Qu'y a-t-il dans le projet de réforme sur l’hôpital ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des mesures pour l'hôpital public devraient être annoncées par le gouvernement après la remise du rapport d'Edouard Couty.
Des mesures pour l'hôpital public devraient être annoncées par le gouvernement après la remise du rapport d'Edouard Couty.
©Reuters

Je suis malade

Une nouvelle réforme de l’hôpital public ? De belles paroles de langue de bois et quelques milliards annoncés pour des missions d’intérêt général opaques et des travaux d’investissement : annonces de la ministre de la Santé à partir du rapport d’Edouard Couty publié le 4 mars 2013.

Nicole  Delépine

Nicole Delépine

Nicole Delépine ancienne responsable de l'unité de cancérologie pédiatrique de l'hôpital universitaire Raymond Poincaré à Garches( APHP ). Fille de l'un des fondateurs de la Sécurité Sociale, elle a récemment publié La face cachée des médicaments, Le cancer, un fléau qui rapporte et Neuf petits lits sur le trottoir, qui relate la fermeture musclée du dernier service indépendant de cancérologie pédiatrique. Retraitée, elle poursuit son combat pour la liberté de soigner et d’être soigné, le respect du serment d’Hippocrate et du code de Nuremberg en défendant le caractère absolu du consentement éclairé du patient.

Elle publiera le 4 mai 2016  un ouvrage coécrit avec le DR Gérard Delépine chirurgien oncologue et statisticien « Cancer, les bonnes questions à poser à mon médecin » chez Michalon Ed. Egalement publié en 2016, "Soigner ou guérir" paru chez Fauves Editions.

 

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Une victoire pour quelques lobbys universitaires qui récupéreront de l’argent pour les « missions » (-si la ministre le trouve ) mais pas de modification sensible pour les hospitaliers en crise. Et que l’on ne nous dise pas qu’ils sont en crise de « dialogue », non ils sont en crise de moyens ! et donner l’argent aux missions d’intérêt général  (pour l’enseignement au sein de l’hôpital ou la recherche) ne remplacera pas l’embauche de centaines de médecins et de milliers d’infirmiers et aide soignants pour renforcer les services, d’urgence en particulier mais pas seulement. Les patients également ne sont pas en manque de reconnaissance mais de moyens humains et matériels quand ils ont recours à l’hôpital. Le manque de chaises dans les salles d’attente du grand hôpital Pompidou ou les heures d’attente dans la plupart des urgences hospitalières ne relèvent pas du « dialogue » ou de la « confiance » mais des soins dans un confort minimum.

Les représentants de patients renforcés dans des réunions multiples et variées qui occupent les directions et trop de cadres soignants qui seraient plus utiles au lit du malade, ne remplaceront pas le manque de personnel de nuit en particulier ou les couvertures ou les couches qui manquent de plus en plus y compris dans la grande APHP. On se trompe de débat volontairement ou non, mais dans les deux cas, c’est grave.« Expliquer , accompagner , former les acteurs » (page 57 du rapport Couty, lisez-le ICI)  ne sont pas de bonnes recettes. L’ENA doit leur enseigner d’autres méthodes. A chaque décision politique rejetée  (voir le référendum de 2005) on nous dit que c’est un problème de pédagogie ! Non c’est un problème de fonds, d’objectifs, de choix différents. Ici ce sont les soins des patients et les moyens pour pouvoir les réaliser qui manquent, rien de plus le reste c’est du blabla qui voudrait justifier de multiplier la bureaucratie chargée de nous « former » et de fait de nous mettre au pas! Le désespoir des soignants toutes professions confondues ne va pas disparaître par quelques formules magiques et le nombre de suicides de médecins déjà double de celui de la population générale ne va pas diminuer par miracle.

Vivons nous sur des planètes différentes ?

Premier commentaire à la télévision, suite à la conférence de Marisol Touraine : elle tourne la page de la loi HPST . Faux ! quelques beaux atours en plus mais rien sur le fond ou si peu .Elle ne tourne rien du tout et nous sommes toujours voir encore plus dans la bureaucratie triomphante .

Cette réforme si on peut nommer comme cela ces quelques annonces devait recréer un « pacte de confiance à l’hôpital public en perte de repères » depuis une dizaine d’années .

Le rapport a été confié à un homme concerné connaissant bien  son sujet, trop sûrement pour faire du neuf, mais pas un homme objectif puis qu’il fut entre autres, directeur d’hôpital, puis  directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère chargé de la santé de 1998 à 2005 et un des principaux acteurs des premiers schémas d’organisation sanitaire les SROS dès 1997. En d’autres termes hormis peut être la loi de 2009, il fut un des principaux artisans du système de santé actuel, la loi HPST n’ayant fait que parachever dans la continuité, le modèle qui se mettait en place depuis 1995 avec la fermeture de milliers de lits, de petites maternités, de fermetures de services de cancérologie, psychiatrie, chirurgie des petits hôpitaux et bientôt des plus grands. Il est l’homme d’une politique et nous le respectons en tant que tel mais comment peut- on imaginer tourner une page dans ces conditions ?

