750 suicides supplémentaires en 4 ans : la médecine du travail doit-elle aussi s'occuper des chômeurs ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La crise, notamment du fait de l'augmentation du chômage, augmente-t-elle les risques de suicide en France ?
La crise, notamment du fait de l'augmentation du chômage, augmente-t-elle les risques de suicide en France ?
©Reuters

S.O.S

Effet méconnu de la crise : les suicides augmentent, notamment chez les chômeurs. Faute de suivi médical, ces derniers sombrent souvent dans une détresse psychologique et sociale dont les conséquences peuvent s'avérer dramatiques.

Michel Debout

Michel Debout

Michel Debout est professeur émérite de Médecine légale et de droit de la santé, et psychiatre, au CHU de Saint Étienne. 

Il est membre associé du CESE et membre de l'Observatoire national du suicide, spécialiste de la prévention du suicide et des eisques psycho-sociaux au travail. Il est auteur de nombreux ouvrages dont "Le traumatisme du chômage"  (editions de l'Atelier, 2015) et "Le Renouveau démocratique : placer la santé au cœur du projet politique" (éditions de l'Atelier, août 2018).

 

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Atlantico : La crise, notamment du fait de l'augmentation du chômage, augmente-t-elle les risques de suicide en France ?

Michel Debout : Que la crise puisse avoir un effet sur les risques suicidaires est quelque chose de connu depuis très longtemps. On l'a remarqué lors de la "Grande crise" de 1929, qui a entraîné une augmentation significative des suicides, non pas l'année même de cette crise mais à partir de 1932. Il faut donc s'attendre à un effet décalé.

On sait que ces périodes de grandes tensions sociales, ponctuées d'épreuve comme le chômage, le surendettement, l'augmentation des faillites ont des conséquences. On l'a encore remarqué récemment, non plus en 1929 cette-fois ci mais en 2009, que ce soit en Italie ou en Grèce. En Angleterre, une étude vient d'être publiée qui montre que suite à la crise, le nombre des suicides a augmenté de 1000 au cours de ces trois dernières années. Moi-même, j'ai tâché d'évaluer ce phénomène en France, en me basant sur les maigres données que nous avons en la matière, faute d'études complètes et chiffrées. Grâce à ces projections, nous pouvons estimer qu'il y a eu jusqu'à 750 morts par suicide en plus entre 2008 et 2012.

Les facteurs de risque ne sont pas uniquement liés au chômage en lui-même mais aussi au surendettement et à la peur de ne pas s'en sortir. Des craintes qui se manifestent également au sein des entreprises, le climat d'inquiétude étant manifeste là aussi : les peurs de plans sociaux ou de licenciement peuvent entraîner des risques accrus de suicides.

Ces risques sont-ils pris en considération par les pouvoirs publics et privés français ?

En février 2009, au tout début de la crise, j'annonçais déjà le risque d'une détresse sociale et humaine liée à la crise. Il faudrait mobiliser tous les acteurs médicaux, sociaux et associatifs pour prévenir ce phénomène. Mon appel n'a malheureusement pas été entendu.

L'année dernière, avec Jean-Claude Delgènes, dirigeant de Technologia, une entreprise spécialisée dans le conseil aux entreprises en matière de risques psycho-sociaux, nous avons lancé la revendication de mettre en place un observatoire des suicides et des tendances suicidaires. L'objectif est de savoir précisément ce qui se passe dans la société française. Les derniers chiffres que nous avons aujourd'hui datent de 2009. Nous avons besoin de connaître comment ils ont évolué, quelles sont les populations les plus menacées. Depuis avril 2011, notre manifeste a été signé par toutes les centrales syndicales, par de jeunes patrons, des directeurs de ressources humaines ou encore par de grandes instances philosophiques et humanistes de notre pays. Pourtant, malgré plus de 3000 signatures, nous continuons d'attendre une décision du présent gouvernement, le précédent ayant refusé de s'engager.

A-t-on une idée des outils qui pourraient être mis en place pour soutenir et protéger les populations fragiles face à au suicide ?

Fragilisées, plutôt que fragiles. Car c'est bien la crise qui aggrave la situation. Plusieurs choses peuvent être faites assez rapidement. Il faudrait pouvoir soutenir les personnes licenciées ou au chômage, d'autant plus que le cap des trois millions de chômeurs vient d'être franchit. On parle même de 4,5 millions en intégrant ceux qui travaillent peu. Parmi eux, 2 millions peinent à trouver un nouvel emploi, notamment chez les plus de 45 ans.

Les personnes qui perdent leur emploi ont de plus en plus peur de ne pas en trouver un autre. Le problème, c'est qu'en perdant leur travail, ils perdent la médecine qui va avec. Malgré les critiques qui visent la médecine du travail aujourd'hui, elle a au moins le mérite d'exister. Il ne pourrait être que positif d'avoir un médecin pour suivre le salarié non seulement lorsqu'il est embauché, lorsqu'il a des accidents de la vie, mais aussi après sa perte d'emploi. Actuellement, ce n'est pas le cas : ce suivi est perdu dès lors que le travailleur perd son emploi. Il est ainsi doublement abandonné : par la société, en termes économique et social, mais aussi par la médecine du travail.

Depuis 20 ans, notamment dans les rapports du conseil économique et social, nous recommandons un suivi médical, voire psychologique, des chômeurs.

La médecine du travail a-t-elle les moyens de suivre ainsi les chômeurs ? Peut-on évaluer le coût d'une telle démarche ?

Il faudrait déjà en avoir la volonté. Nous verrons ensuite combien cela coûte. Il faut avant tout envisager l'idée.

Il y a 22 millions de salariés dans notre pays. En ne considérant que les 2,5 millions de chômeurs longue durée, on se rend compte que, dans tous les cas, cela aurait un coût évident.

Reste que ce coût doit être mis en parallèle avec celui des suicides et des tentatives de suicide, y compris sur un plan purement financier. Un accompagnement médical des chômeurs serait forcément une victoire.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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