Arnaud Montebourg va-t-il réussir son hold-up sur les 50 millions d'euros promis par le Qatar pour financer des projets d'entreprises en banlieue ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les politiques français redoutent-ils l'influence du Qatar sur nos banlieues ?
Les politiques français redoutent-ils l'influence du Qatar sur nos banlieues ?
©Flickr / chmop

Tour de passe-passe

Fin 2011, l'ambassadeur du Qatar à Paris annonçait la création d'un fonds de 50 millions d'euros destiné à favoriser l'entrepreneuriat en banlieue. Un projet finalement abandonné au profit des PME, et dont les fonds pourraient bénéficier à la Banque publique d'investissement. Le tout piloté par Arnaud Montebourg.

Leila  Leghmara

Leila Leghmara

Leila Leghmara est professeur de formation et fut maire adjointe de Colombes de 2001 à 2008. 

Elle a été conseillère régionale Île-de-France de 2004 à 2010.

Elle est actuellement conseillère municipale d'opposition Nouveau Centre et vice-présidente de l'Aneld (Association Nationale des Elus Locaux pour la Diversité.

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Atlantico : Le 20 décembre 2011, l'ambassadeur du Qatar à Paris annonçait la création d'un fonds de 50 millions d'euros destiné aux entrepreneurs de la banlieue. Ce projet serait aujourd'hui complètement abandonné au profit d'un fonds destiné à soutenir les PME et géré directement par le ministre du Redressement productif. Madame Leghmara, vous êtes la vice-présidente de l'Association nationale des élus locaux pour la diversité (Aneld) qui avait engagé auprès du Qatar la mise en route de ce projet. Comment expliquez-vous ce revirement de situation et la main mise d'Arnaud Montebourg sur un dossier qui a priori ne concerne pas son ministère ?

Leila Leghmara : Le Qatar est assez sensible à la question des banlieues puisqu'ils ont créé un prix de la diversité pour promouvoir les associations en faveur de la banlieue. Nous nous sommes donc dit que les Qataris pourraient être intéressés par notre projet d'aide à l'entrepreneuriat en banlieue. Nous avons alors engagé la démarche directement auprès de l’Emir, qui s'est montré très sensible à cette question.

A notre retour à Paris, l'ambassadeur du Qatar nous a convié à un diner au cours duquel il nous a annoncé la création d'un fonds d'investissement de 50 millions d’euros en faveur de l'entrepreneuriat en banlieue. Nous avons rencontré à nouveau l'ambassadeur à plusieurs reprises pour déterminer les modalités de la mise en place de ce fonds. En pleine campagne présidentielle, les choses sont devenues éminemment politiques... Je fais à la fois référence aux déclarations de Marine Le Pen et de la gauche, qui n'hésitaient pas à souligner que "la banlieue n’était pas à vendre".

Il est difficile de comprendre que ce fonds puisse être repris par un gouvernement, quel qu'il soit. Par ailleurs, la gauche ne semblait pas intéressée par ce projet. Le candidat Hollande, qui s'était rendu à deux reprises dans les banlieues en 48h durant la campagne présidentielle, soutenait pourtant qu'il fallait s'occuper de notre jeunesse et que l'avenir de la France passait par les banlieues. Alors comment expliquer que soudainement l'argent qatari puisse être attribué aux PME, c'est un mystère...

Reste que même si les PME ont besoin d’aide, on ne veut pas de ce "hold-up en col blanc" qui détourne l’argent destiné aux banlieues. Depuis, c'est le statut quo. 

Qu'est-il advenu des fonds mobilisés par les Qataris ?

Nous ne savons pas si les Qataris ont gelé les fonds. D'après nos informations, ces 50 millions d'euros seraient noyés dans la Banque publique d’investissement.

Nous n'avons pas pu rétablir le contact avec l'ambassadeur... Nous pensons que ce dernier ne souhaite pas nous rencontrer, sachant que l'argent mobilisé ne profitera pas aux banlieues. Il soupçonne vraisemblablement une manipulation politique, ce qui est inacceptable.

Combien de projets ont été gelés depuis ?

Nous avons des centaines de projets en attente. Ce fonds avait suscité beaucoup d'espoir chez de nombreux jeunes qui ne demandent pas mieux que d'entreprendre. Nous ne sommes plus en mesure de donner la moindre information à nos porteurs de projets. On imagine la déception de ces derniers... Enjoués dans un premier temps parce qu'on leur demandait un business plan, puis déçus dans un second temps car l'argent promis devrait finalement être récupéré par l'Etat.

