Traité budgétaire européen : étrangleur ou sauveur de croissance ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Examiné ce mercredi en Conseil des ministres, le traité budgétaire européen sera soumis début octobre au Parlement.
Examiné ce mercredi en Conseil des ministres, le traité budgétaire européen sera soumis début octobre au Parlement.
©Reuters

Le grand débat

Le traité budgétaire européen est présenté ce mercredi en Conseil des ministres avant d'entrer en discussions à l'Assemblée nationale le 2 octobre. Alors que l'OCDE prévoit une croissance de seulement 0,1% pour 2012 et que la zone euro devrait connaître une nouvelle récession, ce traité risque-t-il de pénaliser la sortie de crise ?

Christian Saint-Etienne Paul Jorion  et Jean Peyrelevade

Christian Saint-Etienne Paul Jorion et Jean Peyrelevade


Christian Saint-Etienne est professeur titulaire de la Chaire d'économie industrielle au Conservatoire National des Arts et Métiers.

Il a également été membre du Conseil d'Analyse économique de 2004 à juin 2012.

 


Paul Jorion est Docteur en Sciences sociales et enseignant. Il a aussi été trader et spécialiste de la formation des prix dans le milieu bancaire américain.

 


Jean Peyrelevade est ancien conseiller économique du Premier ministre Pierre Mauroy, il fut également directeur adjoint de son cabinet.
Économiste et administrateur de plusieurs sociétés françaises et européennes de premier plan, il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’évolution du capitalisme contemporain.

 

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Atlantico : Le traité budgétaire européen est présenté ce mercredi au Conseil des ministres. Doté d'une "règle d'or" interdisant les déficits structurels à 0,5% du PIB pour les Etats, va-t-il pénaliser la croissance et la sortie de crise en favorisant les hausses d'impôts et les coupes drastiques dans les dépenses afin d'atteindre l'équilibre budgétaire ?

Christian Saint-Etienne : L'équilibre budgétaire inscrit dans le traité est un objectif de moyen terme. Les Etats ne sont donc pas contraints de l'atteindre immédiatement. De même, les sentiers d'évolution contractualisés avec la Commission européenne ne prévoient pas un retour à l'équilibre dans les mois qui viennent. Ainsi, la France a jusqu'à la fin du quinquennat de François Hollande pour revenir à l'équilibre. Le traité ne pèsera donc pas sur la croissance de manière immédiate. Cependant, deux risques subsistent.

Tout d'abord, la mise en place de la règle d'or nécessite, comme Herman Van Rompuy l'a préconisé il y a quelques jours encore, la mise en place d'un budget central et spécifique à la zone euro pour gérer les "chocs asymétriques" et les "risques de contagion". Enfin, plusieurs Etats du Sud essaient de réduire leurs déficits. Par conséquent, la règle d'or, si elle fixe un cadre de moyen terme, ne doit pas conduire la politique de court terme pour ne pas pénaliser ces pays.

Paul Jorion : Ce traité est pro-cyclique. Autrement dit, il aggrave la situation en période de difficultés comme c'est le cas actuellement en zone euro. Les taux d'intérêt exigés pour les pays lorsqu'ils émettent de la dette reflètent non seulement les perspectives de croissance économique mais également les primes de risque, c'est à dire la probabilité à ce qu'un pays quitte la zone euro. Par conséquent, un Etat doit comparer ses dépenses à ses recettes et non à son PIB comme le stipule le traité budgétaire.

Ce dernier va donc pénaliser la croissance en créant un problème insoluble sans nécessités.

Jean Peyrelevade : Nous ne sortirons pas de cette crise par la seule voie des réductions budgétaires. Incontestablement, il faut réaliser un effort de relance de la croissance au niveau européen. Mais il ne faut surtout pas renoncer à la discipline budgétaire pour autant parce qu'elle est une condition sine qua non de la solidarité entre les différents Etats membres de la zone euro.

En se fondant sur la notion de "déficit structurel", le traité budgétaire autorise le creusement des déficits s'ils sont liés à la dégradation de la conjoncture économique. Le déficit total d'un pays peut donc être supérieur à 0,5% du PIB ce qui laisse une marge de manoeuvre.

Le traité budgétaire empêche-t-il l'adoption de plans de relance en période de crise ? Faut-il adopter, en marge du traité, un plan de relance supplémentaire au pacte de 120 milliards d'euros sur trois ans négocié par François Hollande afin de soutenir l'activité ?

Christian Saint-Etienne : Le Pacte de croissance était déjà en gestation avant même l'arrivée de François Hollande. Il a juste été un "cadeau marketing" qui lui a permis de justifier son revirement de position sur la règle d'or. Les 120 milliards qui le compose sont essentiellement des mesures qui auront des effets à trois, quatre ou cinq ans, ce qui ne créera pas un impact sensible sur l'activité.

