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Henri Poincaré, ce mathématicien multicarte de génie dont la vision
et les intuitions guident encore
la recherche d’aujourd’hui
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La Science et l'Hypothèse

Henri Poincaré, ingénieur, physicien et mathématicien, est mort il y a 100 ans, le 17 juillet 1912. Toute sa vie, il a tenté de résoudre le mystère de l'organisation intelligible du monde. Son erreur, celle d'avoir cru démontrer la stabilité du système solaire, a prouvé que le monde était surtout un grand chaos... organisé.

Jean-Paul Truc

Jean-Paul Truc

Jean-Paul Truc est actuellement rédacteur en chef de la revue de Mathématiques Quadrature

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Une foule nombreuse était au rendez-vous ce lundi 9 juillet au cimetière du Montparnasse, pour se recueillir devant la tombe d'Henri Poincaré (29 avril 1854-17 juillet 1912) à l'occasion de la commémoration du centenaire de sa mort. Aux côtés des descendants d'Henri Poincaré, de nombreux mathématiciens et astronomes de tous les pays ont participé à cette journée de conférences organisée conjointement par l'Observatoire de Paris, le Bureau des longitudes, l'IAP et l'IMCCE, sous la direction de A. Albouy, L. Blanchet, A. Chenciner et J. Laskar. Une délégation d'élèves de l'école polytechnique en tenue était là pour rendre hommage au célèbre polytechnicien de la promotion 1873. Après le dépôt d'une gerbe par l'astronome et académicien Jacques Laskar et Jean-Pierre Bourguignon, directeur de l'Institut des Hautes Etudes Scientifiques,  le professeur Alain Chenciner a évoqué la carrière étonnante de son « camarade » Henri Poincaré, rentré premier au concours d'entrée à l' « X » et sorti deuxième (une controverse avec un des examinateurs lui ayant coûté la première place !).  

Discours d'Alain Chenciner. Photo J.P. Truc.

Dès 1881, Henri Poincaré est maître de conférences à l'université de Paris, puis répétiteur à l'Ecole Polytechnique. En 1886, il occupe la chaire de Physique mathématique et il est élu à l'Académie des Sciences en 1887. Il rentre au Bureau des longitudes, qu'il présidera par la suite, en 1893. Nommé Ingénieur en chef des Mines (Poincaré tenait beaucoup à son titre d'ingénieur), il obtient la chaire d'Astronomie et de Mécanique céleste en 1896.

Nous ne prétendons pas donner ici un aspect exhaustif de ses travaux car l'influence de Poincaré s'étend de la philosophie des sciences à la physique et à de nombreuses branches des mathématiques. C'est un visionnaire et ses intuitions ont guidé la recherche jusqu'à nos jours : on se souvient par exemple que la médaille Fields, attribuée au mathématicien russe Grigori Perelman en 2006 (qui l'a d'ailleurs refusée...) récompensait la démonstration d'une conjecture topologique formulée par Henri Poincaré en 1904 !

En astronomie et plus particulièrement en mécanique céleste, ses travaux sur le problème des trois corps, publiés en 1892 dans son ouvrage en trois tomes intitulé Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste,  marquent une rupture avec tout ce qu'on connaissait avant lui. Alain Chenciner, lui même spécialiste du problème des n-corps,  a expliqué la fécondité de l'erreur commise par Poincaré dans son mémoire de 1889, qui lui valut pourtant le prix du Roi de Suède ! Comme il l'écrit dans une lettre adressée au mathématicien allemand Mittag-Leffler, Henri Poincaré pense avoir enfin trouvé une démonstration rigoureuse de la stabilité du système solaire en étudiant le système d'équations différentielles provenant des lois de la gravitation de Newton. Poincaré étudiait en fait le cas simplifié d'une petite planète (de masse négligeable), soumise à l'attraction du Soleil et de Jupiter. Si le cas de deux planètes est facilement résoluble et conduit aux orbites elliptiques de Kepler, le problème des trois corps est quant à lui d'une redoutable complexité.

Un jeune étudiant suédois, Lars Phragmen, chargé de relire les mémoires pour le prix du Roi Oskar, constate des lacunes dans la démonstration et attire l'attention de Poincaré sur ce qui va se révéler une des erreurs les plus fécondes des mathématiques. Poincaré reprend son travail et en arrive à la conclusion que le système solaire est au contraire instable. Les orbites des planètes peuvent avoir une évolution chaotique sur une grande échelle de temps et se croiser, ce qui autorise la possibilité de collisions planétaires. Les travaux de Jacques Laskar en donneront d'ailleurs plus tard des simulations numériques probantes en précisant les échelles de temps. Sur cinq milliard d'années, la probabilité d'une collision serait d'environ 1% !

