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Musulmans radicaux : il ne faut pas généraliser l'endoctrinement en prison, l'essentiel se passe à l'extérieur
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Nid à radicalisation ?

Samedi, Christiane Taubira déterrait un sondage selon lequel 77% des personnes interrogées considèrent que la prison ne permet pas de lutter contre la récidive. L'enfermement vient au centre du débat, alors que Jeremy Louis-Sidney, l'auteur de l'attaque à la grenade d'un supermarché casher de Sarcelles en septembre, semble s'être converti à l'islam radical suite à son séjour en prison.

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar est directeur d'études à l'EHESS et chercheur au Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (Cadis, EHESS-CNRS). Il a publié de nombreux ouvrages dont La Radicalisation (Maison des sciences de l'homme, 2014), Avoir vingt ans au pays des ayatollahs, avec Amir Nikpey (Robert Laffont, 2009), Quand Al-Qaïda parle : témoignages derrière les barreaux (Grasset, 2006), et L'Islam dans les prisons (Balland, 2004).

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Jeremy Louis-Sidney, l'auteur de l'attaque à la grenade d'un supermarché casher de Sarcelles en septembre, semble s'être converti à l'islam radical suite à son séjour en prison. Parallèlement, Christiane Taubira a rendu public samedi un sondage selon lequel 77% des personnes interrogées considèrent que la prison ne permet pas de lutter contre la récidive.

Atlantico : Les réseaux extrémistes semblent profiter de la détresse de certains détenus. Comment se déroule l'endoctrinement en prison ? Quel est le profil de l'"endoctriné" : son âge, sa condition sociale, sa fragilité psychologique éventuelle? Viennent-ils du grand banditisme ou s'agit-il de délinquants de droit commun ? Sont-ils en général déjà croyants et/ou pratiquants au préalable ? Ou au contraire s'agit-il de personnes récemment converties ?

Farhad Khosrokhavar : Il n'y a pas d'endoctrinement systématique en prison : s'il a lieu, le détenu est envoyé dans une autre prison ou d'autres mesures restrictives sont prises. Le problème est moins l'endoctrinement que les micro-relations entre les détenus qui nouent des contacts "invisibles", souvent en nombre très réduit, les uns avec les autres.

Il y a une forme de complicité liée à un profil psychologique souvent fragile en prison, entre un détenu "manipulateur" et un détenu "manipulé" : les enjeux intellectuels sont souvent très secondaires. La fragilité psychologique devient dès lors essentielle et la prison est devenu le plus grand hôpital psychiatrique de France ! Presque un tiers des détenus a des problèmes de cette nature !

Quel est le profil de l'endoctrineur ? Appartient-il a un réseau ?

L'endoctrineur est souvent un détenu "charismatique", la trentaine révolue, face à des détenus fragiles qui ont probablement une dizaine
d'années de moins.

Pourquoi la prison est-elle un foyer privilégié de recrutement ?

La prison n'est pas un foyer privilégié de recrutement, il est le lieu de surpeuplement, de manque de moyens et d'absence de perspectives ainsi que du contact facile entre déviants : très peu de cas de radicalisation effective peuvent y être relevés, contrairement aux assertions péremptoires de certains : mais dès qu'un cas se produit, au lieu de voir une exception (ce que ces cas sont), on les généralise à l'ensemble de l'institution. Comme si un cas d'échec scolaire signifiait que toute l'école avait échoué !

Difficile de mener une conversion religieuse "traditionnelle" au sein de la prison. Comment se déroulent les conversions en prison ?

Les conversions en prison relèvent des individus et souvent elles se produisent de manière très banale. Tous les convertis ne sont pas des radicaux, loin de là. Parmi eux, quelques uns se radicalisent, mais selon des procédures qui sont nouvelles : pas d'ostentation, pas de prosélytisme visible, bref, en catimini. Les prisons n'ont pas les moyens matériels de les contrôler, quand cela échappe au modèle général de la radicalisation basé sur le caractère ostentatoire de l'allégeance. Il y a par ailleurs fort peu de moyens de surveillance : contrairement aux promesses d'un ex-ministre, il n'y a pas un officier de surveillance anti-terroriste sur 600 détenus, mais pour plus de 2000 et plus, dans les cas que je connais.

Les "endoctrinés" espèrent-ils trouver des débouchés sociaux-professionnels qui leur manquent ? Perçoivent-ils cet endoctrinement comme une ascension sociale ?

Il y a une dimension instrumentale des musulmans convertis, qui bénéficient de protection dans un milieu souvent difficile, mais encore une fois, la position qui consiste à généraliser l'endoctrinement oublie que l'essentiel se passe hors de prison, pas en prison : le portrait des "robots" totalement endoctrinés qui sortiraient de prison et deviendraient des machines à tuer procède du mythe de la société moderne qui entend chercher un "coupable" ou une réponse simple à des questions complexes.

Une fois endoctriné et éventuellement converti, qu'advient-il du converti ? Est-il systématiquement intégré dans un réseau ou il est-il ensuite livré à lui-même ?

Souvent le converti extrémiste agit seul, il est soutenu par un groupe mais l'action finale du converti radicalisé relève de lui seul, les autres se contentant de lui apporter une assistance directe ou indirecte.

Propos recueillis par Julie Mangematin

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