Il faut instaurer un budget pour la zone euro afin de se lancer dans une véritable politique de relance utile et efficace. Il faudrait au moins 500 milliards d'euros d'investissements pour faire de la zone euro une zone économique intégrée d'autant plus que nous avons des besoins d’infrastructures communes avec nos partenaires européens. Des synergies sont donc possibles.

Paul Jorion : La règle d'or empêche l'adoption de plans de relance comme nous le faisons habituellement. C'est pourtant la meilleure des solutions : lorsqu'un pays est en difficulté économique, il faut qu'il puisse emprunter davantage pour relancer l'activité et la croissance en stimulant la demande. Ce traité rend donc la situation encore plus difficile qu'elle ne l'est déjà.

Le Pacte de croissance de François Hollande est quant à lui purement symbolique. Il lui a juste permis d'approuver le plan tel qu'il avait été initialement négocié par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Il est clairement insuffisant.

Jean Peyrelevade : Le traité budgétaire n'interdit pas l'adoption de plans de relance. Il empêche simplement de les financer par du déficit.

A l'heure actuelle, l'effort consenti en faveur de la relance est bien trop faible en Europe. Le Pacte de croissance souhaité par François Hollande est relativement dérisoire par rapport aux besoins. Plus largement, l'Allemagne doit stimuler sa demande intérieure là où l'Europe doit se doter d'un fonds alimenté par des prélèvements sur l'ensemble des pays européens pour financer l'investissement et la recherche et développement. Enfin, la zone euro doit modifier sa politique monétaire pour que le taux de change de la monnaie unique soit plus accommodant.

La règle d'or impose aux Etats de respecter un déficit structurel de 0,5% du PIB. Avec une croissance économique en berne, cet objectif est-il réalisable  ?

Christian Saint-Etienne : Ces objectifs sont réalisables si nous nous en donnons le temps. La priorité absolue pour la zone euro est celle de la relance de la croissance économique. Dans un premier temps, cela implique également aux Etats de mieux dépenser. Les dépenses publiques représentent par exemples 56% du PIB en France, soit 1 100 milliards d'euros.

Sur les seuls budgets des collectivités locales, il serait possible d'économiser 10 milliards d'euros sans avoir à relever les impôts et les effets négatifs que cela représente. Il en est de même avec le système de santé. Au lieu d'opter pour 20 milliards d'euros de hausses d'impôts, il aurait été plus efficace de réaliser des économies significatives sur ces deux postes sans que cela ne sanctionne la reprise. Il faut couper dans les dépenses de fonctionnement pour redéployer les économies réalisées dans des investissements utiles.

Paul Jorion : Il y a un problème dans la formule mathématique même de la "règle d'or" : les déficits sont évalués par rapports aux PIB alors qu'il faudrait se baser sur les recettes fiscales des Etats. Cela n'a aucun sens car le produit intérieur brut n'est pas une bonne approximation des recettes réelles d'un pays.

Les marchés exigent des taux particulièrement élevés aux pays du Sud de l'Europe lorsqu'ils émettent des titres de dettes. La règle d'or se fonde sur un calcul qui implique pour ces derniers de générer une croissance supérieure aux taux exigés, une chose impossible dans le contexte actuel.

Jean Peyrelevade : Le texte parle de déficit structurel c'est à dire celui qui est atteint si la croissance est égale à la croissance potentielle, soit à peu près 1,5% pour la France. Si la croissance est inférieure, le traité autorise alors un déficit supplémentaire. La règle d'or n'est donc pas aussi contraignante que ce qu'on nous la présente.

Le Pacte de stabilité et de croissance adopté en 1997 a échoué à faire converger les économies européennes. En renforçant les capacités de sanction envers les Etats qui ne respectent pas leurs objectifs budgétaires, le traité peut-il réussir cet objectif ?

Christian Saint-Etienne : Les mécanismes de sanction présents dans le texte peuvent effectivement faciliter une plus grandes convergence, mais il faut alors adopter un budget commun, de 2% à 3% du PIB de la zone euro, pour réaliser des investissements.

Les Etats restent cependant souverains. Ces sanctions devront donc être sollicitées avec beaucoup de précaution et de modération pour ne pas porter un coup à la construction européenne sur le plan politique.

Paul Jorion : Ce traité budgétaire a au moins une vertu : il contient des objectifs d’harmonisation et de convergence fiscale. Mais ils n’apparaissent qu'en troisième place dans l'ordre des priorités alors qu'ils devraient y figurer en première position. Il n'y a pas d'alternatives.

Jean Peyrelevade : Le traité budgétaire ne suffira pas à faire converger les économies européennes à lui seul car, au delà d'une convergence budgétaire, il faut une convergence de compétitivité entre les différents Etats membres de même que les évolutions du couple compétitivité-salaire doivent être similaires au sein de la zone sans quoi les déséquilibres extérieurs se poursuivront.

Le traité budgétaire assure une convergence budgétaire de manière progressive, mais pas un équilibre futur des balances de paiements.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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