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Pernod-Ricard, entreprise plus innovante qu'Apple et Google : quelle est la recette du fleuron français des spiritueux ?
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Un ptit verre pour fêter ça ?

Le magazine Forbes a publié son classement des 100 entreprises les plus innovantes du monde. Surprise, Pernod-Ricard y détient la 15e place, devant Monsanto, Starbucks ou Google. Une réussite qui s'explique notamment par le portefeuille de marques du groupe.

Noël Forgeard

Noël Forgeard

Noël Forgeard est un homme d'affaires français. Ancien dirigeant d'EADS, il est aujourd'hui associé senior à l'Arjil, un groupe d'investissement bancaire indépendant.

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Atlantico : Dans le top 100 des entreprises les plus innovantes du monde établit par le magazine  Forbes, Pernod-Ricard est 15e. Elle dépasse Google mais aussi Apple ou Starbucks. Comment s'explique cette bonne place de l'entreprise de spiritueux ?

Noël Forgeard : Elle s'explique d'abord par une rentabilité exceptionnelle. Pernod-Ricard dégage 25% de résultat d'exploitation et 14% de résultat net par rapport à son chiffre d'affaires. Ils ont une forte croissance, car ils ont réussi à bâtir dans le temps un portefeuille de marques haut-de-gamme qui est le premier au monde dans le domaine des vins et spiritueux. Ils sont numéro 1 en Chine, en Inde, au Japon, en France, au Mexique, et chacune de leur marque est bichonnée dans chacun de ses attributs : l'originalité et la qualité du produit, le packaging, une communication très spécifique avec les acheteurs de la marque, et les produits sont distribués par un réseau très efficace de sociétés de distribution.

C'est un dispositif global d'une efficacité exceptionnelle, qui dégage de très forts résultats, ce qui explique leur place dans le classement.

Ce dispositif va donc au-delà du simple lancement de nouveaux produits ?

C'est une efficacité globale : il y a les produits, mais aussi la politique de marque et la distribution efficace.

Quelques autres entreprises françaises se positionnent bien, en particulier Danone (25e) et dans une moindre mesure Dior ou Vuitton. La France n'est-elle douée que dans les industries de bouche et le luxe ?

Il ne faut tout de même pas faire de ce classement un instrument d'une objectivité absolue. Outre les entreprises que vous citez, il y en a d'autres, comme Essilor ou Air Liquide. Mais on a aussi beaucoup d'entreprises extraordinaires en France qui ne sont pas dans le classement : Michelin, Sanofi, Hermes, Schneider, Airbus, Zodiac...

Pourquoi ? Il faut d'abord expliquer comment le classement est fait. Si j'ai bien compris, on y est d'autant mieux placé que le cours de l'action est supérieur à la valeur qui résulterait mathématiquement des performances passées. Le classement reflète donc dans une certaine mesure la cote d'amour pour les investisseurs, amour qu'ils sont prêts à donner car ils ont des attentes dans les performances futures de l'entreprise. C'est cela que l'auteur du classement appelle « innovation ». Dans les faits, ce nom d'innovation regroupe beaucoup de choses : les nouveaux produits et services que permet la R&D, la longueur d'avance que peut prendre l'entreprise, l'originalité du marketing, la création de valeur des marques...

Ce que le classement montre, c'est que dans le monde d'aujourd'hui, les marques sont, pour les producteurs de produits, un vecteur extraordinaire de création de valeur. Quand, en plus, une entreprise qui a des marques fortes est dans un pays, comme la France, à qui tout le monde est prêt à donner un « good will » en matière de luxe ou de gastronomie, cela amène, en termes de rentabilité immédiate et d'améliorations attendues dans le futur, des effets très sûrs. D'où cette situation où plusieurs des cent sociétés appartiennent au secteur du luxe ou de la gastronomie.

Mais ça ne veut pas dire que les autres sociétés que j'ai cité, qui ne se situent pas dans le classement, sont moins bonnes. Seulement, elles se situent dans des secteurs où le consommateur est moins prêt à accepter de payer des prix de vente élevés et pour lesquels les marchés financiers sont moins enclins à consentir un « good will » de goût important. C'est simplement des mondes différents. D'ailleurs, ce sont les secteurs des sociétés que j'ai citées qui sont absents, pas les entreprises. Il n'y a pas Airbus, mais il n'y a pas Boeing non plus.

On peut donc résumer en disant que les investisseurs ont plus confiance dans une industrie de luxe qui serait en France, comme un consommateur lambda aurait plus confiance dans un téléviseur d'une marque japonaise ?

J'ai dit cela, mais c'était un argument secondaire. Ce que j'ai surtout voulu dire, c'est que l'investisseur boursier est prêt à donner une surprime à des valeurs qui ont un portefeuille de marques important. Accessoirement, leur origine peut jouer, mais ce qui compte, c'est la force des marques dans le monde d'aujourd'hui.

Dans le même temps, l'Hexagone a été éjectée du Top 20 des économies les plus compétitives au monde dans le classement du Forum économique de Davos. Un pays peut-il avoir des entreprises innovantes sans être compétitif ?

C'est vrai que nous sommes classés 21e en matière de compétitivité globale. Mais ce classement est bien la preuve qu'on peut quand même avoir des entreprises compétitives, puisque c'est notre cas ! (rires)

L'ennui, c'est que pour tirer notre épingle du jeu en tant que pays, en termes d'exportations et donc en termes d'emplois, il faut que nous performions sur un large spectre d'entreprises. Nous avons 60 millions d'habitants à nourrir : l'exceptionnelle performance de Pernod-Ricard ne suffit pas pour cela. Performer, pour les autres entreprises, ça veut dire innover, avoir un bon système éducatif, mais c'est aussi pouvoir produire en France. Et là, on tombe sur une problématique de coût, de flexibilité du travail et de la fiscalité.

Je crois qu'il y a un avenir pour la filière industrielle en France, et elle est absolument nécessaire. La plupart des entreprises, même petites, seront amenées à produire mondialement, mais même si le pourcentage de leur production diminue en France, si elles sont amenées à produire plus en volume du fait de plus grands débouchés, il n'est pas dit qu'elles auront à supprimer des emplois. Le développement mondial soutient donc la stabilité de l'emploi en France, même s'il y a création à l'étranger. Mais pour garder les emplois en France, il faut un marché du travail et une fiscalité non pénalisantes. Il faut aussi, de la part de l'entreprise, une politique dynamique d'investissements productifs.

Donc oui, on peut avoir des entreprises innovantes sans être compétitifs, mais on ne peut pas, en tant que pays, être macroéconomiquement dans le peloton de tête, si on n'est pas compétitif.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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