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Pourquoi séparer les banques de dépôt des banques d'affaires n'est pas la solution
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Hold-up

C'était une promesse de François Hollande : le grand projet de loi bancaire est examiné par les députés pour assainir le secteur. Le but, séparer les activités spéculatives des banques des investissements utiles à l'épargnant.

 Acrithène

Acrithène

Acrithène tente tous les jours de vulgariser la science économique sur son blog.

Il est diplômé d’HEC Paris (finance) et de l’Ecole d’Economie de Toulouse (économie théorique) et actuellement doctorant.

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Trop de commentateurs concentrent leurs attaques sur le modèle de la banque universelle. Ce faisant, ils négligent la complexité et les vrais problèmes du système bancaire. 

La perversité de l’organisation du secteur bancaire et la nécessité de le réformer font l’objet d’un consensus grandissant. La nature de cette réforme est en revanche nettement moins consensuelle. Mais une des propositions profite du charme de la mythologie interventionniste du New Deal, une solution toute prête qui nous nous épargne l’effort de penser neuf et a pour elle l’autorité de la sagesse économique des années 1930 : rétablir le Glass-Steagall Act qui séparait les banques commerciales et les banques d’affaires. Le fantôme de Franklin Roosevelt étant devenu le guide de l’opinion publique, il est heureux que la guerre déclarée aux banques par le candidat Hollande se limite aux apparences, et que la réforme proposée par le gouvernement soit essentiellement inexistante.

A mes yeux, les partisans de l’interdiction des banques universelles font trois erreurs importantes.

  1. La première vient d’un mauvais diagnostic. L’industrie financière pose un problème « systémique ». Cela signifie que ce n’est pas la composition interne de telle ou telle banque qui pose problème, mais les relations qu’entretiennent entre elles les différentes institutions financières. Ce ne sont pas les liens entre les différentes activités d’une même banque qu’il faut analyser en priorité, mais les interactions entre banques.

  2. La seconde erreur relève d’un mépris des faits. En effet, la concentration des critiques sur le modèle de la banque universelle, néglige qu’à l’exception de la banque écossaise RBS, les firmes ayant soumis l’économie à des risques systémiques étaient des institutions spécialisées : Washington Mutual (commerciale, 2008), Lehman Brothers (affaires, 2008),LTCM (hedge fund, 1998), Continental Illinois (commerciale, 1984)… Tout au contraire, les banques universelles ont joué un rôle clé dans le sauvetage des banques spécialistes lors de la dernière crise : JPMorgan Chase (universelle) ayant repris Washington Mutual et Bear Stearns(affaires) ; Merrill Lynch (affaires) ayant été secouru par Bank of America (universelle).

  3. Enfin, l’appel mystique à la sagesse de Roosevelt est une amnésie historique. Le système, par lequel des institutions semi-publiques – telle Fannie Mae fondée en 1938 – rachetaient aux prêteurs les crédits hypothécaires afin de stimuler le marché immobilier et de le rendre accessible aux ménages pauvres, est le cœur de la crise des subprimes. Ce système est hérité du New Deal.

Personnellement, si je suis en faveur du découpage des banques en petits morceaux, je trouve en revanche que la doctrine Glass-Steagall est un critère de découpage sans grande pertinence. Si la question du modèle de la banque universelle peut faire débat, un retour au Glass-Steagall Act ne répond pas aux problèmes systémiques du secteur bancaire. D’ailleurs la doctrine du « too big too fail » datant de 1984 et de la faillite de Continental Illinois, l’émergence du problème actuel dans la sphère publique précède de quinze années l’abrogation  du Glass-Steagall Act en 1999. L’objet de ce premier billet est juste de vous exposer ce que constitue le risque systémique à travers l’exemple du marché interbancaire.

Deux doctrines de la séparation

La doctrine populaire

Une des grandes idées du café du commerce est qu’il faille séparer les banques commerciales des banques d’affaires, parce que les premières récoltent notre épargne, et que les secondes sont des aquariums à requins spéculant avec notre argent. La première négligence de cette doctrine est que ce sont les investissements et non les dépôts qui génèrent la croissance économique et qui permettent la rémunération de l’épargne. La seconde méprise tient à la perspective manichéenne dont dérive cette théorie. Si on ne saurait dédouaner les banques d’affaires de leur responsabilité dans la crise de 2008, il ne faudrait pas pour autant oublier que l’origine d’une crise de crédits immobiliers pourris trouve ses racines dans les activités des banques de détail, et non de celle des banques d’affaires ! Les banques espagnoles qui font aujourd’hui chanceler l’économie de leur pays sont les caisses d’épargne, et non les deux grandes banques universelles espagnoles (article).