Nous devrons décortiquer plus en détail ce rapport de 72 pages, somme toute très court, qui ne présente en première approche que peu de modifications significatives de la loi controversée qu’on prétend oublier. Il eut été simple de l’abroger purement et simplement dans un premier temps. Les hôpitaux eussent continuer à tourner ou à ne pas tourner, mais au moins une position eut été claire. Il n’en est rien ; quelques rustines pour faire semblant et toujours la bureaucratie galopante et les couches successives de contrats, évaluations contrats d’établissements entre établissement avec les directeurs locaux puis les agences régionales de santé dont le rôle est « conforté » .

Les propos de Marisol Touraine

D’ abord les « mots » c’est le plus facile ça ne coûte rie. Le terme de service public hospitalier est rétabli. On eut aimé que le terme médecin hospitalier réapparaisse également. Il faudra attendre. La façon dont sont traités avec mépris les médecins dans ce ministère ne s’améliore pas avec ce rapport et cette pseudo réforme. Au passage les médecins du privé sont éborgnés : diviser pour régner ça marche toujours alors pourquoi s’en priver. On lit dans le rapport que de plus en plus le privé envoie le travail lourd sur l’hôpital. Je connais pourtant beaucoup de patients atteints de cancer renvoyés sans tambour ni trompette à leur domicile et où le généraliste et l’infirmier libéral doivent se débrouiller pour assurer la fin de vie dans les moins mauvaises conditions, patients qui autrefois, quand tant de lits n’avaient pas été fermés, avaient encore leur place à l’hôpital.

Et probablement de même pour les personnes très âgées ou les handicapées et les patients atteints d’Alzheimer et n’ayant pas trouvés de point de chute hospitalier vu les sommes demandées par jour d’hospitalisation. Qui s’en occupera si ce n’est les médecins de ville. Alors arrêtons de faire croire qu’il y a les bons et les méchants. Quand à la grosse chirurgie, elle est de plus en plus souvent refusée à l’hôpital public du moins en Ile de France pour ce qui est de mon expérience personnelle pour nos patients.

On pourrait comparer les discours et les mots émaillant les nouvelles réformes depuis 10 ou 15 ans « Dans un tel contexte économique et social, l’hôpital public que veulent construire les usagers et les professionnels au sein d’un service public intégré dans un territoire et ouvert sur son environnement et tous les autres acteurs, peut à nouveau être innovant, exemplaire et constituer un espace de communauté et de solidarité nécessaire aux conditions de bien vivre en société. »(…) « Cela passe par ce qui pourrait être considéré comme un pari sur l’intelligence, la responsabilité et la haute conscience professionnelle des acteurs de terrain » (page 57). Vive la langue de bois au moins elle, elle se porte bien !

Quand au pari sur l’intelligence, arrêtez la flatterie ! cela ne remplace pas les postes au bon endroit c'est-à-dire au lit du malade et pas ailleurs. La coopération sur les territoires entre tous les professionnels, cela a déjà été prôné, essayé et des sommes importantes ont été concédées aux « réseaux » qui n’ont jamais fait la démonstration de leur efficacité comme de nombreux rapports sur ce sujet même le démontre. Alors arrêtons les mauvaises recettes réchauffées et l’argent dépensé a gogo dans des puits sans fonds quand l’hôpital en manque temps.

« Le rapport propose aussi que la tarification à l'activité (T2A) ne soit plus le mode essentiel de financement des hôpitaux, une proposition retenue par la ministre. »

Rappelons que la tarification à l’activité était une tentative de rembourser par la sécurité sociale une appendicite au même tarif à l’hôpital public ou en clinique privée . En effet on avait mis en évidence des écarts considérables : une appendicite pouvant coûter dix fois moins chère en ville qu’à l’hôpital. On eut droit aux cris des hospitaliers  insistant sur les missions d’enseignement et de recherche mais cela faisait cher la différence et de toute manière s’il  s’agit de surcoût lié à l’enseignement ce n’est pas à la Sécurité Sociale de la payer mais à l’université de même que le surcoût de la recherche doit être pris en charge par les organismes qui en ont officiellement la charge ...

