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Suicidaire : combien y aura-t-il encore en France de rentrées sans véritable enseignement de l'économie ?
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Zéro pointé

C'est un fait : les Français souffrent de graves lacunes en matière économique. Et la façon dont on enseigne la discipline au lycée n'est sûrement pas étrangère à ce constat.

Sergio Alvarez

Sergio Alvarez

Sergio Alvarez est chargé de l'économie au Cercle des Libertés Egales.

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Le constat n’est pas nouveau : les français souffrent de graves lacunes en matière économique.

Un échantillon représentatif de la population a ainsi obtenu en 2010 une moyenne de 8,3 sur 20 à un questionnaire élaboré par le Conseil pour la diffusion de la culture économique (Codice). Plus grave, le niveau d'études a un faible impact sur le niveau de connaissances, puisque les personnes sans diplôme obtiennent une note de 6,3/20, celles qui ont suivi un enseignement secondaire de 7,5/20 et le score des personnes diplômées d'un 2e ou 3e cycle universitaire se situe seulement tout juste au-dessus de la moyenne avec 10,5/20.

Comment s’étonner de ces piètres résultats alors que la matière ne fait pas partie des apprentissages considérés comme fondamentaux et, à ce titre, obligatoires dans notre parcours éducatif ? On juge indispensable qu’un collégien étudie le système digestif de la moule mais pas qu’il aborde les notions essentielles de profit ou de taux d’intérêt. Il faut sans doute voir dans cette situation le produit d’une histoire nationale et d’une culture politique ayant conduit les français à considérer l’économie tantôt comme subalterne - « L’intendance suivra » disait le Général de Gaulle - tantôt comme suspecte car intellectuellement subordonnée aux impératifs de la lutte des classes. Cette dernière vision d’une économie d’essence « politique », longtemps imposée par la domination intellectuelle et morale des marxistes au sein de l’université, a empêché la formation de tout consensus, même sur les règles les plus élémentaires du sujet. Comment, dès lors, concevoir un enseignement et définir des programmes pour une matière qui serait plus proche de la théologie que des sciences exactes ? S’il n’est pas possible de trancher, pour expliquer la formation des prix, entre Adam Smith (point de rencontre entre l’offre et la demande) et Karl Marx (quantité de travail incorporée dans un bien) alors il convient de ne pas aborder cette question dans les salles de classe. C’est exactement le raisonnement des créationnistes américains qui exigent que toute référence à Darwin soit exclue des manuels scolaires.

Affirmons ici une conviction simple : l’économie obéit à des règles.

Les plus fondamentales d’entre elles sont parfaitement démontrables et doivent être considérées comme intangibles tant que de nouvelles connaissances ne viennent pas, le cas échéant, les contredire. Sur la formation des prix, personne ne conteste aujourd’hui que c’est Smith qui avait raison. Les sociétés humaines et les différents régimes politiques qui les gouvernent peuvent certes faire des usages variés des règles qui régissent l’économie mais elles ne peuvent en aucun cas s’en abstraire durablement. Pas plus qu’un architecte ne peut ignorer les contraintes de la gravité ou de la résistance des matériaux, quelle que soit l’originalité de ses projets. C’est sur ce « noyau dur » de principes fondamentaux que devrait porter prioritairement l’effort éducatif.

Ajoutons que, si l’économie n’est pas une science exacte au même sens que les mathématiques ou la physique, elle tend néanmoins à en adopter les méthodes et les exigences : validation des hypothèses par l’expérience (observations statistiques, modèles de régression), formalisation mathématique du discours (économétrie) et élaboration de conclusions dotées d’un caractère prédictif. Les difficultés propres à la constitution d’un savoir qui incorpore à la fois les constantes du comportement humain et les caractères mouvants de sociétés en perpétuelle évolution ne doivent pas conduire au scepticisme ou au relativisme. Comme pour la météorologie, les connaissances avancent, les progrès des modèles sont incontestables mais on est encore loin d’une totale maîtrise de l’ensemble des mécaniques à l’œuvre. Faudrait-il, pour autant, faire fi de prévisions encore imparfaites ? Ce n’est certainement pas l’avis des marins ou des alpinistes.

Que pouvons-nous attendre d’une généralisation de l’enseignement de l’économie à toutes les classes du collège et du lycée ?