La doctrine du Crédit Lyonnais

Un autre argument qui soutient la séparation des deux activités bancaires est la « doctrine Germain », énoncée par le directeur du Crédit Lyonnais en 1882, et selon laquelle les dépôts à court terme doivent financer des investissements à court terme, et les dépôts à long terme des investissements à long terme. Cette doctrine peut s’appliquer à la séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires, les premières collectant temporairement l’argent des ménages, et les secondes les immobilisant dans des projets à long terme.

La séparation suggérée par Henri Germain a le mérite de distinguer deux risques de faillites, le risque d’insolvabilité et le risque d’illiquidité.

Solvabilité, liquidité et système bancaire

Une banque isolée

Prenons une banque A, qui reçoit 100€ d’épargne de ses déposants à la période 1. Pour rémunérer ses déposants, la banque A a deux choix d’investissement :

  • A court terme, placer l’argent collecté dans des titres financiers liquides, comme des obligations d’Etat. Elle pourra récupérer cet argent augmenté de faibles intérêts en période 2 ou 3 selon ses besoins.
  • A long terme, elle peut prêter cet argent à un industriel, qui dégagera davantage de richesse de l’usage de ce capital, mais qui ne pourra rembourser qu’en période 3.

La banque A répartit son épargne entre les deux placements. Selon cette répartition, la banque court deux types de risques :

  • Liquidité : En période 2, il est possible que certains déposants souhaitent, pour une raison x ou y, récupérer leur épargne. Si la quantité d’épargne réclamée excède les placements à court terme, la banque est incapable de payer. En effet, elle a placé une trop grande partie de ses dépôts à long terme, et est donc incapable de les rendre à moyen terme. Cette incapacité provoque sa faillite.
  • Solvabilité : Il est par ailleurs possible que la banque ait fait une erreur de placement, et que par exemple les gens auxquels elle a prêté de l’argent se trouvent en faillite. La valeur de ses créances étant inférieure à celle des dépôts de ses clients, la banque devient insolvable et fait de même faillite.

La suggestion d’Henri Germain consiste à éliminer le risque de liquidité en plaçant les dépôts à court terme uniquement dans des investissements de court terme. Cette prudence absolue a pour corollaire la certitude d’une réduction globale des investissements de long terme. Comme toujours, le risque zéro est associé à la performance zéro. Tout est affaire d’équilibre entre les deux.

Si je caricature un peu (beaucoup) la séparation absolue entre les dépôts à court terme et les investissements à long terme, personne n’aurait jamais dû construire la moindre péniche sur la Seine. En effet, l’eau qui s’y trouve ne fait jamais que passer, et aura vite fait de rejoindre la mer. Elle n’est dans la Seine que temporairement.

Dans le cas de la banque dépôt, chaque dépôt n’est que temporaire, mais une partie du montant total des dépôts revêt un caractère permanent. De même, aucune goutte d’eau ne reste longtemps des années dans la Seine, et pourtant le niveau de la Seine est « toujours » au-dessus d’un certain seuil. Ce sont les variations de ce niveau qui doivent déterminer les décisions. Douglas Diamond et Philip Dybvig expliquaient dans un article essentiel de 1983, que la capacité des banques à mutualiser la liquidité des déposants afin de mettre une épargne de court terme au service d’investissements de long terme étaient une des principales utilités des banques, bien qu’une cause d’instabilité en des circonstances exceptionnelles.

Le marché interbancaire

La situation d’une banque solvable faisant face à une situation d’illiquidité, peut être décrite comme un accident imprévisible. Ce risque, propre à chaque établissement bancaire, est mutualisable. C’est le rôle du marché interbancaire.

