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Entre deux maux... Faut-il respecter des promesses électorales irréalistes ou rompre le lien de confiance démocratique avec ses électeurs ?
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Dilemme

François Hollande, ce vendredi à Châlons-en-Champagne, a délivré un discours grave et solennel. Première étape vers un changement de cap et l'abandon de ses promesses électorales ? Après tout, ne dit-on pas que "les promesses n'engagent que ceux qui y croient"...

Eric  Deschavanne et André Bercoff

Eric Deschavanne et André Bercoff

Eric Deschavanne est professeur de philosophie. Il anime depuis quinze ans à la Sorbonne, avec Pierre-Henri Tavoillot, le Collège de philosophie.

André Bercoff est journaliste et écrivain. Il est notamment connu pour ses ouvrages publiés sous les pseudonymes Philippe de Commines et Caton.

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Atlantico : Le discours de François Hollande, ce vendredi, à la foire de Châlons-en-Champagne était particulièrement grave et solennel. "Nous sommes devant une crise d'une gravité exceptionnelle, une crise longue qui dure depuis maintenant plus de quatre ans et aucune des grandes puissances économiques, même les émergentes, n'est désormais épargnée", a-t-il admis.  Le président de la République semble vouloir préparer l’opinion publique à un changement de cap. François Hollande doit-il tenir compte du contexte de crise et revenir sur ses promesses électorales ?

Eric Deschavanne : Soyons juste, le candidat Hollande n'a pas abusé des promesses démagogiques durant la campagne : il a simplement caressé dans le sens du poil une opinion publique de gauche qui ne voulait pas entendre parler de crise mondiale  ni de dette publique, préférant imputer la responsabilité des difficultés sociales au « président des riches » ou au « diktat des marchés financiers ». Le président Hollande doit tenir compte de cette opinion publique pour la conduire doucement à regarder la réalité en face. Qu'il se dévoile et fasse la pédagogie de la crise est une excellente chose, mais l'on entend déjà la gauche mélenchoniste crier à la trahison. François Hollande est désormais au pied du mur : s'il veut en finir avec les atermoiements et les demi-mesures pour être à la hauteur des défis qui l'attendent, il lui faudra prendre le risque de l'impopularité dans son propre camp.

André Bercoff : François Hollande doit-il découvrir qu’il fait soleil le jour et lune la nuit ? Chacun sait que pour être élu, le candidat doit sortir de la réalité et raconter les plus belles fables possibles afin d‘attirer le client-consommateur-électeur. Une fois installé à l’Elysée, en revanche, il lui faut affronter la réalité avant qu’il ne soit trop tard. Le vaisseau spatial hollandais rentre dans l’atmosphère, ce qui ne peut se faire sans étincelles. N’oubliez pas que la Vème République, comme les précédentes, fut tissée dès le départ de malentendus savoureux. Je n’en veux pour preuve que de Gaulle affirmant à la face des partisans de l’Algérie française : « je vous ai compris ».  Ce qui voulait dire : vous serez cocus mais je ne peux pas faire autrement, dans l’intérêt de la nation. Cela s’appelle faire campagne.

Est-il plus grave de respecter ses promesses électorales au risque de rompre avec la réalité ou bien de rester en phase avec la réalité en rompant avec ses promesses électorales ?

Eric Deschavanne : L'homme politique doit privilégier « l'éthique de la responsabilité » sur « l'éthique de la conviction », pour utiliser les catégories du célèbre sociologue allemand Max Weber. L'éthique de la conviction caractérise l'attitude de celui qui privilégie la fidélité à ses convictions quelles qu'en soient les conséquences. Le socialiste qui, en période de « crise mondiale » s'obstinerait à vouloir augmenter les salaires, réduire le temps de travail, ou dépenser sans compter l'argent public pour venir en aide aux plus défavorisés sans se soucier des conséquences économiques pour le pays s'inscrirait dans cette perspective. A l'inverse, l'éthique de la responsabilité consiste à consentir à modifier les objectifs afin de tenir compte de la réalité. Ce qui importe de ce point de vue, c'est moins la fidélité aux engagements que l'effectivité des réalisations.

