Viols de pensionnaires en maison de retraite : le tabou de la gérontophilie nous empêche-t-il de prendre conscience de l'ampleur du phénomène ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Après le viol d'une pensionnaire d'une maison de retraite du Haut-Rhin par un aide-soignant, beaucoup d'interrogations se lèvent sur cet acte.
Après le viol d'une pensionnaire d'une maison de retraite du Haut-Rhin par un aide-soignant, beaucoup d'interrogations se lèvent sur cet acte.
©Reuters

Troisième sexe

Un aide-soignant d'une maison de retraite du Haut-Rhin a été mis en examen pour le viol d'une pensionnaire nonagénaire de l'établissement. Alors que les faits divers de ce type se multiplient, la gérontophilie reste un tabou en France.

Jean-Roger Dintrans

Jean-Roger Dintrans

Jean-Roger Dintrans est psychiatre, chargé de cours à Paris V et à Paris VII.

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Atlantico : Alors qu'un aide-soignant d'une maison de retraite du Haut-Rhin a été mis en examen pour le viol d'une pensionnaire nonagénaire de l'établissement, beaucoup s'interrogent sur les raisons de son acte. La gérontophilie est-elle l'un des derniers tabous de notre société?

Jean-Roger Dintrans: On en parle peu car en premier lieu, ce n'est pas très répandu et puis, effectivement, la société la condamne. C'est presque interdit d'aimer faire l'amour avec des gens plus vieux. Cette gérontophilie dérange car l'érotisme dans nos sociétés est lié à la beauté physique, à une perfection plastique, loin, très loin de la peau "fripée" des personnes âgées. Il y a un antagonisme très fort entre vieillesse et érotisme. La mort se profile derrière les personnes âgées, elles réveillent de réelles angoisses de mort. Leur faire l'amour apparaît donc presque surnaturel. La proximité d'une fin de vie met mal à l'aise. Comment associer dans la tête des gens le sexe et la mort ? C'est impossible, ça ne peut exister. A cela s'ajoute l'image de parents que véhicule les anciens. On sait à quel point la sexualité parentale dérange la génération d'en dessous. Il y a une vraie condamnation morale. Le tabou donc est clairement double.

Des viols ont été perpétrés sur des personnes âgées. Cette gérontophilie agressive a t-elle lieu essentiellement dans des hôpitaux ou des maisons de retraites ?

Il faut arrêter avec ces idées préconçues. Les maisons de retraites ont des défauts, mais ce ne sont pas non plus des maisons closes. Cette gérontophilie sous forme d'agression existe mais reste un épiphénomène. Le problème des maisons de retraites, c'est surtout la façon dont elles brident la sexualité. La plupart des relations sexuelles avec des personnes âgées ont lieu en dehors de ces institutions. A l'époque, on disait "allez au Fouquet's voir la femme âgée attendre le minot".  Il y a trente ans, on parlait de gérontophilie là où aujourd'hui, on parle de cougars. Comme quoi, le curseur a bien évolué et c'est pareil aujourd'hui. Il y a beaucoup de femmes et d'homme de 70, 80 ans qui aiment les personnes plus jeunes et inversement. Ce sont la plupart du temps des relations consenties.

Comment expliquer ces goûts pour les gens plus âgés?

Il y a clairement une image paternelle ou maternelle. Cela concerne surtout les personnes aimant faire l'amour avec des gens de cinquante ans environ. Quand les signes physiques accusent l'âge, on peut toujours parler de ce côté œdipien mais on parle parfois d'un défi à la mort. On peut y voir un déni de la mortalité, une façon de réparer en donnant du plaisir aux gens qui en sont démunis. Certains se délectent aussi de flirter avec la mort, mais là on vire un peu dans le glauque. Quoiqu'il en soit, je ne pense qu'on soit dans l'excitation érotique au sens propre, c'est plus subtil voire de l'ordre de l'expérience.

Pourquoi la société parle le plus souvent de perversion ?

Par méconnaissance du mot perversion. Déjà, il faut savoir qu'un fantasme n'en est pas une. On peut donc être sado-maso, aimer les bas en résille ou se masturber dans une chaussette et ne pas être pervers. Faire l'amour de façon bizarre et inhabituelle n'est pas synonyme de déviance.  La nuance est de taille. Une perversion sexuelle résulte en ne pouvoir faire l'amour que d'une seule façon. C'est quand le plaisir ne s’atteint que d'une façon unique. Effectivement, si le sujet n'est excité que par l'acte sexuel avec des personnes âgées, ça devient problématique. On parle de trouble de la sexualité, mais le plus souvent même de la personnalité.

Comment se soigne ce genre de pathologie?

En général, c'est la dépression qui se cache derrière des addictions sexuelles. On ne parle pas de perversion mais plutôt de paraphilie, à savoir de sexualité autre qui peut être jugée anormale suivant sa fréquence. Dans ces cas là , on est souvent face à des personnes en proie à des difficultés psychologiques. Les personnes ont souvent du mal à donner sa place à l'autre et la prise en charge se situe d'abord au niveau moral, puis ensuite sexuel, avec une réorientation de la sexualité.

Comment aider les personnes âgées ayant subi des actes sexuels non-consentis, victimes justement des addicts de la gérontophilie?

On les aide comme toute personne ayant subi une agression sexuelle, avec peut-être la difficulté supplémentaire que sexe et personne âgée sont antinomiques dans la tête de la société et ce, même en cas de délit. Pour autant, il ne faut pas généraliser ce genre de faits-divers car ils restent rares. Le vrai problème, c'est l'interdiction de la sexualité dans les maisons de retraites. Les personnes âgées subissent de plein fouet ce tabou. Le personnel soignant est très perturbé par l'idée, donc préfère l'interdire. Du coup, elles sont dépossédées de leur intimité, de leur sexualité. La plupart du temps, on les empêche de se rejoindre. La masturbation - qui est la pratique la plus courantes dans ces institutions- n'est pas tolérée. Quand on les surprend, on leur dit qu'ils sont sales. Ils sont souvent humiliés et rudoyés par la faute de ce tabou.

Propos recueillis par Valérie Meret

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