Dans certains quartiers, on enregistre jusqu'à 40% de chômage. Les 50 millions d'euros prévus étaient censés marquer le début d'une grande aventure. Bref, un vent d'espoir pour la jeunesse de ces quartiers. Finalement, le Président et son gouvernement se contentent de leur apporter une fausse réponse : celle des "emplois d'avenir". Or, ce n’est pas ce qu'attendent les jeunes des quartiers. Ils veulent entreprendre ! On sait sur quoi ont débouché les emplois aidés sous Lionel Jospin...

Par ce "hold-up", estimez-vous que les socialistes envoient un message en contradiction forte avec le discours empathique tenu à l'égard des banlieues durant la présidentielle ?

La gauche est toujours très empathique. Elle a l'habitude des discours incantatoires à l'attention des habitants des "quartiers". Nous dénonçons en réalité son immobilisme une fois qu'elle accède au pouvoir.

Aujourd'hui, le plus important est de miser sur cette jeunesse, de lui donner un élan qui lui permette de s'émanciper. Il faut qu’elle cesse de dépendre de l'Etat et des collectivités.

L'académie des banlieues qui ne voulait pas entendre parler de ce projet avait déclaré que "la banlieue n’est ni à vendre, ni un territoire que l'on peut acheter comme un club sportif". François Hollande quant à lui s'étonnait que "les Qataris et les Américains aient découvert qu'il y avait des talents considérables dans nos quartiers, et pas nous". Est-ce à dire que les politiques français redoutent avant tout l'influence du Qatar ?

C’est surtout un aveu d'échec. La politique de la ville en est un, à gauche comme à droite.

Ce qui nous surprend, c'est que lorsque le Qatar investit dans les entreprises du CAC 40, cela ne pose aucun problème. Pourquoi cela poserait-il un problème quand on parle d'investissement en banlieue ? A croire qu'on voudrait que la banlieue reste la banlieue !

En refusant ce projet, le gouvernement produit-il l'effet inverse à celui recherché et attise-t-il finalement le fondamentalisme ?

Au moment où nous avons lancé ce fonds, l'opposition (c'est-à-dire l'actuelle majorité) s'y était opposée par pure idéologie partisane, pensant que nous n'étions que des élus de droite. Or notre association rassemble des élus de toutes les sensibilités politiques, du Front de gauche à l'UMP.

Que ce fonds inquiète aujourd'hui, notamment au regard de l'actualité récente, est un non sens. Ce qui fait monter le fondamentalisme, c'est la précarité, la pauvreté, le chômage... Les jeunes qui travaillent ont bien d'autres préoccupations que la religion. L'antidote au fondamentalisme, c'est de pouvoir aider ces jeunes, notamment grâce à de tels fonds d'investissement.

Dans ces conditions, doit-on s'étonner de ce rejet de l'influence du Qatar, alors même que la French American Fondation (FAF) est réputée pour sa sélection et formation des "young leaders" français ? Dont anciennement François Hollande, Arnaud Montebourg ou même Pierre Moscovici...

C'est même plus qu'étonnant !

On associe très souvent le Qatar au fondamentalisme, c’est un raccourci extrêmement dangereux. C’est une stigmatisation supplémentaire. Les Suédois vont lancer prochainement une académie pour les jeunes des quartiers populaires dans le 93. Cela voudrait dire qu'il existe des influences acceptables et d'autres pas...

Peut-on toutefois s'étonner de la compatibilité entre les banlieues et les investissements du Qatar, voire questionner pareil projet, sachant que les Qataris privilégient habituellement des investissements supposés rentables ?

Les Qataris ne font pas du mécénat ou de la philanthropie, ce sont des investisseurs. Ils auraient naturellement pris des parts dans les projets les plus intéressants. Ils savent pertinemment que parmi ces projets, il y aura des entreprises rentables. Peut-être même de futurs Bill Gates ou Steve Jobs...

De plus, l’Emir nous avait assuré que le fonds n'investirait que dans des projets qui paraissaient viables et sérieux. Cela nous avait été confirmé par l'ambassade, devant des journalistes. Il n'était donc pas question de distribuer des bourses d'étude. Il s’agissait d'un fonds d’investissement sérieux avec des financiers qui auraient examiné avec bienveillance les dossiers. Ceux qui laissent entendre que cela revenait à distribuer de l'argent à mauvais escient se trompent lourdement.

Propos recueillis par Franck Michel

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