La France a un incroyable snobisme : comment expliquer ce mépris des élites pour les célébrités qui ne sont pas comme elles ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Miss France 2012, était l'invitée de la dernière de "Vous trouvez ça normal" sur France 2. Ce qui devait être une gentille opération promotionnelle s'est transformé en procès de Miss France.
Miss France 2012, était l'invitée de la dernière de "Vous trouvez ça normal" sur France 2. Ce qui devait être une gentille opération promotionnelle s'est transformé en procès de Miss France.
©Montage

Regard condescendant

Audrey Pulvar est accusée d'avoir méprisé Marine Lorphelin, Miss France 2012, lors de son passage dans l'émission "Vous trouvez ça normal" sur France 2. Ce qui devait être une gentille opération promotionnelle s'est transformé en véritable lynchage médiatique.

Gérard   Leclerc

Gérard Leclerc

Gérard Leclerc est sociologue, il est professeur au département de sociologie de l'université de Paris 8. Ses thèmes de recherche portent notamment sur la place des intellectuels dans la société. Gérard Leclerc a publié, entre autres, Sociologie des intellectuels, collection "Que sais-je ?", PUF, 2003.

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Atlantico : Le lynchage de la nouvelle Miss France par Audrey Pulvar et Clémentine Autain sur le plateau de la dernière de l’émissionVous trouvez ça normal pose une nouvelle fois la question du mépris de certains intellectuels pour la culture populaire. Comment expliquer ce snobisme ?

Gérard Leclerc : Bien que je ne l’aie pas vue en direct, ce qui s’est passé sur ce plateau de télévision est la démonstration claire de l’affrontement de deux formes de légitimité culturelle. Cette émission a été un modèle paradigmatique de la structure des élites, au sens large du terme, dans la France d’aujourd’hui. La question du snobisme est intéressante car l’évolution sémantique du mot représente bien l’évolution des rapports de classes dans notre société. En effet, lorsqu’on lit Proust, on comprend que le snobisme désigne initialement le mimétisme du bas pour le haut, de la bourgeoisie pour l’aristocratie, voire du "bas du haut" pour le "haut du haut". De nos jours, le snobisme est devenu une sorte d’attitude méprisante des classes les plus hautes pour les plus basses et donc en l’absence d’aristocratie au sens initial du terme, des intellectuels médiatiques pour les masses inférieures. Mon idée est donc de dire qu’il y a une reformulation de ce rapport qui est passé d’une logique verticale à une logique horizontale et donc plutôt d’un mépris du centre pour la périphérie qui étaient respectivement le haut et le bas. Ces nouvelles données sont issues de l’essor des médias de masse et de la façon dont ils peuvent redistribuer les cartes. Ces médias de masse sont donc en toute logique devenus le théâtre de la concurrence et des affrontements entre plusieurs "centres", l’élite politico-culturelle d’une part et l’élite populaire d’autre part.

Cette tension est-elle liée au contraste entre la démocratie populaire dont sont issues les célébrités et la cooptation oligarchique dont sont issus les intellectuels ?

Deux types de personnalités médiatiques s’opposent donc sur le terrain médiatique français et la base de cette opposition est clairement liée au mode de sélection dont elles sont issues. Les intellectuels et les politiques, c’est à dire les personnalités "classiques" sont issus des universités et des grandes écoles qui servent de base à leur reproduction sociale. Les people quant à eux sont issus de circuits plus complexes liés à la distribution hasardeuse du talent, sportif, artistique ou autre, dont la reproduction ne passe en aucun cas par le système éducatif. Miss France est l’exemple parfait d’un système de promotion populaire basé sur l’audimat et donc sur la quantité plutôt que la qualité, ce qui s’oppose fondamentalement au concept d’élite et peut donc créer une rivalité de légitimité en fonction des différences des modes de sélection.

Enfin, malgré le fait que l’on puisse classer les politiques dans les élites "classiques", il faut souligner l’homologie frappante entre le système d’élection politique et le succès médiatique, puisque l’un comme l’autre sont l’expression de la volonté populaire et sont directement liés au marketing et aux médias de masse. Comme en témoigne l’intervention d’Audrey Pulvar dans cette émission, même les intellectuels traditionnels sont obligés de se plier au jeu des médias puisque celle-ci semble dire que la vraie élite est celle des intellectuels de la gauche éduquée mais refuse de cracher dans la soupe populaire et joue sur les deux tableaux.

La prétention des intellectuels à savoir ce qui est bon pour le peuple a-t-elle toujours existé ? Est-elle légitime ou paradoxale ?

À travers l’histoire, les intellectuels ont toujours été convaincus de parler au nom de la société. Depuis les lettrés chinois jusqu’à l’affaire Dreyfus où est apparu le terme intellectuel en passant par les lumières, tous ceux qui ont détenu la culture supérieure se sont prétendus être la voix de leurs contemporains. En tant que sociologue, je ne peux pas me prononcer sur la légitimité ou pas des intellectuels en tant que représentants de la société mais il est intéressant de voir comment ils ont évolué avec celle-ci. Historiquement, les intellectuels étaient des antidreyfusard et donc de gauche. Aujourd’hui, les intellectuels sont positionnés à divers endroits de l’échiquier politique et existent aussi bien à droite qu’à gauche. Ce qui est intéressant, c’est que ces deux factions ne se prononceraient pas de la même façon sur la nature et la légitimité de leur rôle au sein de la société. 

A quoi servent aujourd'hui les intellectuels et à quoi devraient-ils servir ? Leur rôle traditionnel est-il menacé ?

Le rôle des intellectuels n’est en rien menacé mais il traverse une phase de mutation profonde. Au début du XXème siècle, les intellectuels étaient des créateurs de contenus culturels alors que la structure actuelle des médias et particulièrement d’Internet, circulation centralisée et non homologuée de contenus, les a transformés en transmetteurs de contenus culturels. Cette nouvelle disposition donne d’ailleurs une importance décuplée des journalistes qui sont en première ligne dans ce rôle. Un éditorialiste par exemple ne crée pas de contenus mais apporte, par le biais de son analyse, une valeur ajoutée au contenu culturel qu’il analyse. Les intellectuels classiques eux-mêmes voient leur rôle modifié par l’augmentation du nombre de centres de visibilité pour eux et en même temps d’une forme de légitimation de leur rôle comme possédant un monopole culturel.

Le rôle des intellectuels est-il nécessairement de faire changer les structures en place ou peut-il être de permettre de les conserver ?

Nous sommes passés d’une société de conservation, de transmission des valeurs anciennes, à une société qui valorise l’innovation culturelle, idéologique et technologique. Est donc favorisé le rôle de constructeur du nouveau au détriment de celui de gardien de la tradition.  Pour autant, certains intellectuels se vouent à la conservation sociale, ils appartiennent essentiellement aux institutions que sont les universités et les structures religieuses. Les nombreux débats de société qui agitent la France en ce moment nous montrent bien que cette typologie d’intellectuels est en plein cœur des discussions. A l’inverse, les nouveaux intellectuels issus de la pensée laïque, révolutionnaire, créent un univers novateur et un peu chaotique qui repose sur un clash violent des idées. Cela contraste avec les sociétés antérieures à la modernité dans laquelle il existait une sorte de consensus intellectuel dans lequel l’innovation se faisait toujours dans le cadre des fillers des institutions. En Egypte par exemple, nous assistions à un conflit qui se dédouble entre un mouvement néo-islamique et une gauche démocratique et laïciste qui semblent très loin du consensus et qui rappellent l’Europe du début du XXème siècle.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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