Génération Viagra : 20 ou 30 ans et déjà addicts à la petite pilule bleue<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
De plus en plus de jeunes hommes consomment du viagra alors qu'ils n'ont pas vraiment de problèmes d'érection.
De plus en plus de jeunes hommes consomment du viagra alors qu'ils n'ont pas vraiment de problèmes d'érection.
©Reuters

Dur, dur...

Selon une étude, 8% des jeunes Américains consommeraient la petite pilule bleue qui lutte contre les problèmes d'érection.

Dan Véléa

Dan Véléa

Le Docteur Dan Véléa est psychiatre addictologue à Paris.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les addictions, dont Toxicomanie et conduites addictives (Heures-de-France). Avec Michel Hautefeuille, il a co-écrit Les addictions à Internet (Payot) et Les drogues de synthèse (PUF, Que sais-je ?, Paris, 2002).

Voir la bio »

Le Viagra, c'est pour les vieux ! C'est en tout cas ce que s'imaginent la plupart des gens. La petite pilule bleue est en effet un médicament indiqué pour soigner les troubles de l'érection, des troubles que connaissent généralement les hommes lorsqu'ils vieillissent. Et pourtant, de plus en plus de jeunes consomment du Viagra. Une étude américaine menée sur plus de 1 200 jeunes sexuellement actifs révèle qu'ils sont 8% à consommer le médicament.

Pas qu'ils en aient vraiment besoin, puisque 6% d'entre eux prennent cette pilule de leur propre chef, alors qu'ils ne sont que 2% à la prendre sur prescription médicale... Comment peut-on alors expliquer que de jeunes adultes, dans la force de l'âge et n'ayant pas de problèmes érectiles, consomment la pilule magique mise sur le marché dès 1998 aux Etats-Unis et en 1999 en Europe ?

Christopher Harte et Cindy Meston, deux psychologues de l'Université du Texas, ont tenté de trouver des réponses. Dans leur étude publiée dans la revue en ligne Journal of Sexual Medicine, les chercheurs expliquent que la prise du médicament par ces jeunes âgés en moyenne de 22 ans n'a rien à voir avec la taille de leur sexe ou encore leur désir sexuel : elle est liée à un problème de confiance. Selon les universitaires, ces jeunes ont une confiance "étrangement basse" en leur érection.

Beaucoup expliquent ce problème par la circulation toujours plus importante des films pornographiques qui montrent des hommes capables de garder une érection pendant une durée conséquente. Les deux chercheurs américains expliquent d'ailleurs que les jeunes développent des attentes "les conduisant à expérimenter comme érection 'idéale' une érection qui est sensiblement plus ferme et plus prolongée grâce au médicament" ce qui "peut générer des idées et des attentes déraisonnables vis-à-vis des performances érectiles, ce qui peut conduite à déformer la perception des érections sans médicaments comme sous-optimales".

Mis sous pression par les films X, les jeunes hommes doivent aussi faire face à une nouvelle génération de femmes. L'homme n'est plus le seul détenteur du plaisir sexuel. Les femmes, influencées par des personnages forts et modernes comme ceux de la série Sex And The City, revendiquent désormais une vie sexuelle aussi libre et épanouie que celle des hommes. Certains hommes ressentent alors une plus grande pression lorsqu'ils ont des relations sexuelles avec leurs partenaires, l'acte peut même devenir "mécanique". C'est là que le Viagra intervient.

Problème : ce médicament peut entraîner une dépendance. Surtout, il a certains effets secondaires trop souvent oubliés. Il peut en effet entraîner des diarrhées, des troubles de la vue, des troubles respiratoires, et plus grave des problèmes cardiovasculaires comme des infarctus du myocarde.

Atlantico : Aux Etats-Unis, de plus en plus de jeunes entre 20 et 30 ans sont accros au Viagra, un médicament normalement destiné aux hommes qui souffrent d'impuissance. Quelle est l’ampleur de ce phénomène en France ?

Docteur Dan Véléa : L’ampleur de ce phénomène est assez difficile à chiffrer car c’est un médicament non remboursé par la Sécurité sociale. Les prescriptions restent donc entre le médecin et le patient. On constate toutefois une réelle augmentation.

