Sommet de Bruxelles : pourquoi les dirigeants européens ne sont pas à la hauteur des enjeux du budget de l'UE<!-- --> | Atlantico.fr
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"Ce vote n'est qu’un test de la volonté des Européens quant à l’approfondissement de la zone euro"
"Ce vote n'est qu’un test de la volonté des Européens quant à l’approfondissement de la zone euro"
©Reuters

Poules mouillées

Au cours du sommet de Bruxelles qui démarre aujourd'hui, sera voté le budget européen à horizon 2020. La réticence de certains membre de l'UE quant à ce vote risque de coûter cher à l'Europe.

Jean Quatremer

Jean Quatremer

Jean Quatremer est journaliste.

Il travaille pour le quotidien français Libération depuis 1984 et réalise des reportages pour différentes chaînes télévisées sur les thèmes de l'Europe.

Il s'occupe quotidiennement du blog Coulisses de Bruxelles.

Il est l'auteur de Sexe, mensonges et médias (Plon, 2012)

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Atlantico : Démarre aujourd'hui le sommet européen de Bruxelles au cours duquel sera voté le budget européen jusqu'à 2020. Certains Etats membres de l’Union semblent se désintéresser des enjeux du budget européen. Quels sont les risques liés à ce phénomène ?

Jean Quatremer : Plutôt qu’un désintérêt pour le budget européen, certains pays veulent clairement couper dans le budget car il est aujourd’hui un véritable instrument de redistribution des capitaux entre les pays pauvres et les pays riches de l’Union. Cela nous montre clairement que les leçons de le crise financière qui a secoué la zone euro n’ont absolument pas été tirées puisque cette crise a démontré que nous avons besoin d’une plus grande solidarité financière entre Etats européens. Ce qui est plus grave c’est que, au-delà de la Grande-Bretagne lourdement eurosceptique, certains pays de la zone euro sont aussi dans cette logique-là notamment l’Allemagne, la Finlande et les Pays-Bas. Cela remet donc en cause la sincérité de l’engagement européen de la première économie européenne et d’Angela Merkel qui sait pertinemment qu’une union fédérale implique nécessairement d’importants transferts financiers et une solidarité financière réelle.

Ce mouvement de recul de certains pays membres a de risqué ce qu’il envoie comme message aux marchés. En effet, le fait de se battre pour une somme qui représente à peine plus d’1% du PIB communautaire est le signe clair d’un manque de confiance en interne qui pourrait bien créer une nouvelle défiance des marchés et des conséquences économiques graves.

Quels sont alors les véritables enjeux du vote de ce budget européen ?

Le véritable enjeu de ce vote est qu’il n’est autre qu’un test de la volonté des Européens quant à l’approfondissement de la zone euro. Au-delà de la question financière qui est finalement minime, le véritable enjeu est politique. Il est le visage de l’Union européenne que nous allons montrer au monde et aux marchés. Il faut bien comprendre à quel point il serait désastreux pour l’image de l’Europe d’envoyer aux marchés un signal comme celui d’aboutir à un accord inférieur aux attentes de la Commission qui ne sont déjà pas très hautes. Comment pourrions-nous être pris au sérieux si nous ne pouvons pas nous mettre d’accord sur 30 milliards au milieu d’un budget de 1000 milliards sur sept ans – soit à peine 0,3% du PIB communautaire. C’est notre volonté de poursuivre ou pas sur le chemin d’une intégration plus forte qui sera votée à ce sommet.

A refuser de s’impliquer davantage, les Etats membres n’encouragent-ils pas des politiques improductives et le maintien de certaines rentes ? Lesquelles ?

La question qui pousse certains pays à ne pas s’impliquer d’avantage dans l’intégration européenne est double, d’une part le fonctionnement du budget et d’autre part la pertinence de certaines politiques européennes.

