Institutrice condamnée : la misogynie nous aveugle sur l'ampleur de la délinquance sexuelle féminine<!-- --> | Atlantico.fr
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Pourquoi parle-t-on si peu de la délinquance sexuelle féminine ? Peut-on parler de pédophilie féminine ?
Pourquoi parle-t-on si peu de la délinquance sexuelle féminine ? Peut-on parler de pédophilie féminine ?
©Reuters

Tabou

Une institutrice de 33 ans a été condamnée lundi dernier à six mois de prison ferme pour avoir entretenu "une relation amoureuse" avec un adolescent de 12 ans. Une affaire qui soulève la question encore taboue de la délinquance féminine...

Daniel Zagury

Daniel Zagury

Daniel Zagury est psychiatre des hôpitaux, spécialiste de psychopathologie et de psychiatrie légale,

Il est expert auprès de la cour d'appel de Paris.

Il a été amené à témoigner dans de multiples procès pour d’importantes affaires criminelles (Guy Georges, Patrice Alègre, Michel Fourniret…)

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Atlantico : une femme de 33 ans a été condamnée pour avoir eu des relations sexuelles avec un mineur de 13 ans. Pourquoi parle-t-on si peu de la délinquance sexuelle féminine ? Peut-on parler de pédophilie féminine ?

Daniel Zagury : Il y a eu, dans la connaissance de la délinquance sexuelle, quatre grandes vagues. Tout d'abord le viol, ensuite l'inceste, la pédophilie, car, en effet, il faut se rappeler que le regard porté dans les années 80 sur le sujet était complètement différent.

Enfin, la dernière vague a été la délinquance sexuelle des femmes. C'était un sujet dont on ignorait tout, mais surtout que l'on voulait ignorer. On s'est petit à petit aperçu qu'il y avait beaucoup de femmes incarcérées pour ces motifs, et que c'était un vrai sujet. C'est un tabou, car la femme c'est la mère. Le tabou est lié au fait de télescoper la dimension sexuelle et la dimension chaste de la maternité. Nous avons tous au fond de nous une vision idéalisée de la femme mère. La dimension de la relation femme enfant est insupportable.

Nier la délinquance sexuelle des femmes est un réflexe très misogyne. Georges Canguilhem dans son livre « Le normal et le pathologique » affirme qu'on ne connaît la norme qu'à partir de sa transgression. Et, au fond, s'il n'y a pas de femmes qui commettent des actes de délinquance sexuelle, cela reviendrait à dire que les femmes n'ont pas de sexualité propre ou de normes sexuelles.

La pédophilie par définition, c'est l'attirance sexuelle exclusive pour les enfants pré pubères. Il y a dans la pédophilie l'horreur de la sexualité adulte et l'idéalisation de la sexualité infantile. Pour ce qui est de la pédophilie féminine, elle se situe soit dans un cadre intra-familial, soit dans un cadre extra-familial. Dans le premier cas, soit elles sont complices de leur conjoint, soit elles agissent par elles-mêmes. Dans la majorité des cas ce sont des femmes carencées, abusées dans leur jeunesse, déséquilibrées mais c'est rarement une préférence sexuelle exclusive pour les enfants.

Dans le cadre extra-familial, on trouve souvent des nourrices ou des baby-sitters qui sont engagées d'une manière plus ou moins durable avec les enfants. Mais il faut être prudent avec cette notion de pédophilie, très rare chez les femmes et qui recouvre une réalité bien précise. Dans le cas précis, je ne pense pas que l'on puisse parler de cela.

La délinquance sexuelle féminine est-elle plus facilement tolérée dans la société, à l'inverse de celle des hommes ?

Ce n'est pas la première histoire de ce genre qui défraie la chronique. On se souvient de l'affaire Gabrielle Russier, cette enseignante qui avait eu une liaison avec un de ses élèves, qui avait été condamnée pour détournement de mineur, et qui s'était suicidée. Cette femme a d'ailleurs inspiré la chanson « Mourir d'aimer » de Charles Aznavour. Mais cette histoire n'est pas vraiment comparable avec le cas actuel : elle impliquait un adolescent alors qu'ici, l'enfant n'est âgé que de douze ans.

Je pense qu'il y a des images qui viennent à l'esprit quand on parle de pédophilie masculine qui sont assez insupportables. En effet, on pense au pénis en érection, à la pénétration et à toute la violence physique et psychique exercée sur l'enfant. Ce sont des images horribles. On a plus de facilités à imaginer l'amour et la tendresse entre une femme et un pré-adolescent. Ce qui explique peut-être cette plus grande acceptation de la société, qui reste tout de même relative.

Aujourd'hui, la délinquance sexuelle féminine est-elle de plus en plus répandue dans notre société ?

Il est assez difficile de répondre à cette question. Je ne connais pas les chiffres exacts. Mais dans les maisons d'arrêt pour femmes, il y a un contingent non négligeable de femmes qui sont là directement pour des infractions sexuelles (un rapport avait énoncé un chiffre de l'ordre d'une femme sur dix). Pour beaucoup d'entre elles, ces infractions s'inscrivent dans des contextes de maltraitance. Reste à savoir si ce chiffre n'est pas très minoré. A partir du moment où les femmes ont une sexualité propre qu'il convient de reconnaître, il existe des transgressions. Mais il y a des cas qui n'arrivent jamais devant la justice, souvent de l'ordre de la caresse ou de l’ambiguïté.

L'institutrice a été condamnée à seulement 6 mois de prison ferme. Est-ce que les juges ont tendance à être plus cléments face à cette délinquance sexuelle féminine ?

Tout dépend du cas. Cette tendance peut même s'inverser. Le problème du déni et du tabou peut conduire à une plus grande sévérité. Si c'est un acte très « trash », la réaction risque d'être beaucoup plus sévère. On est quand même dans un rapport plus modeste que les actes sexuels commis par les hommes. J'ai rarement vu des femmes qui avaient une attirance exclusive pour les enfants. C'est pour cela que le mot pédophilie n'est pas très adapté.


Propos recueillis par Célia Coste

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