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La démographie, ce facteur si souvent oublié : les pays en voie de développement, moteurs ou dangers pour la croissance mondiale ?
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Quitte ou double ?

Si la démographie des pays du Sud favorise leur économie, à terme, avec l'arrivée de nombreux actifs à la retraite, cet avantage pourrait bien peser sur la croissance.

Gilles  Pison

Gilles Pison

Gilles Pison est démographe, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle, conseiller de la direction de l’INED (l’Institut National d’Etude Démographique). Gilles Pison a publié « Atlas de la population mondiale » aux éditions Autrement. 

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Atlantico : Les pays du tiers-monde enregistrent un net progrès dans l'augmentation de l'espérance de vie. Comment cela s'explique t-il ?

La durée de vie s’allonge effectivement dans les pays du Sud. En 60 ans, entre 1950 et 2010, l’espérance de vie est passée d’environ 40 ans en Afrique et en Asie à 57 ans dans le premier continent et 70 ans dans le second. Au cours de la même période, elle est passée de 50 ans à près de 75 ans en Amérique latine.

L’allongement de la vie dans les pays du Sud a tenu jusqu’ici principalement à la baisse de la mortalité des enfants. Moins de cinq nouveau-nés sur cent meurent aujourd’hui avant d’atteindre leur cinquième anniversaire en Asie ou en Amérique latine, alors que c’était le cas de près de la moitié d’entre eux dans la première moitié du XXe siècle. Ce progrès tient au recul des maladies infectieuses principales causes de décès chez les enfants, grâce aux vaccinations et à un meilleur accès aux soins. Malgré des progrès récemment, l’Afrique sub-saharienne reste à la traîne avec encore un nouveau-né sur dix mourant avant d’atteindre l’âge de cinq ans, les enfants n’y étant notamment pas tous vaccinés.

Dans beaucoup de pays du Sud, la mortalité des enfants est suffisamment basse pour que son évolution future n’ait plus guère d’influence sur l’espérance de vie. Celle-ci ne pourra continuer à progresser que grâce à une baisse de la mortalité chez les adultes et les personnes âgées. Pour y arriver ces pays affrontent deux défis : le premier est la montée des maladies dites de «civilisation » chez les adultes - cancers, maladies vasculaires, diabète – liée à la diffusion de comportements nocifs pour la santé, comme le tabagisme, l’alcoolisme, la sédentarité, sans compter la hausse des accidents de la route. Les maladies infectieuses représentent un second défi : non seulement elles sont loin d’avoir totalement disparues dans ces pays, mais certaines, qui avaient régressé, ont repris de l’importance, comme le paludisme ou la tuberculose, tandis que d’autres sont nouvellement apparues, comme le sida.

Quelles évolutions économiques peuvent découler de ce phénomène ?

La première conséquence de la baisse de la mortalité est le plus que triplement de la population des pays du Sud depuis 60 ans, passée de 1,7 milliard d’habitants en 1950 à 5,7 milliards en 2010 (sur un total mondial de 7 milliards). Si leur population continue d’augmenter, la croissance démographique y décélère cependant : ayant atteint un maximum de plus de 2,6 % par an il y a cinquante ans, elle a diminué de moitié depuis (1,3 % en 2010) et devrait continuer de baisser. Cette décélération de la croissance tient à la diminution de la fécondité, 2,6 enfants en moyenne par femme aujourd’hui dans les pays du Sud, contre près de deux fois et demi plus (6 enfants) en 1950. La fécondité devrait continuer de baisser dans les prochaines années, la famille de petite taille étant en passe de devenir la norme partout.

L’allongement de la vie et la diminution de la taille des familles, changements que les démographes appellent « transition démographique », ont pour conséquence un vieillissement de la population. Il s’est pour l’instant effectué « par le bas » : dans la plupart des pays du Sud, la chute de la fécondité a fortement réduit la part des jeunes sans que la part des personnes âgées n’ait pour l’instant beaucoup augmenté. La part de la population d’âge actif n’a par conséquent jamais été aussi élevée. En Chine par exemple, la tranche des 20-65 ans, qui ne représentait que 45 % de la population en 1970, a beaucoup augmenté depuis et en représente aujourd’hui plus de 65 %. Cette situation explique en partie la croissance économique très rapide d’un certain nombre de pays d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique du Nord au cours des dernières années, ceux-ci ayant saisi cette opportunité démographique pour se développer économiquement.

Le vieillissement démographique de ces pays n’est-il pas donc une menace à terme ?

Cette situation démographique favorable économiquement ne va effectivement pas durer. Le moment viendra où ces actifs très nombreux arriveront à la retraite, augmentant considérablement le poids de la population âgée. Certains pays concernés, où la fécondité a baissé nettement en dessous du seuil de remplacement des générations (2,1 enfants par femme), commencent d’ailleurs à réaliser l’ampleur des difficultés à venir et cherchent à relancer leur natalité. 

Le défi est d’autant plus grand pour les pays du Sud que le vieillissement démographique va s’y effectuer beaucoup plus rapidement qu’au Nord. En Chine, par exemple, la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus devrait mettre 25 ans pour passer de 7 % à 14 % alors que le même doublement a pris plus de cent ans en France. La transition démographique à l’origine du vieillissement y a en effet été beaucoup plus rapide. Il a fallu seulement 40 ans en Chine pour que la mortalité infantile passe de 200 pour mille à 30 pour mille (de 1950 à 1990), alors que la même diminution a pris plus de 150 ans en France (de 1800 à 1958). Il a fallu seulement 12 ans en Chine pour que la fécondité baisse de moitié, passant de 5 à 2,5 enfants par femme (de 1972 à 1984), alors que la même évolution a pris un siècle et demi en France (de 1760 à 1910). Le même phénomène de vieillissement rapide est en germe dans l’ensemble des pays du Sud pour les mêmes raisons, certains devant le connaître encore plus rapidement que la Chine : l’Iran, où la proportion des 65 ans ou plus devrait passer de 7 % à 14 % en 20 ans, le Vietnam et la Syrie, où elle devrait le faire en 17 ans.

La solidarité familiale s’érode dans ces pays sans qu’une solidarité collective sous forme de systèmes de retraite ne soit là pour prendre le relais. Elle reste à inventer si l’on veut éviter que les adultes d’aujourd’hui, qui sont appelés à vivre plus longtemps que leurs aînés, ne finissent leur vie dans la misère quand ils seront âgés. La question d’une solidarité entre les générations à l’échelle internationale devra sans doute être posée à terme.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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