Le fonctionnement du budget européen est structurellement problématique puisque celui-ci est extrêmement rigide. En effet, le budget qui va être voté, ou pas, au cours de ce sommet correspond à une enveloppe divisée en différentes politiques européennes desquelles aucun argent ne pourra être réattribué. La PAC par exemple, se verra probablement allouer 386 milliards d’euros qui ne pourront jamais être utilisés pour un sauvetage comme celui de la Grèce ou une situation similaire. De plus, ces politiques sont divisées en rubriques très détaillées ayant chacune des budgets particuliers limitant encore la souplesse. Malheureusement, c’est bien cette question qu’aucun pays, la France comprise, ne pose puisque chacun d’eux attend sa part et ne veut rien laisser. Ils maintiennent donc le blocage rigide que j’évoquais précédemment en empêchant le Parlement et la Commission de diminuer leurs enveloppes respectives et participent à quelque chose qui est l’exact contraire d’un budget qui doit pouvoir réagir à l’urgence économique.

Se pose ensuite la question de la pertinence des politiques européennes avec la PAC en premier plan. Cette dernière représente pas moins de 40% du budget européen dont une partie est distribuée sous la forme d’aides directes aux agriculteurs notamment les céréaliers. Ces exploitants reçoivent des chèques allant jusqu’à des centaines de milliers d’euros par exploitation alors que les cours mondiaux n’ont jamais été aussi hauts et touchent donc des deux côtés. A l’inverse, les exploitants légumiers eux ne perçoivent presque rien et sont les victimes d’un fonctionnement qui pose donc de profondes questions. Les fonds structurels régionaux posent le même problème car si construire un pont, une autoroute ou un réseau de fibre optique participe au développement économique des pays membres, ce n’est pas le cas de tous les projets. Revient-il vraiment au budget européen de prendre en charge le cofinancement d’un rond point ?Ce financement un peu aveugle de certains projets créé une déperdition économique extrêmement problématique. La Commission a bien proposé de recentrer le financement des projets sur ce qui encourage la croissance et d’accroître le contrôle sur la bonne utilisation des fonds mais tant que les Etats ont une aussi grande marge de manœuvre ils continueront à redistribuer les fonds à leur clientèle. Il pourrait également être intéressant de renforcer les politiques d’éducation en créant des universités performantes dans tous les pays plutôt que de préférer sans cesse faire des chèques aux exploitants agricoles.

La dernière problématique autour du budget européen est celle de ses recettes. Celles-ci sont issues d’une contribution de chaque pays calculée sur les PIB respectifs c’est à dire un chèque de chaque Etat membre. Tant que ne sera pas voté un texte qui créé un budget européen en ressource propre nous nous heurterons toujours aux différents égoïsmes nationaux. Nous pourrions par exemple allouer automatiquement un pourcentage de la TVA ou de la taxe carbone directement au budget européen. Cela ne diminuerait en rien les revenus des Etats et donnerait plus de liberté aux institutions européennes. Pour l’instant, les Etats se battent pour garder un contrôle étroit sur le budget et c’est bien la le drame. Imaginez ce qu’il adviendrait si en France chaque citoyen avait un droit de veto sur les impôts qu’il paie.

Comment expliquer le paradoxe entre cette posture et les déclarations des nombreux gouvernants appelant à toujours plus d’intégration notamment le discours de François Hollande ?

Ce phénomène est très variable d’un pays à l’autre et l’on constate notamment que François Hollande a changé le fusil de la France d’épaule par rapport à la position de son prédécesseur Nicolas Sarkozy. Nous étions à l’époque du côté des Britanniques, des Allemands et des Suédois alors que nous sommes à présent dans le camp des pays du Sud et de l’Est qui prônent un maintien voire une augmentation du budget européen. Le souhait de François Hollande d’un approfondissement de l’Union Européenne, et même à long terme une fédéralisation, diverge profondément de la vision allemande de la question. En effet, celle-ci prétend vouloir que l’Europe fasse un saut fédéral mais bloque tout dès qu’il s’agit de payer.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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