La Russie vient-elle d’étrangler l’indépendance énergétique européenne en imposant son dernier pipeline ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La construction du pipeline russe South Stream : un coup dur pour l'indépendance énergétique des Européens.
La construction du pipeline russe South Stream : un coup dur pour l'indépendance énergétique des Européens.
©Reuters

Petit manuel de diplomatie

La construction du pipeline South Stream par les compagnies pétrolières russe et italienne Gazprom et Eni débutera en décembre. Un coup dur pour l'indépendance énergétique des Européens et son projet rival, Nabucco, porté par la Commission européenne.

François Lafargue

François Lafargue

François Lafargue est docteur en Géopolitique et en Science Politique. Il enseigne à Paris School of Business.

Auteur d’une thèse portant sur l’Afrique du Sud, il est également docteur en Science politique avec comme thème de recherche la stratégie des Etats-Unis devant la vulnérabilité énergétique de la Chine. Ses travaux portent principalement sur les enjeux énergétiques en Asie et en Afrique et les relations sino-africaines.

Son dernier ouvrage : La Guerre Mondiale du pétrole (Ellipses, 2008)

 

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Atlantico : Les services d’information russes ont  annoncé dimanche que la construction du South Stream débutera au mois de décembre, afin d'exploiter les ressources de la mer Caspienne en contournant l’Ukraine. Cette annonce acte-t-elle la fin des velléités d'indépendance énergétique de l'Union européenne par rapport à la Russie ?

François Lafargue : Un constat s’impose, la marge de manœuvre de l’Union européenne est limitée. La Russie demeure un acteur énergétique de premier plan. Son sous-sol contient de l’ordre de 6 % des réserves mondiales de pétrole et 23 % de celles de gaz. La dépendance de l’Union européenne à l’égard de la Russie, tant sur le plan gazier que pétrolier, n’a fait que s’aggraver depuis les élargissements aux anciens pays de l’Est (2004 et 2007), puis la construction du gazoduc Nord stream, qui relie l’Allemagne à la Russie via la mer Baltique.

La Russie fournit 32 % des importations de pétrole de l’Union et la moitié pour celles de gaz. La Norvège, un autre fournisseur important en hydrocarbures de l’Union a des réserves qui s’épuisent. Le Moyen-Orient est trop instable, avec de fortes incertitudes quant à l’évolution de l’Irak et de l’Iran.

Enfin l’Afrique assure 20 % des importations en hydrocarbures de l’Union, mais les entreprises européennes subissent la forte concurrence des États-Unis, mais surtout de la Chine et de l’Inde. Donc pour les Européens, leur proximité géographique avec la Russie en fait un partenaire naturel, d’autant que pour des raisons politiques, Moscou reste un fournisseur encore secondaire des États-Unis comme de la Chine. Enfin, l’adhésion de la Russie à l’OMC va faciliter les investissements étrangers dans le secteur pétrolier et gazier, et donc permettre la mise en valeur de nouveaux gisements.

Quelles sont les conséquences de la construction du South Stream sur le plan géopolitique ?

Depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, la manne pétrolière nourrit une forte croissance, puisque le PIB a été multiplié par huit, entre 2000 et 2012. Les hydrocarbures représentent près de 70 % des exportations de la Russie. La première présidence de Vladimir Poutine (2000-2008) a été marquée par une nette détérioration des relations avec les États-Unis et l’Union européenne, puisque sur de nombreux sujets (comme le dossier nucléaire de l’Iran ou le projet américain de bouclier anti-missiles), de profondes divergences étaient apparues.

Vladimir Poutine avait été à l’origine de plusieurs initiatives jugées hostiles, comme celle de constituer un cartel des grands producteurs gaziers, afin de peser davantage sur les cours mondiaux. Il avait également entrepris un ambitieux programme de réarmement du pays. Il est donc naturel de penser que le South stream, qui accentue la dépendance de l’UE, n’est pas forcément une bonne nouvelle ! Pour l’Union européenne, l’objectif est de sécuriser son approvisionnement, puisque pour le moment le gaz en provenance de Russie transite principalement par le Bélarus ou l’Ukraine, deux États dont l’évolution institutionnelle reste encore incertaine.