La réponse tient en assez peu de mots : la diffusion large d’un corpus de connaissances partagées par l’ensemble des citoyens  permettrait de bâtir de vastes consensus nationaux sur les grandes questions de politique économique et sociale. Le paysage politique s’en trouverait profondément modifié. Notre pays pourrait enfin sortir d’une confrontation droite-gauche hypocrite, incantatoire et archaïque. Les partis extrêmes qui prospèrent sur l’ignorance se verraient marginalisés. Le dialogue social pourrait enfin s’établir sur des bases saines, chacun des partenaires comprenant mieux les contraintes de l’autre mais disposant aussi d’une meilleure évaluation de ses marges de manœuvre. Une société civile mieux armée, plus sûre d’elle-même, ne manquerait pas de prendre une plus grande place face à la technocratie d’Etat. Un réalisme fécond verrait le jour. Sans exclure la confrontation des intérêts et des projets, il permettrait de faire plus rapidement émerger des solutions acceptables par des majorités larges.

Il est frappant de constater qu’aujourd’hui, tout un chacun se pique d’avoir des opinions sur des sujets économiques sans disposer le moins du monde des connaissances de base nécessaires pour les sustenter. C’est ainsi que, récemment, un médecin urologue n’éprouvait aucun complexe à m’asséner un discours navrant d’ignorance sur les actions qu’il conviendrait d’imposer aux banques centrales. Cette personne m’exprimait ses opinions comme s’il s’était agit de goûts culinaires ou de choix de couleurs pour la décoration de sa cuisine. Bref, des choses qu’on peut dire sans avoir à les justifier. Je me suis contenté de lui faire remarquer à quel point elle aurait trouvé incongru que, de mon coté, je lui explique comment intervenir sur un kyste rénal ou un cancer de la vessie… Cette anecdote illustre l’étrange statut qu’occupe l’économie dans l’esprit de nos contemporains : à la fois une matière perçue comme sérieuse et porteuse d’enjeux forts pour nos conditions de vie et, en même temps, une sorte de sujet de conversation de comptoir librement ouvert à toutes les élucubrations. La conséquence de cet état de fait, c’est que beaucoup de nos concitoyens sont trop facilement perméables aux discours démagogiques, qu’ils viennent de gauche ou de droite. Il convient donc de fournir au plus grand nombre de véritables outils de compréhension et d’appréciation des débats économiques qui sont, aujourd’hui plus que jamais, au cœur des choix politiques. Notre démocratie s’en trouverait renforcée.


Le dialogue social serait l’autre grand bénéficiaire d’un enseignement qui créerait des bases minimales communes de raisonnement. Du coté des syndicats de salariés, le dialogue social est conduit par des dirigeants et des cadres qui ont, en France, un profil bien particulier. S’ils ne sont pas nécessairement des militants politiques « encartés », l’origine de leur engagement personnel est le plus souvent doctrinaire et anticapitaliste. Leur culture est celle de la lutte des classes, du conflit social. Toute perspective de consensus est regardée a priori comme suspecte. La négociation leur apparaît comme un jeu à somme nulle : ce que ne gagnent pas les salariés, ce sont les patrons qui l’empochent et inversement. A cette idéologie de la confrontation, s’ajoute l’histoire française de ces cinquante dernières années au cours desquelles tous les gouvernements ont acheté la paix sociale, d’abord par le partage des fruits de la prospérité des Trente Glorieuses puis par l’accumulation de la dette publique et l’acceptation d’un chômage de masse. La France n’a connu depuis longtemps aucun aggiornamento social de l’ampleur de ceux consentis par les allemands sous Schröder ou par les anglais sous Thatcher. Les syndicats peuvent donc tranquillement affirmer que le combat social a été plus payant pour les salariés que ne l’aurait été la négociation. Il en résulte qu’ils continuent à ne pas négocier. Ils restent droits dans leurs bottes. L’espérance de vie explose et les comptes de l’assurance vieillesse s’effondrent ? Peu importe, on reste arc-boutés sur la retraite à 60 ans, les patrons paieront. Une entreprise voit ses marchés chuter de 30% et perd 200 millions d’euros par mois ? Peu nous chaut, pas question d’accepter des réductions d’effectifs, les actionnaires paieront. De telles positions ne pourraient plus être tenues si les salariés et leurs représentants prenaient pleinement conscience des impératifs d’équilibre budgétaire, des contraintes imposées par la concurrence internationale ou des rapports de causalité entre chômage et rigidité du marché du travail. Mieux formés aux fondamentaux de l’économie, ils trouveraient utile et nécessaire de rechercher des solutions négociées.