Encore ce raisonnement part-il de l'hypothèse flatteuse qui voudrait que les promesses résultent de la grandeur d'un engagement moral. Force est cependant de constater qu'elles procèdent généralement de l'électoralisme le plus cynique. Je ne vois donc pas en quoi il serait immoral de rompre avec des promesses démagogiques et déraisonnables auxquelles leur auteur ne croit pas lui-même. La fidélité aux engagements de campagne n'est que la posture d'un moralisme de pacotille, le plus souvent au service du cynisme politique.

André Bercoff : Même réponse que ci-haut : tout politique devant se faire élire a l’obligation de mentir - c’est la loi de l’économie électorale de marché - et le devoir, une fois élu, de justifier le plus habilement possible ses virages à 90 ou à 180 degrés. La question essentielle restant évidemment, pour tout homme qui se veut d’Etat, l’obligation de résultat. Au bout du quinquennat, le peuple se porte-t-il un peu mieux qu’au début, ou est-il en train de mourir guéri ? Tout le reste est babil et salivations.

Nicolas Sarkozy s’était entêté à maintenir le bouclier fiscal malgré la crise, l’un de ses totems idéologiques. Cela lui a sans doute coûté cher électoralement...  

Eric Deschavanne : On pourrait ajouter le non renouvellement systématique d'un poste de fonctionnaire sur deux partant à la retraite, un engagement purement gestionnaire mais qui s'est traduit par des suppressions de postes excessives dans l'éducation nationale, touchant ainsi à ce qu'il y a de plus sensible, les enfants, ce qui fut donc ravageur électoralement. Paradoxalement, alors qu'on leur reproche généralement le contraire, les politiques mettent un point d'honneur à tenir leurs promesses. Généralement, c'est une calamité pour le pays mais aussi pour eux-mêmes. Songeons par exemple à Jacques Chirac renonçant à dissoudre l'Assemblée Nationale en 1995, précisément à cause d'une promesse de campagne : la dissolution est intervenu deux ans après la présidentielle, conduisant à un désastre électoral. L'idéologie relève de l'éthique de la conviction : les nationalisations, les 35 heures, le bouclier fiscal... on pourrait multiplier les exemples, à gauche et à droite, de promesses absurdes qu'il a fallu tenir avant de les traîner ensuite comme des boulets.

André Bercoff : Ce qui a coûté beaucoup plus cher à Sarkozy, c’est qu’il a commencé par des baisses conséquentes d’impôts - avec le bouclier fiscal -  et des hausses non moins importantes de dépenses, pour ensuite faire volte-face en prônant l’aide aux entreprises et la nécessité de la diminution de la dette, un peu tard,  trop tard. Reste qu’il a secoué, même maladroitement, le cocotier.

En 1995, après avoir fait campagne sur le thème de la fracture sociale, Jacques Chirac aurait déclaré cyniquement que les promesses n’engagent que ceux qui y croient…  A force de renier leur parole, les hommes politiques ne finissent-ils  par discréditer l’action publique ?

Eric Deschavanne : Je ne sais pas à qui il faut attribuer la paternité de la formule, mais je crois malheureusement qu'elle est fausse. Bien entendu, les thèmes de campagne, par la force des choses, sont abandonnés une fois élu : après avoir promis la réduction de la fracture sociale, la suppression du chômage et l'augmentation du pouvoir d'achat, il faut bien reconnaître que les choses ne sont pas si simples, qu'il y a la crise, l'héritage des prédécesseurs plus lourd que prévu, etc. En revanche, il existe un culte du « programme », des « 110 propositions » qu'on s'engage à réaliser envers et contre tout. Rien n'est plus absurde, pourtant, que cette obsession du programme ! Réaliser le programme garantit souvent la défaite électorale mais n'est en revanche jamais la cause d'une réélection. Une fois aux affaires, le jugement du public porte sur la capacité à gouverner, à faire face aux défis de l'histoire en marche, à se tenir au plus près de l'intérêt général. A cet égard, ne pas savoir renoncer à une promesse de campagne lorsqu'une situation historique nouvelle l'exige n'est généralement pas porté au crédit d'un gouvernant. C'est un peu ce qui est arrivé à Nicolas Sarkozy avec son « paquet fiscal », rendu obsolète par la crise de 2008.

