonomes, puis décider d'avoir ou non des familles.

Au final, le problème ne réside-t-il pas dans la tendance à la généralisation sur ces questions : tout le monde, homme comme femme, ne ressent pas les mêmes besoins (d'avoir une vie professionnelle et une vie familiale épanouies) ?

Peggy Sastre : Pour faire une généralité, je pense que beaucoup de problèmes viennent de généralisations excessives, voire de généralisations tout court. Tout le monde ne définit pas non plus “l’épanouissement personnel” de la même façon, et tout le monde ne voit pas non plus dans “l’épanouissement personnel” une nécessité. Ce qui me paraît souhaitable, c’est de déplacer le curseur : mettre l’accent sur l’individu et non plus sur le collectif, n’importe quel collectif. Prendre la diversité en compte et ne rien imposer à personne.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois



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