Les réformes qu’il convient d’engager :

L’enseignement de l’économie doit être rendu obligatoire dès la classe de 6ème et jusqu’en Terminale dans toutes les sections, si nécessaire au détriment de matières comme les sciences naturelles, la technologie ou la philosophie.

Il convient de privilégier la micro-économie qui permet d’appréhender concrètement le rôle et le comportement des différents acteurs individuels. Chacun pouvant se reconnaître comme consommateur, producteur ou épargnant, les enseignements de la micro-économie sont, par nature, peu sujets à polémique. Ils formeront le socle de connaissances nécessaires pour maîtriser le raisonnement économique, au même titre que les règles de la grammaire ou de la syntaxe sont nécessaires pour aborder la littérature. Les notions essentielles de la micro-économie devront être aussi  communément partagées que la règle de trois.

La macro-économie sera abordée dans un deuxième temps, par exemple à partir de la classe de seconde. Elle porte en effet sur des agrégats (croissance, chômage, inflation, balance des paiements…) complexes et difficiles à modéliser. Les catégories de la macro-économie étant aussi celles de la politique économique, il conviendra de se montrer rigoureux dans leur approche afin d’éviter les effets désastreux que produiraient des changements incessants de programmes en fonction des majorités politiques en place…

Sans prétendre à l’exhaustivité, il nous semble que l’enseignement de l’économie devrait aborder des notions essentielles comme : la courbe offre/demande (Ricardo, Say, Hayek, Debreu, Friedman) ; la formation des prix (Smith, Walras) ; les principaux facteurs de production : capital et travail ; les différentes facettes de l’homo economicus, à la fois producteur et consommateur, épargnant et emprunteur, contribuable et bénéficiaire de services publics ; l’objet de l’économie comme la recherche du bien-être général et susciter la réflexion sur les inégalités (faut-il préférer un système A qui donne 10 à tout le monde ou un système B dans lequel une majorité reçoit 20 pendant que quelques-uns perçoivent 100 ?) ; la préférence pour la liquidité (Keynes) qui fonde et justifie l’existence de taux d’intérêt ; le couple risque/rendement ; la compréhension et le rôle des anticipations rationnelles (Robert Lucas) ; les avantages de la spécialisation et des échanges en économie ouverte; le rôle clé des facteurs environnementaux : sécurité juridique, transparence de l’information, qualité des infrastructures, disponibilité d’une main-d’œuvre bien formée, etc ;  la transposition du principe politique et juridique d’égalité dans l’économie : proposer de lui substituer le principe d’équité ; le rôle de l’état, limité à ses fonctions régaliennes, aux décisions de redistribution permettant d’assurer la cohésion sociale ou investi, en plus, d’un rôle d’intervention directe dans l’économie ; la distinction entre assurance/prévoyance, d’une part, et redistribution, d’autre part ; la supériorité d’un système où les décisions économiques sont prises par une multitude d’acteurs agissant indépendamment pour leur propre compte sur des systèmes centralisés où les décisions n’appartiennent qu’à une élite éclairée censée représenter l’intérêt général (de même que la démocratie politique produit, en général, de meilleurs résultats que le despotisme éclairé - voir Tocqueville et le paradigme de la main invisible d’Adam Smith) ; la présentation des bourses de valeurs comme l’indispensable lieu de rencontre entre la demande d’investissement  des entreprises et l’offre d’épargne des ménages et non pas comme des casinos ; l’existence et le rôle de la spéculation - de speculare, prévoir - comme instrument d’information et  de régulation ; la nécessité d’une bonne mobilité des capitaux comme facteur d’optimisation des allocation de ressources.

A l’heure où notre pays se trouve confronté à des difficultés (dette publique excessive, déficits budgétaires et sociaux, insuffisance de compétitivité) qui vont l’obliger à revoir en profondeur son modèle de développement, il est indispensable de mettre en place les outils fondateurs d’un nouveau pacte social. Il est certes clair que seul le courage politique de nos dirigeants pourra répondre aux défis du court terme. Mais l’éducation est seule à pouvoir faire évoluer dans la durée nos mentalités,  nos comportements et nos rapports sociaux. Pour enfin sortir du 20ème siècle et bâtir un avenir à la fois libéral, parce que c’est efficace, et social, parce que c’est juste.

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