La formule que vous prêtez à Jacques Chirac recèle cependant à mon sens une vérité, à savoir que ceux qui reçoivent les promesses sont les complices objectifs de ceux qui les font : on ne peut pas exonérer les électeurs de leur responsabilité ; on ne peut pas à la fois affirmer que le peuple est souverain et qu'il est irresponsable. Le programme est conçu en vue de l'élection : il contient donc ce que les électeurs ciblés attendent, ce qu'ils désirent qu'on leur promette. S'ils désiraient autre chose, on leur promettrait autre chose. L'électorat est une clientèle, et le client est roi. Les promesses électorales sont donc le reflet de la maturité ou de l'immaturité de l'électorat à un moment donné de l'histoire.

André Bercoff : Jacques Chirac fut l’exemple chimiquement pur du baratin considéré comme l’un des beaux arts. L’épisode de la « fracture sociale » restera comme l’un des chapitres les plus comiques de la petite histoire politique française. Que de soi-disant démographes, sociologues et autres Diafoirus découvrent la lutte des classes, et la coiffent d’une étiquette faussement nouvelle, en dit long sur la gadgétisation du discours public. Mais cela n’amène pas le discrédit de la classe politique pour une raison très simple : il n’y a pas un citoyen, aujourd’hui, qui croit à la sincérité totale des élus de droite comme de gauche. Une fois pour toutes, qu’on le sache : après chaque discours, les électeurs ont corrigé d’eux-mêmes. Et voteront pour celui qui leur semblera le plus proche de leurs humeurs, de leurs colères et de leurs arrières-pensées.

Le double discours des politiques ne pose-t-il pas un véritable problème démocratique… Est-ce que cela peut expliquer que les électeurs se tournent de plus en plus vers les extrêmes, notamment le Front National ?

Eric Deschavanne : Le fait que les électeurs se tournent vers les partis protestataires prouvent surtout qu'ils sont demandeurs de bobards. Le Front National et le Front de gauche promettent tout ce que vous voulez, à commencer par l'augmentation du salaire minimum et la retraite à 60 ans. Il faut avoir à l'esprit que la vertu de la démocratie représentative réside dans la relative liberté des élus par rapport aux desiderata de l'électorat. Le grand politique démocratique est celui qui, adossé à une vision juste de la situation et de l'avenir possible (c'est le pré-requis nécessaire), parvient à transcender la démagogie, l'électoralisme clientéliste, pour imposer sa volonté, dans la mesure bien sûr où celle-ci vise l'intérêt général. C'est de cela dont le peuple, et l'histoire, lui rendra rétrospectivement justice, et non pas de tenir ses promesses ou de remplir un programme. Cela exige idéalement de la pédagogie, mais sans doute aussi, inévitablement, une pratique de la dissimulation et du double discours. Trahir ses promesses revient alors à s'affranchir des illusions populaires et des intérêts particuliers afin d'agir efficacement dans le sens de l'intérêt général.

André Bercoff : Il est compréhensible qu’en période de crise aigüe, les citoyens qui n’aperçoivent pas le bout du tunnel et qui constatent un changement de ton présidentiel après leur passage dans l’isoloir, aient envie de paître là où l’herbe serait plus verte, dans des champs pas encore cultivés. On a essayé la droite et la gauche classiques, on ne voit rien venir, allons vers ceux qui nous promettent, ici et maintenant, un changement radical. Reste à savoir si au Front National comme ailleurs, le discours, même vigoureux, n’en cache pas un autre…

En campagne, un politique qui ne promettrait que ce qu’il peut tenir pourrait-il être élu ?

Eric Deschavanne : Dans le contexte actuel, sans doute pas. Le problème de fond est peut-être que les candidats, dans leur dialogue avec le peuple, ne peuvent pas se permettre de l'entretenir des vrais sujets stratégiques. On a pu voir, par exemple, lors de la dernière campagne, Nicolas Sarkozy commencer par évoquer sérieusement, mais sans succès, les questions économiques avant d’amorcer une remontée grâce aux conseils de Patrick Buisson, en produisant un discours populiste délirant. Les campagnes électorales ne sont malheureusement pas des moments de retour au réel, mais des parenthèses d'irréalité dans la vie démocratique.

André Bercoff : Non. Le plus bel exemple : Pierre Mendès-France. Le plus honnête des politiques, celui dont on célèbre encore aujourd’hui l’efficacité alors qu’il n’a gouverné que pendant sept mois en 1954 - cela fait près de 60 ans - n’avait aucune chance d’être élu parce qu’il ne savait pas mentir. Péché capital.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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