Et chacun a en mémoire les récentes « guerres du gaz » dans ces deux pays, qui inquiétèrent les Européens.

Mais la relation Russie/Union européenne n’est-elle pas une relation d’interdépendance ?

Pour garantir son approvisionnement énergétique, l’UE encourage les partenariats industriels avec la Russie, afin de créer une interdépendance. Une démarche déjà suivie avec les pays du golfe à partir de 1973. La Banque publique russe Vneshtorgbank a ainsi acquis près de 6 % du capital du constructeur aéronautique EADS. Sberbank (l’un des plus importants établissements bancaires russe) a pris en 2009, une part du capital d’Opel. Pour schématiser, avec l’adhésion de la Russie à l’OMC, le marché russe devrait s’ouvrir davantage et le consommateur russe nous acheter des produits payés par l’argent, versé pour les livraisons de gaz. Mais l’UE à moyen terme pourrait développer des partenariats avec des fournisseurs de gaz naturel liquéfié (GNL), comme le Nigeria ou le Qatar, afin de diversifier ses achats.

La Russie peut être considérée comme un fournisseur loyal. En premier lieu,l’approvisionnement en hydrocarbures des Européens n’a jamais fait l’objet de menaces, y compris pendant les années de Guerre froide. Rappelons également que l’Union européenne est le premier partenaire commercial de la Russie (et lui achète près des ¾ de ses exportations d’hydrocarbures). Au cours de ces dernières années, Poutine a souvent annoncé son souhait de réorienter les flux d’exportation d’énergie vers l’Asie. Une menace encore peu crédible.

Vladimir Poutine a engagé un rapprochement diplomatique avec la Chine, qui s’est traduit par de nombreux contrats d’armement et énergétiques. Moscou et Pékin partagent de nombreux intérêts communs. Tous deux rejettent l’hégémonie américaine et appelle à la constitution d’un monde multipolaire. Et Moscou comme Pékin sont attachés au principe de souveraineté politique et de non-ingérence, souhaitant régler selon leurs propres modalités leurs problèmes intérieurs.

Pourtant la Russie redoute le poids industriel et politique de la Chine, qui s’affirme chaque jour davantage. Une crainte confortée par le déclin démographique russe, (la population est passée de 150 millions en 1990 à 143 millions aujourd’hui, pour s’établir sans doute autour de 120 millions en 2040). Si les relations entre la Chine et la Russie se sont améliorées depuis la fin des années 1990, elles demeurent donc marquées par une méfiance mutuelle. Les années 2000-2010 ont été marquées par la signature de plusieurs accords énergétiques avec la RPC, mais dont la portée demeure encore limitée, puisque la Russie en dépit de sa proximité géographique avec la Chine, ne couvre que 6 % de ses importations. Et la fourniture d’hydrocarbures à Pékin implique la construction de nouvelles et coûteuses infrastructures à travers la partie orientale du pays.

Quel est l’avenir du projet alternatif, qui prévoyait de passer par la Turquie pour approvisionner l'Europe ?

Ces projets, particulièrement Nabucco, sont aujourd’hui compromis (notamment à cause des dissensions entre les principaux opérateurs du projet), ou présentent moins d’intérêts. Pourtant, les pays d’Asie centrale et de la Caspienne comme l’Azerbaïdjan et le Turkménistan n’ont pas intérêt à ne dépendre que de la Russie pour leurs exportations d’hydrocarbures. Ces anciennes républiques de l’URSS perdraient alors une part de leur souveraineté économique.

Vous disiez que la Russie fournit 32 % des importations de pétrole de l’Union. Ce pourcentage est-il voué à croître ? 

Oui, la coopération énergétique avec la Russie est sans doute vouée à se renforcer dans les prochaines années. Pour la Russie, le partenariat avec l’Europe présente également plusieurs avantages. La Russie est consciente que la demande en gaz naturel restera soutenue dans ce grand marché de 500 millions de consommateurs.

Moscou négocie avec 27 États, qui ne parviennent pas à s’entendre sur l’attitudeà tenir vis-à-vis d’elle. La majorité des gouvernements européens sont plutôt favorables à cette coopération – seuls certains pays de l’Est restent farouchement hostiles à Moscou, mais leur influence demeure faible.  

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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