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Peut-on rire d'Hitler?
Peut-on rire d'Hitler?
©Flickr - Recuerdos de Pandora

Second degré

Un écrivain allemand ressuscite Adolf Hitler dans un livre humoristique qui fait polémique en Allemagne. Risquons-nous de réécrire l'histoire en riant d'un personnage aussi hideux ?

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Atlantico : Un écrivain allemand ressuscite Adolf Hitler dans un livre humoristique qui fait polémique en Allemagne. Dans "Il est de retour", ("Er ist wieder da") Timur Vermes braque les projecteurs sur le dictateur du IIIe Reich, qui se réveille en plein été 2011, amnésique. S'ensuit une série de déboires. Peut-on rire d'un personnage aussi hideux qu'Hitler?

Michel Fize : Au-delà de la question "Peut-on rire de Hitler?, il y a la question plus générale : peut-on rire de tout ? Peut-on rire de tous ?

Une actualité récente (l'affaire de caricatures de Mahomet) a montré que l'on s'autorisait à se moquer du prophète des musulmans (qui est un "bon" personnage), cela paraît donc justifier d'emblée que l'on se moque des "méchants" personnages , donc de Hitler ! Faut-il ici rappeler que Chaplin est l'un des premiers (en 1940) à s'être moqué de ce personnage dans son film Le Dictateur - avec le talent que l'on sait.

Pour se moquer il faut, me semble-t-il, d'abord un projet : un projet respectable, un projet d'humanité. Rire d'Hitler alors qu'il possède encore tant de partisans fanatiques de par le monde est non seulement un droit, c'est aussi un devoir. Le cinéma a eu l'occasion de montrer un Hitler à visage humain, aimant les chiens, aimant les enfants : on a beaucoup reproché un réalisateur dont j'ai oublié le nom d'avoir montré un dictateur-homme ordinaire aussi. La satire est une bonne chose. Cela montre que la tyrannie peut venir de n'importe quel personnage, que tout un chacun, et pas seulement un fou, peut entrainer le monde dans les pires folies. Cela montre enfin nos responsabilités dans la tragédie : c'est la démocratie allemande qui a installé Hitler sur son trône après tout.

Les réticences à se moquer d'un personnage comme Hitler proviennent-elles de la peur d'être taxé de révisionniste, ou de ne pas respecter la mémoire des victimes ?

Je ne crois pas qu'il s'agisse de révisionnisme. Pour qui appartient au camp des démocraties, le personnage d'Hitler est nécessairement blâmable. Une telle œuvre, comme d'autres, telles que celle de Chaplin, ne change rien à la réalité historique. Il faut considérer cela comme un divertissement. Mais on ne peut pas supposer une complaisance de l'auteur par rapport à Hitler en écrivant ce texte. Je crois qu'Hitler continue d'alimenter tous les fantasmes, et donc les peurs. Pendant des années, après sa mort, on a alimenté la rumeur selon laquelle il n'était pas mort, mais vivant quelque part. Derrière ce personnage, il y a une légende qui s'est développée. Mais ce type d'œuvre ne participe en rien à un quelconque révisionnisme.

Le révisionnisme consisterait à construire une fiction montrant Hitler poussé au crime par des forces extérieures, avec des complicités dans le monde occidental. Essayer d'expliquer son action politique par d'autres considérations que sa haine de tout ce qui n'était pas la race pure, aryenne, voila ce qui constituerait du révisionnisme.

Quels bienfaits peut avoir cette façon de tourner en dérision le personnage d'Hitler ? Cela ne peut-il pas constituer une façon originale et décalée de parler de l'histoire ?

Nous sommes à une époque on l'on admet que l'on peut rire de tout et de tout le monde. On a plutôt tendance à se moquer de personnages "bons", des références. Mais c'est une bonne chose que l'on puisse également se moquer de personnages aussi terribles qu'Hitler. Montrer un Hitler qui va acheter les journaux, caresse ses chiens, permet de bien signifier à tout le monde que c'était un être humain, et que des êtres humains qui apparaissent tout à fait ordinaires peuvent commettre à l'occasion les pires forfaits.

A-t-on besoin d'un certain temps historique pour prendre du recul par rapport aux évènements avant de pouvoir en rire ?

On n'a pas attendu un siècle pour rire d'Hitler. Chaplin écrit Le Dictateur en 1940. Le nazisme est alors en pleine expansion. On a toujours ri de ce personnage. Il n'y a pas un temps particulier pour faire ou ne pas faire les choses. Il faut surtout du talent, c'est cela qui fait la différence. Avec du talent, on peut faire passer n'importe quel message. L'œuvre de cet Allemand est un conte, qu'il faut lire comme tel. Son personnage principal est Hitler. Il y aura encore beaucoup de contes de ce type, car ce personnage alimente tous les fantasmes et toutes les peurs.

Avons-nous encore des difficultés à rire de ce personnage aujourd'hui ? Si oui, pourquoi ? (Le réalisateur Quentin Tarantino avait mis les pied dans le plat en réécrivant le destin d'Hitler dans son film Inglorious Bastards, et en le faisant passer pour un personnage dépourvu de raison.)

Il est vrai que les crimes qu'il a commis sont à ce point monstrueux, qu'il n'évoque par le rire à priori. Mais il y a chez le personnage physiquement beaucoup de choses qui peuvent faire rire. Il est grotesque, finalement, avec sa petite moustache. Il ressemble à tout sauf à l'aryen pur dont il a rêvé toute sa vie.

Il faut critiquer Hitler, comme Staline et d'autres. C'est un devoir de salubrité publique. C'est le devoir des historiens, des humoristes, des gens de cinéma. Je crois que si nous avons tant de mal à rire de ce tyran, c'est que nous sentons terriblement responsables : nous avons laissé faire ; en permettant Munich en 1938, en laissant s'installer Hitler au pouvoir, en nous taisant sur les camps de concentration que nous (les Alliés) connaissions pratiquement dès leur ouverture.

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