La tarification à l’activité n’avait pas que des défauts et semble-t- il aucun des acteurs ne veut l’abandonner complètement. Pour les séjours de malades en situation aiguë  le principe est de payer les quelques jours en fonction du « poids », de la lourdeur de l’activité qu’il engendre et pas seulement des actes comme on l’entend sur les ondes par ses pourfendeurs. Il est vrai que c’est complexe : un patient pour chimiothérapie restera cinq jours et le séjour sera payé à l’hôpital d’autant plus cher qu’il aura des facteurs associés (un diabète, une infection grave, un trouble mental etc). Malheureusement dans la mise au point  des critères de tarification, des adaptations à visée comptable intervinrent trop souvent qui firent d’un bonne idée de départ un système ayant des effets pervers. Néanmoins il fut un grand progrès dans l’adaptation des moyens à l’activité réelle. On ne devait plus entendre : ce service a droit à 40 lits (vides le plus souvent ) et le budget en rapport parce que le patron a un grand « potentiel universitaire », entendez : attribution de moyens hospitaliers (en principe destinés aux soins) en fonction de critères universitaires. Si on veut vraiment réformer à fond l’hôpital, il faut rendre le pouvoir aux cliniciens et séparer la gestion de l’hôpital de celle de l’université. Quitte à ce que le chef de service puisse être à tour de rôle universitaire en fonction ou médecin, mais pas en même temps. Le conflit d’intérêts est quotidien et nuit gravement à la fonction première du service public, le soin. On nomme tel praticien universitaire parce que c’est un bon chercheur mais ce n’est pas forcément un bon clinicien. Le rapport Couty est loin d’aborder la réalité quotidienne des hôpitaux (mais qui représentaient les vrais soignants dans les groupes de travail , si peu ?) et les effets pervers de la loi Debré de 1958 ne seront pas gommés de sitôt.

Hier comme aujourd’hui, le soin n’est pas le centre des réflexions ni des pouvoirs de décision, c’est l’université, ce qui est illogique et contre productif. La réforme de la gouvernance évoquée par Marisol Touraine et développée dans le rapport Couty qui viserait à redonner du pouvoir aux « médecins » de fait ne changera rien sauf sur le papier car les directeurs « seuls maitre à bord » ont de fait dirigé avec les présidents des CME (commission médicale d’établissement) le plus souvent enseignants chercheurs, mais sans les cliniciens au lit du patient.

Mais pour une refonte de l'organisation globale de l'hôpital et une nouvelle loi de santé publique, il faudra attendre "début 2014", a-t-elle prévenu .

Ce n’est pas long et il faudrait plus de 150 personnes entendus pour le rapport Couty souvent les mêmes depuis 15 ans ) (plus quelques contributions dites « transversales »( pour un système qui touche de l’ordre d’un million de professionnels  .

Si notre ministre voulait garder un nom dans l’histoire de l’hôpital, ce serait le moment de lui rendre sa « liberté »  à tous égards. Il faudrait tailler dans le mammouth de la bureaucratie que chaque réforme ne fait qu’augmenter sans qu’on s’interroge jamais « est ce utile ? » « les moyens dispensés pour le contrôle sont ils rentables ? » . Rappelons que sous Thatcher un organisme chargé de diminuer les dépenses de l’hôpital avait permis de diminuer  de 3% alors qu’il revenait à près de 7% ! L’Etat veut tout régenter mais il le fait à travers des agences composées de personnes nommées (dirigeants proches des princes du moment) auxquelles il délègue sa toute puissance et tout notre argent (20 % du budget des dépenses publiques selon le rapport de l’IGF disponible sur le net depuis septembre 2012. Ce système est largement mis en cause par les professionnels de tous horizons, de spécialités différentes, des universitaires comme des libéraux, de médecins comme des paramédicaux. Le rôle pervers des agences régionales de santé qui organisent une médecine policière et autocratique (selon les termes mêmes d’un rapport du sénat sur les agences sanitaires) n’est pas abordé dans le rapport Couty, qui veut au contraire renforcer leurs pouvoirs. Une nouvelle réforme reprenant les recettes du passé dont on mesure tous les jours la nocivité ne peut aboutir qu’à un nouvel échec et le pacte de confiance (un joli mot ironique dépourvu de contenu) n’a guère de chances d’être établi. Dans le sport lorsqu’une équipe perd régulièrement, on change toute l’équipe de support. Au ministère de la Santé on change de ministre mais tous ceux qui rédigent les réformes sont maintenus à leur place et peuvent persévérer dans l’erreur. Si on veut améliorer les soins il faut rendre les moyens aux soignants et limiter la bureaucratie.

Histoire de vous convaincre que tout change et rien ne change, lisez ces quelques morceaux choisis du rapport Couty et en particulier la dernière phrase qui vous rappellera vos années de lycée …

« La politique contractuelle, outil de régulation de l’offre hospitalière sur le territoire, se concrétise par la signature de contrats d’objectifs et de moyens entre l’ARS et les établissements. Lorsque c’est le cas, il convient de respecter le processus vertueux d’un contrat négocié et éventuellement signé, sur la base d’un projet d’établissement s’inscrivant, en pleine cohérence, dans les orientations du SROS. Le contrat doit conclure et non pas précéder un processus que les relations avec la tutelle sont comprises, les services de l’ARS sont souvent dans la posture d’injonction/sanction plutôt que dans celle d’accompagnement, d’encouragement et de reconnaissance des efforts accomplis » . (page 50)

Tout cela est très inquiétant : plus de liberté de soigner, de gérer, de penser ….On veille sur nous. Dormez en paix.

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