Afghanistan : 10 ans de guerre pour rien ?<!-- --> | Atlantico.fr
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82 soldats français ont été tués en 90 mois de présence en Afghanistan (entre août 2004 et janvier 2012).
82 soldats français ont été tués en 90 mois de présence en Afghanistan (entre août 2004 et janvier 2012).
©Reuters

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L'armée française a officiellement quitté ce mardi le district de Surobi, près de Kaboul. Une étape cruciale du retrait de ses troupes d'Afghanistan, qui doit s'achever à la fin 2013. Malgré des succès locaux, les Taliban contrôlent toujours une partie du pays et il est probable qu'une guerre civile se déclenche après la fin du retrait américain en 2014.

Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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Le retrait prématuré des forces françaises d’Afghanistan est l’occasion de souligner l’échec de la stratégie politique et opérationnelle américaine de contre-insurrection, adoptée « nolens volens » par tous les contingents occidentaux présents sur ce théâtre d’opérations.

L’échec de la stratégie politique

Il est probable qu’après la fin du retrait américain en 2014 le régime Karzaï ne pourra survivre bien longtemps et que s’installera dans ce pays une guerre civile opposant le Sud et le Sud-Est au Nord et au Nord-Ouest du pays.

En effet, c’est au Sud, peuplé majoritairement par des Pachtounes qui représentent environ 40% de la population qu’est né le mouvement taliban. Les cadres Taliban ont été formés dans les madrasas, ces écoles coraniques supérieures installées dans zones rurales du Sud.

Les autres minorités ethniques n’accepteront pas sans combattre de se soumettre à leur domination. En premier lieu les Tadjiks (30 % environ de la population) qui vivent  autour d’Hérat et dans les montagnes du nord-est à proximité du Tadjikistan  et dont était issu le commandant Massoud, chef de l’Alliance du Nord, tué par les talibans en 2001. Mais aussi les Hazaras de religion chiite, les Ouzbeks, les Aïmaqs et les Turkmènes qui représentent à eux tous environ 30% de la population.

Les Américains, toujours accrochés à leur stratégie d’adversaire-partenaire avec la Russie et la Chine, conforme à leurs intérêts planétaires, ont été incapables de mettre sur pied une coalition impliquant toutes les parties prenantes dans le règlement de ce conflit [1]. Ils ont tenu à l’écart, outre ces acteurs mondiaux, un acteur  régional, l’Iran qui a pourtant des intérêts importants dans ce pays et n’ont pas réussi à impliquer suffisamment le Pakistan pour qui l’Afghanistan est stratégique par la profondeur qu’il leur apporte face à l’Inde.

Ces pays après le départ des Occidentaux seront forcés de prendre le relais car ils ne pourront accepter sans réagir la mise en place à leurs frontières ou dans leur zone d’intérêt d’un régime taliban surtout s’il est dominé par des extrémistes islamiques.

L’échec de la stratégie opérationnelle

Toute stratégie opérationnelle de contre-insurrection doit combiner des composantes militaire, économique et politique. Ces trois aspects de la stratégie opérationnelle mise en œuvre par les Américains sont des échecs plus ou moins complets.

Force est de constater que malgré des succès locaux, les Taliban n’ont pas été éliminés et contrôlent toujours une partie du pays. Cet échec est lié à la stratégie choisie par les Américains jusqu’en 2009. Impliqués en Irak, ils ont menés en Afghanistan une « guerre à distance » causant des dommages collatéraux à la population afghane. La stupidité de la stratégie opérationnelle américaine dans les 8 premières années de la guerre se résume à cette équation : « une mission moyenne de deux heures, sans tir, d’un chasseur-bombardier moderne équivaut presque à la solde mensuelle d’un bataillon afghan » [2].

Ce n’est qu’à partir de 2009, avec l’arrivée du général Stanley McChrystal que « les Afghans ont été placés au centre de la stratégie opérationnelle. Nous devons les protéger de toute violence qu’elle qu’en soit la nature »  a déclaré le général à sa prise de fonction. Par ailleurs « l’afghanisation » de la guerre n’a vraiment commencé qu’à cette date. Si aujourd’hui l’armée afghane a acquis quelque consistance, la police est en majorité corrompue, infiltrée et est incapable d’assumer son rôle de gardienne de l’ordre public.

Le volet économique est aussi un échec si on le rapporte aux sommes investies. Une grande partie de cette manne financière a été détournée par la corruption ou mal utilisée. La preuve en est dans le développement parallèle de la culture de l’opium [3]. Représentant 90 % de la production mondiale totale, elle est devenue la première activité productrice du pays. L’économie de l'opium représenterait près de 7 milliards de dollars, loin devant le premier revenu d'exportation, qui est celui des tapis, pour 187 millions de dollars [4].

Bilan pour l’Armée française

Sur un plan strictement militaire, le bénéfice en termes d’expériences acquises l’emporte nettement malgré les pertes subies et le coût financier des opérations.

Le coût humain de la présence d’un contingent français qui a compté jusqu’à 4000 hommes est relativement faible, même si la mort d’un soldat est toujours une mort de trop. En effet, nous avons enregistré, des pertes très inférieures à celles subies lors de la guerre d’Algérie, comparable en termes de durée, de nature du théâtre d’opérations et des modes d’action de l’adversaire. En effet, en 90 mois de présence [6], entre novembre 1954 et juillet 1962,  24 614 militaires ont été tués en Algérie soit 273 militaires tués par mois contre moins d’un par mois en Afghanistan (82 soldats tués en 90 mois entre août 2004-janvier 2012).

Face à ce coût humain, toujours insupportable pour les familles endeuillées, le bénéfice en termes de défense et de sécurité nationale est considérable. En effet,  une armée qui n’est pas confrontée à la dure réalité du combat, perd ses valeurs militaires, sa capacité opérationnelle s’étiole et la formation de ses chefs et de ses hommes  reste théorique, tandis que, dans les choix en matière d’équipement [7], les impératifs économiques (plan de charge des industries de défense) s’imposent aux impératifs opérationnels.

L'armée française va se retirer d’Afghanistan avec une expérience considérable, acquise face à une menace multiforme mettant en jeu des combinaisons évolutives d’adversaires poursuivant des objectifs religieux, politiques ou  mafieux et qui s’associent tactiquement ou stratégiquement pour les atteindre. Cette expérience va probablement nous servir rapidement face à la menace de même type qui se développe au sahel, plus près de nos frontières.


[1] Voir  mon analyse publiée le 21 juillet 2011, sur le blog de Jean-Bernard Pinatel : Géopolitique - géostratégie.

[3] Production évaluée à 6.900 tonnes en 2009. Selon l’ONUDC, pour le seul opium, 123 000 hectares étaient consacrés en 2010 à la culture et 248 000 familles étaient employées à cette activité, la valeur de la production d’opium pour les producteurs s’élevant selon l’ONUDC à 605 millions de dollars (sa valeur à l’exportation étant naturellement bien supérieure). En outre, le poids économique de l’héroïne en Afghanistan a très considérablement augmenté au cours de la période récente du fait de l’installation sur le territoire afghan de laboratoires de transformation de l’opium.

[6] Algérie, novembre 1954-avril 1962 ; Afghanistan, août 2004- janvier 2012. Voir l'analyse du 27 janvier 2012 de Jean-Bernard Pinatel sur  www.geopolitique-geostategie.fr.

[7] Il serait trop long de raconter ici tout ce qui a manqué en 2004 aux premiers contingents envoyés  en Afghanistan.

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