Les « outils » mathématiques que Poincaré a développés à cette occasion, pour étudier  les systèmes dynamiques, la théorie des perturbations, et le chaos sont encore aujourd'hui utilisés, sous des formes certes perfectionnées (comme la théorie de KAM par exemple, du nom de Kolmogorov, Arnold et Moser), par de nombreux mathématiciens. Lors des conférences Vadim Kaloshin (Univ. Maryland, USA) en a donné des applications à l'explication des lacunes de Kirkwood, ces régions de la ceinture des astéroïdes qui ont été vidées de leurs occupants par les perturbations induites par Jupiter. Ivan Mamaev (Russie) a présenté  également des modèles et simulations numériques actuels, basés sur les articles d'Henri Poincaré concernant la figure d'équilibre d'une masse liquide en rotation.   

Mais Henri Poincaré, ingénieur des Mines, président du Bureau des longitudes, a également bien « les pieds sur terre », et il le prouve en s'occupant de géodésie. Martina Schiavon (Archives H. Poincaré) a ainsi raconté comment il a notamment supervisé l'organisation matérielle et scientifique de la mission française chargée de mesurer l'arc du méridien de Quito au Pérou dans les années 1900. Le but  de ces mesures était de donner une valeur précise de l'aplatissement du globe terrestre. Rappelons que si la terre est assimilée à un ellipsoïde de révolution de demi axes a et b, l'aplatissement est donné par le quotient f=(a-b)/a, où à mesure le demi grand axe (mesuré à l'équateur) et b le petit axe (mesuré aux pôles). Poincaré avait montré par ses calculs que f était inférieur à la fraction 1/297,3 ; la valeur qui ressortira de ces mesures est de 1/298... ! Enfin, il faut souligner le rôle de Poincaré en épistémologie et philosophie des sciences avec la publication de quatre ouvrages qui feront date : La science et l'hypothèse (1902), La valeur de la science (1905), Science et méthode (1908), Dernières pensées (1913).  C'est d'ailleurs une phrase tirée d'un de ces ouvrages qui figure sur la gerbe déposée lundi : «La pensée n'est qu'un éclair au milieu d'une longue nuit...mais c'est cet éclair qui est tout ».

Pour conclure, nous essaierons de décrire sommairement l'un des outils créés par Henri Poincaré pour l'étude des systèmes dynamiques : l'application « premier retour » de Poincaré. Imaginons par exemple que nous nous intéressons à la trajectoire d'un satellite autour d'une planète. Pour simplifier supposons cette trajectoire périodique : au bout d'une durée T, le satellite repasse toujours au même point avec la même vitesse. Fixons alors un plan (ou une autre surface) qui soit transverse aux trajectoires. A un instant donné, par exemple t=0, le mobile est  situé au point A de sa trajectoire qui se trouve également dans le plan choisi. Puis il se déplace sur sa trajectoire, traverse le plan en sens inverse et revient; il recoupe alors le plan dans le même sens qu'initialement, en un point de premier retour B.

Si nous supposons comme sur la figure que la trajectoire boucle deux fois avant de se refermer sur elle même, nous pouvons recommencer l'opération à partir du point B, et suivre la trajectoire sur un tour; le point revient alors en A au bout du temps T. Oublions maintenant tout ce qui n'est pas dans le plan. L'application premier retour, notée g, a fait correspondre au point A  le point B, puis au point B de nouveau le point A, ce qui s'écrit g(A)=B, g(B)=A. Ces deux points constituent les impacts de la trajectoire sur le plan. Maintenant si nous imaginons une trajectoire non plus périodique, mais dérivant lentement dans le temps, comme celle d'un vrai satellite, nous aurions obtenu à chaque fois un point différent. Ces points formeront une suite (An) ; les points de la suite étant reliés par la relation g(An) =An+1  .

A la place d'un système dynamique compliqué, nous n'avons plus qu'à étudier un système dynamique discret, c'est à dire ce qui se passe dans ce plan de Poincaré.

En effectuant de nombreux essais à partir de conditions initiales diverses, les points d'impact dessinent des régions limitées par des séparatrices comme sur la figure ci dessus. Des régions où les trajectoires varient de manière chaotique se verront comme des nuages de points limités par des séparatrices. Voilà une petite idée de l'organisation du chaos que nous a léguée Henri Poincaré. 

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