Si une banque solvable fait face à un manque de liquidités (par exemple suite à des retraits importants de ses déposants), elle peut utiliser ses investissements de long terme comme contrepartie à un emprunt auprès d’un autre établissement bancaire. Ce crédit permet à la banque solvable mais "illiquide" d’éviter la faillite. Ce système permet à chaque banque de réduire ses réserves de liquidités et de diriger une plus grande part de l’épargne vers des investissements durables. Chaque jour, les banques se prêtent ainsi de l’argent afin de garantir leur liquidité quotidienne.

Le risque systémique

Imaginons qu’au sein de ce système, un établissement se retrouve insolvable pour telle ou telle raison. A ce moment, les établissements survivants s’interrogent sur les liens qu’entretenait la banque défaillante avec ses homologues, et si éventuellement certaines de ces autres banques pourraient se retrouver insolvables. Deux problèmes se posent alors :

  • Too interconnected : La banque défaillante a de nombreux liens avec d’autres établissements financiers ou des grandes entreprises, ce qui fait peser un risque d’insolvabilité chez ces autres sociétés
  • Too complicated : Ces liens sont trop complexes pour être analysés rapidement

Dans une telle situation, la suspicion d’insolvabilité pèse sur certaines banques. En conséquence, les autres banques refusent de leur prêter de l’argent sur le marché interbancaire. Il s’agit du même problème que celui exposé par George Akerlof dans son exemple du marché des voitures d’occasions : la méfiance contracte le marché, et mêmes les vendeurs de bonnes voitures en souffrent.

En cette circonstance, certaines banques solvables, mais dont la solvabilité n’est pas vérifiable, risquent de se retrouver illiquides et donc de faire faillite si elles échouent à trouver des prêteurs sur un marché interbancaire miné par la méfiance généralisée. Ces nouvelles faillites amplifieront la méfiance globale, aggravant l’enrayement du marché interbancaire et provoquant une cascade de défauts. On qualifie ce risque de « systémique » car il provoque des faillites qui ne sont pas liées à de mauvaises stratégies d’investissement de la part des banques touchées, mais simplement au système considéré dans son ensemble.

Aussi, lorsqu’une banque est « too interconnected » ou « too complicated », elle fait peser un risque de faillite en cascade sur le reste de l’industrie financière, et en définitif sur l’ensemble de l’économie. Lorsqu’elle fait faillite, la théorie dite du « too big to fail » invite le gouvernement à la secourir pour empêcher le déclenchement de ce processus destructeur. Il est important de comprendre que la raison du renflouement des banques par le gouvernement n’est pas la garantie des dépôts des épargnants, mais bien le risque systémique. Se sachant « too interconnected », une banque aura alors intérêt à prendre des risques excessifs, profitant des profits en cas de succès, et bénéficiant du secours du contribuable en cas d’échec.

Découpages et modèle universel

Découper les établissements financiers réduirait probablement ce problème (en plus de réduire leur pouvoir politique) : too big to fail is too big to exist.  Mais en quoi la séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires est un critère intelligent de découpage ? Ni Washington Mutual, ni Lehman Brothers, ni LTCM, ni Continental Illinois n’étaient des banques universelles. Toutes présentaient un risque systémique majeur. Par ailleurs, des petites banques très interconnectées peuvent créer elles-aussi un risque systémique difficile à isoler : le « too many to fail » est tout aussi problématique, et plus compliqué à gérer.

Au contraire, un certain nombre d’arguments vont dans le sens d’une plus grande stabilité des banques universelles.La diversification par branche d’activité mène à une plus grande résistance de l’ensemble. Si vous coupez la Société Générale en deux, vous aurez deux banques « too big too fail » au lieu d’une. Ainsi, si les activités de la banque avaient été strictement séparées, l’affaire Kerviel aurait mis à terre la banque d’investissement de la Société Générale, et le gouvernement l’aurait renflouée. Cependant, adossée à une banque commerciale, les pertes de trading de la Société Générale se sont répercutées comme il se doit sur les actionnaires, sans provoquer de risque systémique. Par ailleurs, l’intégration d’activités diverses au sein d’un même groupe permet de rendre chacune des branches moins dépendante du marché interbancaire (et donc du risque systémique) dans la mesure où la mutualisation du risque de liquidité peut être gérée à l’intérieur du groupe. Bref, la confusion entre «universelle » et « too big » conduit le débat vers des réformes inadaptées et manquant d’envergure.

Article précédemment publié sur le blog d'Acrithène

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