J’ai commencé à exercer la médecine en tant que libéral à l’époque où le Viagra a été mis en vente sur le marché [NDLR : 1999] J’ai tout de suite été face à une population de 30 ou 40 ans qui demandait du Viagra, parce que cela améliore les performances sexuelles. Cela s'explique par plusieurs facteurs.

Premièrement, nous vivons dans une société de performance. La non performance est perçue comme quelque chose de négatif. Certains hommes se disent : "si je sois être performant au travail, il faut aussi que je le sois sur le plan sexuel". Pour être plus performant au travail, certaines personnes consomment des cocktails à base d'antidépresseurs et parfois même de la cocaïne. Pour ce qui est du sexe, les hommes consomment du Viagra.

Deuxièmement, je dirais que la libération sexuelle a conduit les gens à avoir une sexualité complètement débridée. Cela va des clubs échangistes aux sites pornographiques.

En consommant du Viagra très jeunes, les hommes ne cherchent-ils pas avant tout à se rassurer ?

Absolument. Pour certains, prendre du Viagra est une manière de se rassurer. Beaucoup d’hommes se sentent opprimés par la demande des femmes. Elles ont dépassé le stade d’objets de plaisir et souhaitent aujourd'hui ressentir le même type de plaisir que les hommes. Ce qui est mal vécu par beaucoup d’entre eux.

Aujourd'hui, je fais 5 ou 6 ordonnances de viagra. par semaine. Il y a 5 ans, je n’en faisais presque aucune. De plus, parmi les patients qui me demandent du Viagra, aucun ne dépasse la cinquantaine. Le plus âgé a environ 45 ans.

Quand on leur pose la question : "Est-ce que vous avez eu des pannes sexuelles ? Est-ce qu’on vous a fait une remarque ?", la réponse est "non, absolument pas" ! La plupart n’ont pas de problème d’érection, ils anticipent un éventuel dysfonctionnement.

En quoi est-ce révélateur des pratiques sexuelles d’aujourd’hui ?

Le stress, qui est une composante majeure de notre société, empiète aujourd'hui sur la vie sexuelle. A côté des patients qui souffrent de pannes sexuelles et d’impuissance, ou trouve aussi des personnes qui sont dans une obligation de résultat.

Autre composante : à travers les images pornographiques et les films X, les hommes sont confrontés à des performances sexuelles extraordinaires. La sexualité est réduite à quelque chose de mécanique. L’excitation, le fait de ressentir vraiment quelque chose pour la personne, sont des facteurs moins importants. Il faut y arriver, point final. Mais souvent, si les hommes "n’y arrivent pas", c’est parce qu’ils sont stressés, fatigués, ou qu’ils ont d’autres types de soucis.

Le Viagra est, en principe, vendu uniquement sur ordonnance. Mais l’étude américaine estime que parmi les 8% de jeunes consommateurs de Viagra, seuls 2% prennent la pilule bleue sur prescription médicale. Quels risques cela implique-t-il ?

Cette donnée est très inquiétante. Les sites qui proposent du Viagra en France sont souvent basés en Ukraine ou dans les pays de l’Est. On ne connaît absolument pas la composition des cachets qui sont vendus. Le Viagra, c'est connu, est une pilule de couleur bleu. C’est très bien intégré dans la tête des consommateurs. Résultat : certains hommes achètent des cachets qui ont la même apparence, mais qui peuvent contenir n’importe quoi !

La consommation de Viagra peut-elle être dangereuse pour la santé ?

Oui. Le Viagra doit être prescrit avec parcimonie chez les personnes qui ont des problèmes cardio-vasculaires, car c’est un hyper tenseur qui peut augmenter la pression artérielle. Le Viagra peut aussi entraîner des complications au niveau pulmonaire : il s’agit du même type de complications qu’avec le Mediator.

D'autres dangers existent sur le plan psychologique car c’est une substance psycho-active de type excitant. Si l’excitation est trop forte, cela peut entraîner des perturbations très graves.

Par ailleurs, tous les hommes qui consomment du Viagra n'ont qu'une seule hantise : que leur partenaire s'en rende compte. L'obligation de résultat dont je parlais tout à l'heure implique aussi une honte qui oblige à cacher la prise de subsistance.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !