Pouffes à l'index : une police de la morale règne-t-elle chez les adolescentes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Que révèle le slut-shaming qui consiste à donner des leçons de comportement sexuel aux femmes ?
Que révèle le slut-shaming qui consiste à donner des leçons de comportement sexuel aux femmes ?
©Reuters

Chasse aux s......

C'est une tendance qui nous vient de Grande-Bretagne et des Etats-Unis communément appelée le "slut-shaming" (stigmatisation des salopes) et qui pousse les adolescentes à dénoncer sur la Toile des comportements de filles qu'elles jugent incorrects.

Jocelyn Lachance

Jocelyn Lachance

Jocelyn Lachance est un socio-anthopologue de l'adolescence et de la jeunesse et chercher à l'université de Pau. Il est également auteur de plusieurs ouvrages dont "Codes, corps et rituels dans la culture jeune" (Editions Pul). On retrouve également son travail sur son site www.anthropoado.com. 

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Atlantico : Une police morale règne-t-elle chez les adolescentes aujourd'hui ? 

Jocelyn Lachance : La question de la moralité, au sens premier du terme, c'est-à-dire la recherche de ce qui est bien et de ce qui est mal, s'est toujours imposée à l'adolescence à la différence que le contexte contemporain n'offre plus toujours et à tous les adolescents et adolescentes des réponses claires. Ainsi, si pendant longtemps, on se tournait à tout coup vers les adultes (les aînés) pour trouver de telles réponses, de plus en plus souvent, c'est à travers l'interaction, voire la confrontation avec les pairs, que le "débat" s'impose. C'est donc sans surprise que des débordements peuvent apparaître. Notons que la question de la moralité s'articule généralement autour de ce que certains anthropologues nomment les trois grands tabous de l'humanité : la violence, la mort et, bien entendu, la sexualité.

N'est-ce pas paradoxal à l'heure de la banalisation du sexe et d'une libération de plus en plus poussée des mœurs ?

Non parce que l'idée de la banalisation du sexe et d'une libération des moeurs ne va pas de soi ou, du moins, elle va de pair avec son lot de questionnements. Comme le soulignent des anthropologues comme Thierry Goguel d'Allondans en France, la sexualité se lit partout mais se dit nulle part. C'est-à-dire que, oui, la sexualité est omniprésente autour de nous, mais cela ne veut pas dire que nos contemporains arrivent toujours à lui accorder du sens. Au contraire, les questions concernant la sexualité se multiplient, notamment autour de l'identité sexuée : qu'est-ce qu'un homme ? qu'est-ce qu'une femme ? Ou encore des modalités de rencontres : comment et où rencontrer l'autre ? À l'adolescence, ces questions sont omniprésentes : les questions posées par les jeunes dans les numéro verts comme "Fil santé jeune" le rappellent chaque jour... Dans l'absence de réponse, l'adoption de position radicale est malheureusement parfois rassurante...

Assiste-t-on à un phénomène comparable en France ? Depuis quand ? 

Ce type de régulation existe chez les adolescentes partout en Occident, et elle ne s'exprime pas seulement sur Internet. Par contre, il est toujours difficile de donner une date précise à de tels phénomènes car, bien souvent, ces derniers n'attiraient pas notre attention par le passé. Mais prenez le temps de questionner vos aînés autour de vous, et rapidement vous verrez que ce type de régulation des codes vestimentaires, mais aussi des attitudes, entre les filles, n'est pas nouveau et connaissait déjà avant internet des expressions parfois violentes. Les études sur l'imposition de normes à l'adolescence, comme celles de Pasquier en France, rappellent que le regard des uns sur les autres et des unes sur les autres ne s'impose pas toujours sans violence. Concernant ce qui est visible sur Internet, il existe effectivement une crainte explicite chez les adolescentes lorsqu'elles mettent en ligne certaines photos d'elles-mêmes et qu'elles cherchent précisément la limite "acceptable" : rester sexy sans devenir vulgaire...

Que révèle le slut-shaming qui consiste à donner des leçons de comportement sexuel aux femmes ? Est-ce un phénomène sexiste ou les hommes peuvent également en être victimes sous d'autres formes ?  

Je ne sais pas si le slut-shaming consiste davantage à donner des leçons de comportements sexuels aux femmes qu'à révéler le questionnement de jeunes filles qui cherchent à travers l'affirmation d'une position ferme des retours et donc des réponses à un questionnement qui les taraude. Le caractère "public" de ce type d'échange montre bien qu'il s'agit de la revendication d'un point de vue que l'on veut faire exister, car ces jeunes n'évitent pas la confrontation, au contraire. Chez les garçons, des échanges du même type peuvent avoir lieu, mais elles toucheront généralement la question de la virilité et de l'identité sexuée, que nous pouvons lire comme la version masculine du slut-shaming.

Quelles peuvent être les conséquences psychologiques du "slut-shaming " sur les adolescents ? 

Mes collègues psychologues seraient sans doute mieux placé que moi pour répondre, mais une chose est certaine : ce phénomène du slut-shaming est représentatif de ce que change Internet depuis quelques années, et Internet ne fait pas apparaître de nouveaux comportements, mais plutôt leur donne une nouvelle visibilité. De tels échanges dans la cour d'école ne retiennent pas notre attention, soit parce que les adultes ne les ont pas entendus, soit parce qu'ils les ont ignorés... Les traces rendues visibles sur le net nous forcent à nous interroger et à prendre position. Mais je crois que cela nous dit que les espaces de débat sur de tels sujets ne sont peut-être plus assez nombreux pour ces adolescentes qui se posent des questions importantes. Ce phénomène peut être pris bêtement comme un problème majeur, un scandale, le symbole d'une décadence (comme nous le faisons malheureusement trop souvent). Je proposerais plutôt de le voir comme un message que nos adolescentes nous envoient et auxquels il importe de répondre.

Ce phénomène pose-t-il la question du contrôle du web, en particulier pour protéger la vie privée des enfants et les adolescents  ? 

Non car ce serait nous priver d'une vitrine sur la réalité de nos jeunes. Si nous voulons fermer les yeux, ou encore accuser Internet (comme nous avons accusé jadis le téléphone et la télé) alors prenons le chemin du contrôle et de l'interdiction, mais il s'agit, à mon avis, d'une grave erreur. Les questions que posent fondamentalement des phénomènes comme le slut shaming tournent autour du relationnel, des modalités d'échanges et de communication entre jeunes, et ici, le phénomène pose en plus la question de l'identité sexuée chez les jeunes filles. C'est à partir de ces questions que nous devrions intervenir. La stigmatisation des outils nous fait oublier les êtres humaines qui les utilisent. Soucions-nous d'abord de ce qu'ils nous disent. Il est préférable de former de futurs citoyens qui sauront mieux utiliser les possibilités qu'offre Internet que de les censurer sans chercher à comprendre davantage ce qui les motive...

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois et Alexandre Devecchio

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